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Moyen Orient et Monde - Le point

« Panem et sanguis »

Cela dure depuis août dernier quand, quelque temps après son investiture à la tête de l’État, Mohammad Morsi avait appelé l’opposition à un dialogue « à cœur ouvert », aussitôt rejeté par le Front de salut national sur fond de tension grandissante au niveau de la rue. Arc-bouté sur la légitimité que lui confère la vox populi, le président continue depuis de se heurter à l’obstination d’adversaires confortés par une contestation populaire qui a déjà fait des dizaines de morts, une dégradation de la situation économique qui, ils s’en disent convaincus, sert leur cause, et une nette érosion des institutions étatiques qui ajoute un élément non négligeable à la crise.
Le mécontentement populaire, loin de perdre de son intensité, ne fait que croître, menaçant d’atteindre un point de non-retour dans les semaines à venir, quand l’Égypte en viendra à manquer de l’essentiel. Chez nous, se plaisait à rappeler Robert Solé, journaliste français qui fut un enfant du pays, « eïch » signifie aussi bien « pain » que « vie ». Aujourd’hui, la Banque centrale reconnaît que ses réserves en devises rares ont fondu comme neige au soleil, passant de 36 milliards à la veille de la révolte qui devait mettre à bas le régime de Hosni Moubarak à 13,6 milliards de dollars ces jours-ci, un montant à peine suffisant pour couvrir les importations sur une période de trois mois. Or, de même que l’on aurait dit jadis au duc d’Angoulême : « Pas d’argent, pas de Suisses », il est impossible de se fournir en blé si on ne peut le payer en monnaie sonnante et trébuchante. Les stocks entreposés dans les silos représentent une consommation de trois mois. Autant dire que la cote d’alerte n’est pas loin d’être atteinte.
À deux reprises au cours des dernières décennies (1977, 2007-2008), des « émeutes de la faim » avaient éclaté, poussant le pouvoir à procéder à des distributions de denrées de première nécessité, à puiser dans les réserves de l’armée et surtout à renoncer à supprimer les subventions. Une défaillance dans le cycle de distribution et c’est la fin du régime, n’hésitent pas à prédire les analystes. Les besoins annuels sont estimés, pour une population qui frôle le seuil des 90 millions, à quelque 10 millions de tonnes (autant que la Russie avec ses 142 millions d’habitants ! ). Selon les chiffres du département de l’Agriculture des États-Unis, l’Égypte consacre chaque année 2,5 milliards de dollars à l’achat de produits alimentaires, dont le blé nécessaire à la confection de 80 milliards de pains vendus à l’équivalent de un cent US/pièce pour une consommation de trois pains par jour et par personne. Il convient là de rappeler que 40 pour cent des Égyptiens vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.
Déjà dans les années soixante, Gamal Abdel Nasser avait, dans un discours qui avait frappé les imaginations, invité ses concitoyens à réfléchir au coût de leur alimentation afin de justifier le désordre dans la distribution.
Signe qui ne trompe pas : le chef de l’Office de fourniture des denrées de première nécessité, Noomani Noomani, en place depuis 1979, vient de présenter sa démission (d’être démissionné, prétendent certains), aussitôt remplacé par son numéro deux, Mamdouh Abdel Fattah. Farouk al-Oqda s’était retiré en janvier de cette année, cédant son siège de gouverneur de la BCE à Hicham Ramez. Celui-ci reconnaît maintenant l’urgence d’une « gestion de la crise » si l’on veut stopper l’hémorragie de devises fortes et éviter une dollarisation qui porterait un rude coup à la fierté nationale.
Alors que l’ébullition est à son paroxysme, les rumeurs les plus folles commencent à circuler, dont la plus insistante fait état d’un mécontentement de plus en plus grand dans les rangs des forces de sécurité intérieure, en particulier la brigade antiémeute, impuissante à maîtriser les mouvements de foule mais surtout furieuse de voir qu’on lui fait assumer le rôle du grand méchant loup. L’armée elle-même ne semble pas à l’abri du malaise général. Dans une allocution diffusée tard dans la nuit de dimanche à lundi sur la chaîne Mehwar, le chef de l’État s’est senti obligé de démentir les rumeurs qui enflent sur des tensions avec la troupe. Certains croient savoir cependant que le palais serait tenté de limoger le général Abdel Fattah el-Sissi, nommé par lui à la tête de l’institution militaire dans le cadre de la réforme de l’état-major en août 2012.
Tous les politologues s’accordent à reconnaître que la conjonction d’une économie malade et d’une instabilité politique rampante constitue un cocktail hautement explosif. Et pas plus les références à un passé qui fut glorieux que les grenades lacrymogènes – quand ce ne sont pas les balles réelles – ne sauraient désarmer les Gavroches de la place al-Tahrir. Encore moins les jeunes de Port-Saïd qui menaçaient il y a un mois de faire sécession...
Cela dure depuis août dernier quand, quelque temps après son investiture à la tête de l’État, Mohammad Morsi avait appelé l’opposition à un dialogue « à cœur ouvert », aussitôt rejeté par le Front de salut national sur fond de tension grandissante au niveau de la rue. Arc-bouté sur la légitimité que lui confère la vox populi, le président continue depuis de se heurter à...

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