Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Le point

La onzième plaie

Bien naïfs auront été ceux qui, le temps d’une courte et fragile lune de miel entre les Frères musulmans et le Conseil suprême des forces armées (CSFA), ont cru à une transition en douceur. Oh ! Certes, ce n’est pas encore le combat à poings nus et un sauvetage de dernière minute demeure possible. Mais quel en sera le prix et qui devra le payer ? En proclamant leur appui à « la légitimité, la Constitution et la loi », le maréchal Tantaoui et ses compagnons ont fait parvenir au chef de l’État un message clair : nous ne resterons pas les bras croisés face à ceux qui veulent ignorer la décision de la Haute Cour constitutionnelle invalidant la dissolution du Parlement. Un jugement, insistent de leur côté les magistrats qui en sont les auteurs, dans un communiqué publié lundi dernier à l’issue d’une réunion urgente, est « définitif et contraignant ».
On imagine mal les militaires revenir sur leur choix ; il est tout aussi impensable que, fort de ses 13 millions de voix à l’élection du 17 juin, Mohammad Morsi se plie aux desiderata de ceux qui désormais se posent en censeurs, sinon en adversaires de son pouvoir. La crise est désormais ouverte entre des islamistes qui avaient enlevé près de 70 pour cent des sièges lors de la consultation populaire et des généraux qui s’érigent en défenseurs de l’ordre établi depuis soixante ans déjà. Ce qui complique plus encore la donne c’est que, s’ils se prévalent d’une incontestable victoire dans les urnes, les Ikhwane ne jouissent pas pour autant de l’appui d’un important « troisième camp » comprenant les libéraux et les coptes. En outre, leur soutien au soulèvement contre Hosni Moubarak avait tardé à se manifester et on n’a pas oublié qu’ils avaient courageusement abandonné à leur sort les jeunes de la place Tahrir, battus à mort par les baltaguiyah du régime. La Grande (mais pas) Muette, pour sa part, assume un lourd héritage, dont le bilan est loin d’être reluisant. À tout le moins peut-elle faire valoir qu’après tout, elle est issue du peuple (il n’existe pratiquement pas une seule famille qui ne compte un de ses membres ayant servi dans ses rangs) et qu’elle ne défie pas une instance au prestige encore intact dans un pays qui sombre dans le chaos, avec une criminalité en hausse, une rue livrée aux grévistes et aux chômeurs et une économie qui ne décolle pas.
Pour avoir voulu défendre, l’un (Morsi) les maigres prérogatives qui lui restent, l’autre (l’armée) de scandaleux privilèges hérités de Nasser, Sadate et Moubarak, les deux parties se retrouvent aujourd’hui le dos au mur, condamnées à résister mais incapables de l’emporter. Mardi, les parlementaires ont voulu défier l’armée en décidant, à la faveur d’une réunion de quelques minutes à peine, de saisir de l’affaire la Cour de cassation. En mélangeant aussi allégrement les genres, ils n’ont fait que rendre plus compliqué l’imbroglio. L’ancien directeur de l’agence internationale de l’énergie atomique, Mohammad el-Baradei, suggère « des négociations directes entre le président et le CSFA », seules susceptibles « de trouver une solution politique et juridique pour éviter une explosion », écrit-il sur sa page Facebook.
Le précédent turc permettrait de mieux comprendre une situation qui voit les généraux égyptiens détenir aujourd’hui une importante partie des pouvoirs législatifs, en même temps qu’ils disposent d’un droit de regard sur l’élaboration d’une nouvelle Constitution et sur la préparation du budget national. Le leader de l’Adalet ve Kalkinma Partisi s’était ingénié, par un travail de sape lent et méthodique, à démilitariser le système politique hérité de l’époque Ataturk, jusqu’à cette fin juillet 2011 qui vit l’état-major démissionner en bloc, le général Işik Koşamer en tête. Erdogan disposait d’atouts de taille : une opinion publique favorable, un parti parfaitement structuré, une irrésistible montée en puissance (34 pour cent des suffrages aux législatives de 2002, 46 pour cent en 2007, 49,9 pour cent en 2011), enfin une économie florissante (une croissance de 8,5 pour cent du PIB en 2011, de 8,9 pour cent en 2010). Une situation qui, à quelques différences près, ressemble à celle de l’Égypte. À ce jour, Recep Tayyip Erdogan a fait montre d’un indéniable talent de manœuvrier, réussissant à éviter la plupart des écueils dressés sur son chemin. Il a prouvé de plus qu’il était seul maître à bord après Dieu, même si Ahmet Davutoglu passe pour l’idéologue du parti et l’inspirateur des grandes options politiques. Il n’est pas certain que Mohammad Morsi, remplaçant de dernière minute de Kheirate el-Chater, dispose des mêmes atouts. Ni que, malgré toute la patience qu’on lui prête, l’Égyptien se résigne à choisir entre les deux termes de l’alternative : des islamistes (même bon teint) et les « foulouls » de l’ère précédente. Mais y aurait-il une troisième voie ?
Bien naïfs auront été ceux qui, le temps d’une courte et fragile lune de miel entre les Frères musulmans et le Conseil suprême des forces armées (CSFA), ont cru à une transition en douceur. Oh ! Certes, ce n’est pas encore le combat à poings nus et un sauvetage de dernière minute demeure possible. Mais quel en sera le prix et qui devra le payer ? En proclamant leur appui à « la...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut