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Moyen Orient et Monde - Le point

La guerre par télécommande

Pour le décrire, un ancien analyste de la Central Intelligence Agency avait eu des accents lyriques : « C’est un guerrier, dit-il, un poète, un universitaire, un ponte, un chef militaire. Charismatique, jeune, audacieux. Il a tout pour devenir l’héritier d’Oussama Ben Laden. » Les maîtres d’el-Qaëda devront se mettre à la recherche d’un nouvel adjoint à Ayman el-Zawahiri : lundi 4 juin à l’aube, Abou Yahya al-Libi est mort, tué par un missile tiré à partir d’un drone, qui a atteint la masure de glaise et de briques où il avait trouvé refuge, près de la minuscule localité de Hassou Khel, dans la région de Mir Ali (province du Nord-Waziristan).
Depuis l’assassinat du fondateur d’el-Qaëda, les Américains n’avaient pas enregistré de succès majeur, malgré des centaines de raids opérés par des aéronefs sans pilote. Cette fois, les techniciens de l’honorable firme – dont la Division des activités spéciales est en charge de cette « guerre des boutons » – ont touché en plein dans le mille. Outre ses talents d’organisateur, ses qualités de meneur d’hommes et ses dons de prédicateur, « le Libyen » jouissait d’une incontestable aura d’uléma, habilité donc à émettre des fatwas et à trancher un différend sur des questions religieuses. Depuis son évasion, dans des conditions rocambolesques, d’une prison US à Bagram, le 10 juillet 2005, il était devenu un modèle pour les combattants du mouvement.
Depuis que cette drôle de « guerre des boutons » a pris un nouvel essor, de nombreuses questions se posent, dont la plus importante est d’ordre moral. Sur ce point précis, John Brennan, le monsieur contre-terrorisme de l’administration américaine, a déjà tranché. Dans un discours prononcé le 30 avril dernier devant le Woodrow Wilson Center for International Scholars, il a qualifié ce genre de raid de « légal, éthique et juste », les lois internationales reconnaissant le droit à l’autodéfense et le Congrès ayant autorisé le recours à la force contre el-Qaëda et les talibans. Légal peut-être, mais juste ? La New American Foundation estime à 1 819 le nombre de personnes tuées par des attaques de drones au Pakistan entre 2004 et 2012, dont 80 pour cent sous la présente administration. Selon la même source, il y aurait dans le total 293 civils – bien plus à en croire des milieux tout autant fiables.
Ce que l’on se garde bien d’évoquer à Washington, c’est que ce recours yankee au muscle est bon, surtout en pleine campagne électorale, pour l’image de l’actuel occupant de la Maison-Blanche, trop souvent décrit comme faible, hésitant et plus enclin à la parlote qu’à l’action. Aux voix qui s’élèvent ici et là pour réclamer un arrêt de la campagne, le secrétaire à la Défense Leon Panetta a répondu il y a un mois dans une interview à la chaîne de télévision Bloomberg : « Nous avons été agressés le 11 septembre 2001 et nous savons par qui. C’était el-Qaëda... »
Avec Islamabad, le tableau est moins clair qu’il n’y paraît. À chaque opération, le ministre pakistanais des Affaires étrangères monte au créneau pour dénoncer « l’atteinte à la souveraineté du pays ». Mardi, c’est le conseiller près l’ambassade US, Richard Hoagland, qui a dû subir l’avalanche de protestations, devenues coutumières mais néanmoins tolérables si l’on considère que les services secrets des deux pays coopèrent étroitement, chacun y trouvant son compte : l’Amérique qui bénéficie ainsi des précieux renseignements fournis par les meilleurs services secrets d’Asie ; le général Ashfaq Parvez Kayani et ses camarades tout heureux de se dédouaner ainsi des accusations de collusion – pleinement justifiées d’ailleurs, prétendent les mauvaises langues – avec les élèves en religion d’Afghanistan.
Pendant que l’attention de la communauté internationale demeure braquée sur le Pakistan, on assiste à une multiplication des raids au Yémen et en Somalie. Si, dans le premier des deux pays, cette recrudescence des attaques fait l’affaire des voisins de Sanaa, soucieux de se débarrasser par procuration de barbus devenus par trop encombrants, dans le second les drones se révèlent de peu d’effet sur les chabab, enrôlés dans une guerre sans objectif véritable et, il faut le craindre, sans fin. De plus, estime un ancien de la CIA, sous prétexte de lancer une campagne militaire contre la terreur, on est en train de créer des sanctuaires pour les guerriers de l’ombre, en particulier dans les FATA (Federally Administrated Tribal Areas) pakistanaises.
Mais pour l’heure, les États-Unis ne voudraient pour rien au monde que l’on vienne leur gâcher leur plaisir, celui de découvrir qu’au sommet se trouve « un Barack Obama transformé soudain en George W. Bush stéroïdé ». Puisque c’est un spécialiste, Aaron David Miller, qui le dit...
Pour le décrire, un ancien analyste de la Central Intelligence Agency avait eu des accents lyriques : « C’est un guerrier, dit-il, un poète, un universitaire, un ponte, un chef militaire. Charismatique, jeune, audacieux. Il a tout pour devenir l’héritier d’Oussama Ben Laden. » Les maîtres d’el-Qaëda devront se mettre à la recherche d’un nouvel adjoint à Ayman el-Zawahiri :...

commentaires (1)

Il semblerait que l'administration Obama décompte le nombre de victimes civiles de la façon suivante: nombre de victimes civiles = (nombre de victimes totales - nombre de "combattants"). En sachant que "combattant" = toute personne de sexe masculin en age de combattre ("military age male") se trouvant sur le lieu d'impact du missile à moins d'une preuve explicite de son innocence après mise à mort. Source: article du New York Times (http://www.nytimes.com/2012/05/29/world/obamas-leadership-in-war-on-al-qaeda.html).

Salim Malan

19 h 01, le 06 juin 2012

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Commentaires (1)

  • Il semblerait que l'administration Obama décompte le nombre de victimes civiles de la façon suivante: nombre de victimes civiles = (nombre de victimes totales - nombre de "combattants"). En sachant que "combattant" = toute personne de sexe masculin en age de combattre ("military age male") se trouvant sur le lieu d'impact du missile à moins d'une preuve explicite de son innocence après mise à mort. Source: article du New York Times (http://www.nytimes.com/2012/05/29/world/obamas-leadership-in-war-on-al-qaeda.html).

    Salim Malan

    19 h 01, le 06 juin 2012

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