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Moyen Orient et Monde - Le point

Les sables mouvants du Sinaï

Il n’y avait pas que des larmes, mardi, aux obsèques des seize gardes-frontières égyptiens abattus quarante-huit heures auparavant dans le Sinaï par un groupe de terroristes, selon la version officielle. À la sortie de la mosquée, la foule a pris à partie le Premier ministre, Hisham Qandil, et les rares dirigeants des Frères musulmans présents. « Vous les avez tués, chiens ! » a-t-on entendu. Certains ont tenté, sans y parvenir, de lancer leurs chaussures à la face des officiels parmi lesquels le nouveau chef de l’État, Mohammad Morsi, brillait par son absence. Il est loin, le temps où le remplaçant de Kheirate el-Chater recueillait 13 230 131 voix (contre 12 347 380 à son adversaire, Ahmad Chafic).Vox populi, vox mutandis, aurait (presque) dit ce cher Ovide en apprenant la mort du psittacidé offert à sa maîtresse.
Près d’un tiers de siècle après la restitution par Israël à l’Égypte de ce Sinaï jadis objet de toutes les convoitises, les deux parties ne cessent de constater à quel point est long et semé d’embûches le chemin de la pacification de la péninsule – désertique et montagneuse, notent les manuels de géographie – maigrement peuplée de tribus bédouines réfractaires à toute autorité, surtout étatique. Il faut reconnaître aussi que Le Caire ne s’est jamais intéressé à cette région, considérée comme périphérique, au point de ne s’y manifester que sporadiquement, prétextant tantôt les restrictions militaires imposées par l’accord conclu entre les deux parties – et partiellement levées depuis – et à d’autres moments une instabilité confinée à quelques kilomètres carrés seulement. Avec pour conséquence prévisible le fait qu’au fil des ans, les autochtones se sont de plus en plus tournés vers la bande de Gaza toute proche, en raison de la nature de leurs activités, axées sur la contrebande d’armes, de produits de première nécessité, d’argent et, les derniers temps, de travailleurs au noir.
Allié naturel des Ikhwane au pouvoir sur les bords du Nil, le Hamas s’était pris à rêver d’une étroite coopération qui lui aurait permis tout à la fois de desserrer le dangereux étau salafiste et de bénéficier d’un bol d’air combien bienvenu on l’imagine au vu de l’état dans lequel se trouve l’économie du territoire dont il a la charge. Au lieu de quoi, on a vu depuis quarante-huit heures des bulldozers, des grues, des camions chargés de ciment qui ont entrepris de boucher les innombrables tunnels qui ont transformé en un immense gruyère la voie de passage entre les deux secteurs. Simultanément, les hélicoptères Apache entraient en action contre les localités de Toumah et de Cheikh Zouayed. Dans les communiqués du commandement de l’armée, le ton est martial : on y qualifie de « succès complet » les opérations contre « les terroristes », menées « avec le soutien des forces aériennes ». Bilan : vingt activistes tués, a annoncé le général Ahmad Bakr, chef des services de sécurité dans le Nord-Sinaï. Des membres du Jihad global, selon la formule retenue par les Israéliens. Il s’agirait en fait, selon diverses sources, de vétérans du mouvement de la Résistance islamique (Hamas), ayant depuis pris leur distance avec celui-ci, et regroupés en cellules autonomes entraînées à des attaques contre des cibles ennemies. Officiellement, ces groupes relèveraient désormais des organisations salafistes, ce qui déplaît souverainement – on comprend aisément pourquoi – au pouvoir en place dans l’enclave. Lundi, le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, soulignait avec force que « la sécurité de l’Égypte et la nôtre ne font qu’un ; compromettre l’une, c’est compromettre l’autre ». L’un de ses lieutenants, Ghazi Hamad, renchérissait peu après : « Les dirigeants égyptiens ne peuvent pas ignorer que la nouvelle de l’attaque (de dimanche dernier) nous a profondément attristés. D’ailleurs, nous leur avons fait part de notre intention de coopérer avec eux pour préserver la paix à la frontière. » Quoi qu’il en soit, l’opération musclée qui vient d’être enclenchée semble devoir se poursuivre jusqu’à un retour à la normale, annonciateur par contrecoup de difficultés pour l’autorité des Frères musulmans. Depuis le déclenchement de la révolution qui a abouti à l’éviction de Hosni Moubarak, le Sinaï a vu se produire une trentaine d’incidents, le plus grave ayant fait huit tués israéliens et 31 blessés dans l’attaque de deux bus, il y a exactement un an. Dans un rapport remis au gouvernement Netanyahu, un spécialiste de la région, Ehoud Yaari, recommandait de « minimiser les risques d’une implosion du traité de paix égypto-israélien » dans la région du Sinaï. Sagement, il s’abstenait de préconiser le remède préventif. On comprend aisément pourquoi.
Il n’y avait pas que des larmes, mardi, aux obsèques des seize gardes-frontières égyptiens abattus quarante-huit heures auparavant dans le Sinaï par un groupe de terroristes, selon la version officielle. À la sortie de la mosquée, la foule a pris à partie le Premier ministre, Hisham Qandil, et les rares dirigeants des Frères musulmans présents. « Vous les avez tués, chiens ! »...

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