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Lifestyle - Ici et maintenant

Ray(on) de salamandre

François Truffaut s’ennuie : là-haut, ou un peu plus bas, Fanny Ardant n’y est pas, les scénarios se ressemblent tous, les couleurs sont trop pastel, les 400 coups presque infaisables et les Anglaises beaucoup moins jolies. Surtout, il n’y a pas de livres : paradis ou enfer s’entendent au moins sur quelque chose. Depuis ce mercredi 6 juin, François Truffaut sourit : son ami Ray l’a rejoint et, à peine arrivé, veut le convaincre de trouver un moyen pour aller sur la Lune. Et de là, s’envoler en fusée pour Mars. En route, ils prendront sept femmes encore fécondes et ils repeupleront Mars.
Il répétait toujours : To hell with it ! Ray Bradbury est mort ce 6 juin à l’âge de 91 ans. Un enfant. Le plus grand enfant que je connaisse, disait son petit-fils, Danny Karapetian.
Il était comme ça, mister Ray. Un génie bouffé de paradoxes. Il voulait repeupler la planète rouge et disait détester la technologie. Il multipliait les romans d’anticipation en hurlant à qui voulait bien l’entendre qu’il avait pour la science et la science-fiction un gigantesque mépris. Il jurait ne jamais faire publier ses livres sur des supports électroniques et en même temps signait, c’était en novembre dernier, avec son éditeur Simon & Schuster pour lancer Fahrenheit 451 en e-book.
Fahrenheit 451. Montag est l’un des personnages les plus intellectuellement bandants de la littérature mondiale. Puis du cinéma. Montag ! De quoi donner espoir à ces millions de Dolly ultraformatés dans le monde : salariés d’usine chaplinesque ; golden-boys de Cosmopolis ; fonctionnaires-abeilles de quelque administration sclérosée ; danseurs-horses to be shot, bref, toutes ces femmes et tous ces hommes qui obéissent : à un emploi du temps métallique, aux mêmes ordres lancés par les mêmes personnes au même moment, à un plan, n’importe quel plan tout tracé à l’avance, etc. Qui obéissent sans le moindre Ray de lumière, le moindre espoir d’évolution – fût-ce un minuscule changement, un écart d’itinéraire, un GPS en panne... Montag est un pompier pyromane chargé dans un futur indéterminé de brûler des livres, tous les livres – peut-être même devra-t-il, une fois le stock épuisé, en écrire pour mieux les flamber. Pour mieux obéir. Montag est fier de lui, de son stakhanovisme, de sa loyauté. Jusqu’au jour où...
Jusqu’au jour où Ray Bradbury comprend que la seule résistance possible face à toute forme de (néo)fascisme, face à toute velléité normative, face à toute résurgence, aussi discrète soit-elle, de chemises brunes ou de tee-shirts noirs, face aux censures-hydres ; face, donc, au terrorisme pur, la seule résistance possible est la résistance culturelle. Que ce soit grâce à son cœur (Clarisse) ou sa raison (Faber), à sa maîtresse ou son sherpa, Montag va sauver et bouffer du livre. En bouffer jusqu’à vomir, mais en bouffer jusqu’à (sur)vivre. Les sauver pour se sauver. Aujourd’hui, Montag-Ray aurait été un affolant rat de bibliothèques (Bradbury faisait tout, surtout financièrement, pour sauver celles qui étaient sur le point de fermer) ; aujourd’hui, Montag-Ray serait partout, sur Twitter, sur Facebook, glué à cent et un blogs, abonné à cent et un médias, furetant sur les e-Bay de la planète à la recherche d’un manuscrit norvégien ou colombien d’il y a des siècles. Aujourd’hui comme hier, et sans doute plus que jamais comme demain, Montag n’échappera aux feux et aux extinctions qu’en s’y plongeant, en ressortant indemne, même pas roussi, en devenant un citoyen du monde. Ivre de curiosité. Un citoyen des mondes, jusqu’à Mars et plus loin encore. Ivre de métissages.
Ray Bradbury a raison : il ne faisait pas de la science-fiction. À peine était-il visionnaire. Mais il était inégalable pour diagnostiquer la maladie, définir ses symptômes, offrir le remède. Avec un rictus dostoïevskien qui continuera, couplé au sourire triste et sarcastique à la fois de Truffaut, de retentir pour les années à venir. Bradbury l’alchimiste : transformer la dystopie en utopie. Bradbury l’humaniste, et l’absolu cynique : Huntington est un crétin fini et le choc des cultures n’existe que dans les bulles ouatées autofabriquées par les uns et les autres.
Tout le monde, les jeunes générations surtout, doit (re)lire Bradbury. Fahrenheit 451. Vite. Les Libanais d’abord : dans un pays où une milice, le Hezbollah, se vante de faire disparaître Anne Franck et son Journal de la vie de ses jeunes, Bradbury est une urgence.
To hell with it !
François Truffaut s’ennuie : là-haut, ou un peu plus bas, Fanny Ardant n’y est pas, les scénarios se ressemblent tous, les couleurs sont trop pastel, les 400 coups presque infaisables et les Anglaises beaucoup moins jolies. Surtout, il n’y a pas de livres : paradis ou enfer s’entendent au moins sur quelque chose. Depuis ce mercredi 6 juin, François Truffaut sourit : son ami Ray...

commentaires (2)

Je ne suis pas sur d'etre d'accord a propos de l'internet et de la lecture. Rien que le "Project Gutenberg" nous offre -gratuitement- qq. 40,000 oeuvres qui ne nous seraient autrement pas accessibles dans des librairies traditionnelles et dans la forme de 'livre papier'. Je ne dis pas que l'un remplace l'autre mais le "eBook" est un supplement tres pratique, agreable et meme necessaire a notre epoque.

Fady Challita

14 h 14, le 07 juin 2012

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Commentaires (2)

  • Je ne suis pas sur d'etre d'accord a propos de l'internet et de la lecture. Rien que le "Project Gutenberg" nous offre -gratuitement- qq. 40,000 oeuvres qui ne nous seraient autrement pas accessibles dans des librairies traditionnelles et dans la forme de 'livre papier'. Je ne dis pas que l'un remplace l'autre mais le "eBook" est un supplement tres pratique, agreable et meme necessaire a notre epoque.

    Fady Challita

    14 h 14, le 07 juin 2012

  • Internet, c'est sans intérêt", avait condamné Ray Bradbury dans les dernières années de sa vie, toujours pour protéger son même objet fétiche : le livre papier.... Il avait totalement raison . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    09 h 59, le 07 juin 2012

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