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Culture - Témoignage

Beyrouth / La Voix est libre : « Notre genèse éternelle ne fait que commencer »

Blaise Merlin, directeur artistique du festival « Jazz nomades-La Voix est libre », qui a présenté dans le cadre du Mois de la francophonie deux concerts-spectacles au théâtre Montaigne, décrit avec enthousiasme sa découverte de Beyrouth.

Il faut que je vous dise. Nous (Fantazio, Élise Caron, Peter Corser, Ulash Osdemir, Sam Karpiena, Pascal Contet, Marlène Rostaing, Ba’ha le Libanais, Élise Dabrowski, Edward et moi-même) venons de vivre la plus belle et folle nuit de communion musicale qui nous ait été donné de vivre, en «after» du programme officiel, dans le cabaret musical le plus branché de la ville (le Métro al-Madina, une sorte d’Olympic café en plus confortable, avec une scène plus haute et plus grande, des tables et des fauteuils rouges, côté public). Nous avons joué non-stop de 23h à 3h du matin, avec 11 des 13 artistes du festival (dont un chanteur/luthiste d’Istanbul et un percussionniste libanais), après quoi nous avons continué au bar à chanter et danser a cappella avec les spectateurs jusqu’à l’aube. Au salut, les gens criaient et clamaient comme des «supporters», tapaient sur les tables, tout le monde se prenait et se serrait dans les bras dans les loges, quand ce n’était pas sur scène, après des solos, duos et impros de folie traversant tous les genres musicaux possibles et imaginables, «rock-reggae-flamenco-latino-italo-otientalo-sino-lyrico-électrico-chââbi», Edward Perraud notre batteur était – et nous mettait – littéralement en transe !
Une orgie pan-musicale, un son gargantuesque et pantagruélique en cordes-cuivres-peaux et déguisements loufoques prêtés par la troupe locale de revue égyptienne, une parade «d’amours dionysiaques et de libertés apolliniennes» – dixit la journaliste – d’une joie indescriptible.(...) Après le concert, c’était fou, on a continué à jouer et danser dans le hall, les gens nous haranguaient pour nous remercier. Quand quelqu’un s’en allait, on formait un chœur, on mimait des adieux d’opéra dans toutes les langues, c’était dingue, dingue, dingue ! J’en ai moi-même pleuré d’émotion ce dimanche matin en me levant, au son entremêlé des cloches des quartiers chrétiens, du chant des muezzins et des chœurs maronites crachés dans les haut-parleurs, comme ça a déjà pu m’arriver une fois ou deux après les soirées les plus marquantes du festival, quand le public et les artistes quittent les Bouffes dans un état second et continuent à squatter le parvis sans plus arriver à se quitter.
Cette ville est folle, vraiment folle, rien de semblable à ce que j’avais vécu jusque-là (même si ça rappelle Naples sous certains aspects, sauf que le volcan qui plane au-dessus des têtes est d’une toute autre nature...). J’ai surtout compris – comme tous ceux qui passent un peu de temps ici – que je n’avais rien compris aux questions politiques et culturelles du Proche-Orient (mais comme dit un dicton local: «Si tu comprends le Liban, c’est qu’on te l’a mal expliqué!»). Les gens sont sur le qui-vive depuis qu’un village a été bombardé, le Premier ministre a démissionné, un acte salué par des tirs de mitraillette et des feux d’artifice dans certains quartiers... Rien de «grave» pour l’instant, la vie suit son cours, mais les gens ont vraiment peur de ce qui va se passer dans les prochaines semaines et les prochains mois, la ville retient son souffle tout en continuant à faire la fête et à se reconstruire, les vieux immeubles qui subsistent ça et là étant encore criblés des tirs de mitraillettes et de mortiers datant de la guerre civile. (...)
Et ce n’est qu’un paradoxe parmi d’autres... car s’il fallait résumer cette ville en un mot, ce serait schizophrène (conservatisme/modernisme, pauvreté omniprésente/richesses ostentatoires, liberté/autocensure, anarchie et chaos absolus, dehors/élégance et raffinement total à l’intérieur, subversion/manipulation, résistance artistique et intellectuelle/dérapages identitaires et religieux).
(...) Pour nous, Beyrouth restera ce lieu de fête invraisemblable, où nous chavirâmes dans un bar à chicha à l’air libre au pied d’une autoroute, où les femmes (sublimes, soit dit en passant) et les hommes de tous âges grimpaient sur les tables au son des morceaux de Oum Kalsoum ou de Lili Boniche, joués frénétiquement par de magnifiques musiciens locaux ! Le Paris d’aujourd’hui va me sembler triste et artificiel à mon retour, alors que Beyrouth est la capitale la plus affreuse qu’il m’ait été donné de voir... quand je pense que la Goutte d’Or recelait de lieux et de cabarets comme Métro al-Madina il n’y a pas encore si longtemps que cela, avant que la télé, la spéculation et le formatage économique et culturel ne foutent tout ça en l’air.
Heureusement que nos fabuleux cheptels de doux-dingues, acrobates, voltigeurs et troubadours des temps modernes, résistent encore, mais une chose est sûre pour moi (je le voyais venir depuis quelque temps): plus rien ne pourra être tout à fait comme avant, après cette nuit que nous venons de vivre, voyage de tous les voyages, départ sans fin, point d’orgue inespéré de nos douze années de métissage musical, de rencontres et de confrontations entre les lieux les plus éloignés, connus ou insoupçonnés de nos mémoires, de nos atlas intérieurs, de nos racines et de nos c(h)œurs.
Je redécouvre ce que la musique est capable de produire sur nous, effet vocable et irrévocable... Alors que j’ai longtemps continué à penser et à croire que seuls le théâtre et ses dérivés poétiques et dramaturgiques pouvaient agir sur la conscience sociale de l’homme (...) Mais nous sommes 11 à avoir vécu ce moment dont nous reparlerons pendant longtemps, nuit polymorphe et insatiable, hydre à 1000 têtes, chantant que notre «genèse éternelle» ne fait que commencer.

Blaise MERLIN
Il faut que je vous dise. Nous (Fantazio, Élise Caron, Peter Corser, Ulash Osdemir, Sam Karpiena, Pascal Contet, Marlène Rostaing, Ba’ha le Libanais, Élise Dabrowski, Edward et moi-même) venons de vivre la plus belle et folle nuit de communion musicale qui nous ait été donné de vivre, en «after» du programme officiel, dans le cabaret musical le plus branché de la ville (le Métro...

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