Rechercher
Rechercher

Culture - Performance

Le message de (sur)vie de May, Anbara et Wadad

A travers trois voix de comédiennes – Julia Kassar, Alia Khalidy et Raida Taha –, un spectacle/hommage à des militantes pour la dignité humaine et l'émancipation féminine, sur une idée et mise en place de Sahar Assaf.

Alia Khalidy (Anbara Salam), Raida Taha (Wadad Cortas) et Julia Kassar (May Ziadé), trois « mounadilate » (militantes). Photo Marwan Assaf

Sur une idée et mise en place de Sahar Assaf, dans l'enceinte de l'Assembly Hall et du West Hall (AUB), la parole est donnée à trois actrices (Julia Kassar, Alia Khalidy et Raida Taha) pour lire des textes de May Ziadé, Anbara Salam et Wadad Cortas dans un discours que les trois femmes ont prononcé, il y a un siècle, en ces mêmes lieux... Qu'en reste-t-il ? Quels en sont l'impact et l'acuité ? Et pour dire quoi au juste ?
Trois femmes, en costumes 1930, juste devant les tubulures de la console du monumental orgue trônant au milieu du cœur de la scène, ainsi que sous les arbres et les planches du West Hall.

Un public nombreux (en fait une salle archicomble), pas forcément du troisième âge comme pourraient le penser certains, mais injecté d'une jeunesse avide de savoir – avec une majorité de gent féminine en jeans et tee-shirts moulants mais aussi une bonne tranche de têtes « enfoulardées » – venue écouter le dire des trois femmes. Des femmes au verbe percutant et au destin remarquable qui ont marqué le siècle dernier (aussi un peu à califourchon sur notre époque) par leur exemple de vie, leurs mots, leurs accomplissements, leur combat pour vaincre l'obscurantisme, pour améliorer l'état de la culture et de l'éducation, et surtout réduire le dénivellement de la parité homme/femme où les filles d'Ève n'avaient franchement pas leur compte....

Trois pionnières donc qui forcent le respect, piquent la curiosité et ont encore aujourd'hui une large présence et écoute. Pour un meilleur être, rayonnement et avenir de la femme aux pays d'Orient.
May Ziadé, figure de proue d'un certain engagement intellectuel dans la cité, précédant et anticipant le courage des écrits de Simone de Beauvoir sur le Deuxième Sexe, demeure à jamais une femme de lettres libanaise de première importance. Non seulement muse d'une fabuleuse correspondance avec Gebran, mais aussi femme inspirée qui a ardemment taquiné les muses tout en menant avec poigne (son salon littéraire fréquenté et huppé l'atteste) une part active à un militantisme oriental où écriture et féminité sont une forme incontournable de pouvoir. Entre murmure de la poésie et belles lettres, il s'agissait surtout de l'émancipation de la femme.

Le cœur, l'esprit et le visage
En termes d'émancipation, Anbara Salam, issue d'une longue lignée de famille politique, n'en est pas moins connue pour avoir traduit Virgile et Homère en langue arabe mais surtout pour ce retentissant discours prononcé publiquement en 1927 où elle décide d'abandonner le port du voile. Acte courageux et spectaculaire (dans son symbolisme même) pour la période et non passagère révolte d'adolescente. Au contraire, acte pour affirmer sa solidarité avec le monde en marche et soutenir toute lumière qui envahit le cœur, l'esprit et le visage.

Pour Wadad Makdissi Cortas, l'hommage de Vanessa Redgrave est encore dans la mémoire des Beyrouthins pour avoir assisté, il y a quelques jours à peine, à sa performance pour tracer le cheminement d'un destin de femme toute dévolue à l'éducation. Surtout des femmes. Cette école Ahlié pour jeunes filles est toujours là pour témoigner de son efficacité et de la rigueur de sa tenue.

Une pédagogue qui a passionnément aimé le Liban, dont elle fut un témoin attristé par sa longue coulée et descente vers les abîmes de la destruction et des luttes fratricides. Un Liban pris dans la tourmente et en otage par la question palestinienne. C'est impuissante devant le grand chaos qui règne, mais toujours active, qu'elle a assisté au fracas et aux horreurs de la guerre.

Toutes ont profondément aimé ce Liban dont elles vantent la beauté, l'ouverture, l'interactivité sociale et la force de dépassement. Elles y ont cru ! L'acharnement au combat ne les a pas refroidies dans leur fougue et leur tempérament. Au contraire, avec le temps, elles n'en sont sorties que plus grandies. Elles étaient des « superwomen » avant l'heure !

Et ce sont les voix des trois comédiennes, toutes de retenue, de frémissement et d'ardeur, qui portent aujourd'hui ce message de (sur)vie. Un moment de scène conçu comme un cri du cœur, en toute originalité, par Sahar Assaf qui a misé sur une expression scénique non conventionnelle ou statique, en menant le public (et il a docilement suivi ! ) de l'Assembly Hall aux sièges bleu turquoise du West Hall, en passant par son perron ombragé.

L'ouverture de la soirée était véridiquement théâtrale: Alia Khalidy entre par l'allée centrale, plongée dans le noir de ses voiles, tel un fantôme d'un autre âge. Elle monte sur scène et parle derrière l'écran qui lui cache tout le visage. Effroi et saisissement de la salle. Et puis elle lève son voile, et apparaissent ses traits. Au mépris et en défi des conventions, c'est l'événement phare, scandale et courage, opéré en ce même lieu, il y a presque cent ans...

Les voix des comédiennes guère emphatiques, sauf un léger lyrisme appuyé de Julia Kassar (et on comprend pour son personnage de May Ziadé, enfermée pour folie et poète à bout de nerfs), insufflent une vie nouvelle et renouvelée à ces émérites orientales, passeuses d'idées libératrices. Libération pour leurs sœurs (filles et amies) longtemps sous le joug d'une servitude tissée de machisme et de codes sociaux caducs. À travers cette lecture de textes soigneusement choisis (grand salut à cette superbe prose arabe d'une étincelante précision et d'une musicalité au-dessus de tout éloge), les comédiennes ont touché l'auditoire en toute pudeur, sobriété, sans déclamation verbeuse et inutile, sur un ton de grande ferveur, d'extrême élégance, de vibrant humanisme.

 

Fiche technique

Conception et mise en place : Sahar Assaf
Lecture : Alia Khalidy (Anbara Salam), Raida Taha (Wadad Cortas) et Julia Kassar (May Ziadé)
Costumes : Béchara Atallah
Hommage de Nidal Achkar à Wadad Cortas, à travers un film réalisé par son fils Omar Naïm, projeté sur écran.
Participation aussi pour un extrait de film pour May Ziadé (tiré de la série Kibarouna) de Joseph Bou Nassar, Zeina Daccache et Vicky Abou Élias.

Sur une idée et mise en place de Sahar Assaf, dans l'enceinte de l'Assembly Hall et du West Hall (AUB), la parole est donnée à trois actrices (Julia Kassar, Alia Khalidy et Raida Taha) pour lire des textes de May Ziadé, Anbara Salam et Wadad Cortas dans un discours que les trois femmes ont prononcé, il y a un siècle, en ces mêmes lieux... Qu'en reste-t-il ? Quels en sont l'impact et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut