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Culture - Rencontre

Pour Georges Nadra, « l’harmonie est faite de contradictions »

Après vingt-cinq ans d’absence, Georges Nadra revient au pays natal. Un peintre bohème qui a mangé de la vache enragée, la peur au ventre, sous des obus qui pleuvaient à torrents. Installé depuis à Paris, il parle en termes simples de sa carrière picturale. Pour lui, peindre, c’est l’affaire d’une vie et « confronter l’ordre au désordre »...

L’artiste dans son atelier.  Photo atelier : « La Valetta », Montreux, Suisse

On se souvient de ce grand gaillard aux sourcils broussailleux. Cheveux et barbe de pâtre grec, aphone (tous ont cru à un mutisme inexpliqué), il sillonnait Beyrouth en temps de guerre en vélo, polo au vent ou ciré jaune sur le corps, bottes en caoutchouc aux pieds pour livrer des journaux.
Mordu de peinture, élève de Paul Guiragossian, encouragé par Chamoun, Jurdak et Najem pour l’amour de la palette et du pinceau, le voilà qui ressurgit aujourd’hui. Pour prospecter la ville et les lieux qui ont vu éclore son talent. Pour se réinsérer dans le paysage et mouvement pictural beyrouthin.
À cinquante-quatre ans, silhouette toujours juvénile et cheveux toujours en bataille, avec godasse lourde et barbe sel et poivre. Son ardeur et son amour pour la peinture sont intacts, inchangés. Il a retrouvé le don de la parole. Toujours sans jamais rien expliquer.
«Depuis mon atelier de la rue Tanger à Paris, confie-t-il, je me déplace vers la Bourgogne où je fonde une “Arterie”: une association pour l’art. Selon des thématiques de la région (vin, verdure, viande, histoire des lieux), je présenterai au public, avec d’autres artistes, événements et expos.»
On se souvient aussi de ses toiles d’un expressionnisme «baconien». Là où les patients de l’Hôpital de la Croix sont croqués sans concession par son pinceau avide de témoigner d’une humanité souffrante. Dans un décor dépouillé où dominent folie, contours rêveurs ou inquiétants, regards vides ou hagards, couleurs diluées ou fortes, atmosphère blafarde et dérangeante. Un arrêt sur images: les Libanais sous le signe du désarroi, de l’angoisse et des traumatismes de la guerre.
Est-ce que cela a vraiment changé ? Même si le canon s’est tu et que les balles ne sifflent plus sur les routes entre des immeubles rongés par la lèpre de la violence. Mais qu’y a-t-il de vraiment changé? Le fusil de l’adversité, plus sournoisement, qui a peut-être changé tout simplement d’épaule... Pour des citoyens qui se gavent de somnifères et de tranquillisants, massivement atteints des nerfs, ces toiles sont plus que jamais d’une brûlante actualité.
Voyageur infatigable (comme autrefois ses navettes à bicyclette!), de Montréal et Laval jusqu’en Suisse, en passant par Paris, Georges Nadra a jeté le pont, en étapes majeures, pour plus d’une quinzaine d’expos personnelles. Depuis 1988, un périple à maillons multiples, pour rencontrer le public et diffuser l’évolution de sa peinture. Dans le sillage d’une dynamique où la création revêt un caractère ouvert. Comme ses toiles toujours en chantier. Gestation créative qui a attiré l’attention de plus d’un. Et visiblement soulignée par un critique étranger.
En substance, dans son dernier catalogue de présentation, ce critique (Bernard Levy) écrit, en parlant des toiles de Nadra: «Chacune n’est que la mosaïque d’une fresque. Volontairement inachevée comme pour appeler une suite, chaque toile tisse une fresque inachevable et perpétuellement renouvelée comme la peau.»
Amoureux de l’écriture picturale d’Anselm Kiefer, Sarkis, Bacon et Christian Boltanski, adepte de la narration abstraite dans ses variantes aux mouvements d’une fausse régularité, avare de couleurs mais marieur heureux des lignes syncopées et des tonalités douces ou sourdes, tranchant ou volubile dans ses dessins aux aspérités tendres ou rugueuses, Georges Nadra est davantage pour une peinture abstraite. Une syntaxe qui se laisse apprivoiser et découvrir.
Il le dit d’ailleurs sans ambages: «Peindre, c’est harmoniser en “désharmonisant” (on peut bien passer ce barbarisme à un homme voué aux tubes et aux brosses plutôt qu’aux mots. Montaigne ne disait-il pas “que le Gascon y aille si le Français n’y va pas”?). La couleur reste pour moi un prétexte pour jouer au chaud et au froid. L’ombre a aussi sa présence. Surtout avec le travail du froissement de papier. L’harmonie est faite de contradictions et je reproduis cela dans mes huiles, mixed média, fusains, collage et installations. Ce sont des moments visuels à impression de répétitions.»
La paix et la sérénité se sont bien installées dans le corps et l’esprit de Georges Nadra depuis ce funeste accident avant son départ de Beyrouth. Les godasses qu’il porte aujourd’hui en sont une séquelle et une illustration éloquente. Une voiture l’avait renversé du vélo et c’est en ambulance, sirènes hurlantes et gyrophare tournant qu’il est emmené à l’aéroport pour Paris. Une bourse et une vie nouvelle l’attendaient.
Pour ce jeune homme qui voulait absolument sortir du bourbier libanais, l’occasion, à tout prix, même sur une civière ou un brancard, ne pouvait se rater! Avec le recul du temps, il parle de ces instants douloureux avec sagesse et presque avec bonne humeur: «Oui, l’optimisme m’a toujours guidé, même aux moments les plus noirs, dit-il. Des projets j’en ai plein la tête, les toiles et les pinceaux. Quand je ne peins pas, je suis très vulnérable. Ce n’est que quand je suis dans la coquille de mon atelier que je suis fort. Aujourd’hui, plus que jamais, j’espère... Je suis un homme heureux car j’ai une raison de vivre. Celle de peindre. Je peins: c’est mon seul et unique prétexte...»

Pour plus d’informations, visitez le site Web de Georges Nadra à l’adresse suivante : georgesnadra.fr
On se souvient de ce grand gaillard aux sourcils broussailleux. Cheveux et barbe de pâtre grec, aphone (tous ont cru à un mutisme inexpliqué), il sillonnait Beyrouth en temps de guerre en vélo, polo au vent ou ciré jaune sur le corps, bottes en caoutchouc aux pieds pour livrer des journaux. Mordu de peinture, élève de Paul Guiragossian, encouragé par Chamoun, Jurdak et Najem...

commentaires (1)

Il a mangé seulement de " LA VACHE ENRAGÉE " ou il est "ARRIVÉ COMME UN CHIEN DANS UN JEU DE QUILLES" ?

SAKR LEBNAN

07 h 43, le 02 avril 2013

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Commentaires (1)

  • Il a mangé seulement de " LA VACHE ENRAGÉE " ou il est "ARRIVÉ COMME UN CHIEN DANS UN JEU DE QUILLES" ?

    SAKR LEBNAN

    07 h 43, le 02 avril 2013

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