Rechercher
Rechercher

Culture - Musique

Magistrale interprétation de Beethoven par Abdel Rahman el-Bacha

Pour le septième concert du Beirut Chants Festival, l’église Saint-Louis des capucins a réservé un accueil triomphal au prodigieux talent de pianiste de Abdel Rahman el-Bacha. Au menu, trois sonates de Beethoven, empreintes d’une sensibilité d’un écorché vif et d’un battant, magistralement interprétées.

Un programme fastueux offert par Abdel Rahman el-Bacha. Photo Michel Sayegh

Les mélomanes ont afflué en masse pour applaudir Abdel Rahman el-Bacha, un des meilleurs pianistes libanais vivant à l’étranger, des plus appréciés et des plus aimés. L’espace bondé, le public étant venu très tôt l’attendre, les portes ont été solidement fermées à huit heures pile. Bonne leçon de discipline et de rigueur dans l’anarchie libanaise. Du jamais-vu dans les annales des concerts : certains mélomanes, exclus à cause de leur retard, avaient plaqué leurs oreilles en toute humilité et docilité sur les battants en bois des portes pour écouter les notes qui s’en échappaient déjà.
L’église Saint-Louis des capucins plongée dans la pénombre n’a gardé que l’aire de l’autel illuminée. Quatre spots dardent de leur lumière un grand piano noir à queue au couvercle reflétant fresques et vitraux. À côté de la colonne de la nef de droite, scintille un sapin de Noël aux boules multicolores boostées par des colliers de lumière. Le vrai cadeau n’est pas au pied de cet arbre, mais entre les doigts d’un artiste qui a donné droit de parole – et avec quel brio – au plus génial maître de Vienne.
Aminci et droit dans un costume sombre, les cheveux (déjà ! ) sel et poivre coupés très courts, le visage impassible et impénétrable, Abdel Rahman el-Bacha, maître de cérémonie, a laissé ses doigts de magicien courir, telles des tarentules folles et insaisissables, au plus profond des touches d’ivoire. Pour mieux tirer non seulement les nuances sonores les plus subtiles, mais aussi toute la chair des confidences d’un Beethoven bouleversant. Au menu, pour une soirée dédiée au compositeur de Fidelio et de l’Héroïque et pour un clavier habité de féerie, trois des plus belles et célèbres sonates.
Du tempérament, du romantisme et, entre quête de paix et intériorité explosive, un torrent d’images sonores d’une richesse inouïe. Un programme fastueux. Même pour les non-mordus de la narration beethovenienne. Mais est-ce que cela existe ?
Ouverture avec La Sonate pathétique en ut mineur op13 (trois mouvements : grave allegro di molto e con brio, adagio cantabile et rondo allegro). Œuvre brillante et novatrice, elle déploie des contrastes, des rythmes et des cadences qui affranchissent Beethoven des jougs de Haydn et Mozart. Pour beaucoup, cet opus est considéré comme l’une des premières œuvres pianistiques majeures de Beethoven.
Accords diminués, fortissimos rageurs, silences qui en disent long sur un discours sous tension, tumulte éruptif de la passion, voilà autant de modulations que la musique transcrit avec véhémence et douceur. Douceur notamment dans cet adagio d’une paix angélique et d’une fluidité de mercure.
Suit la Sonate en ut mineur op 27 n°2, quasi une fantasia, dite Clair de lune. Là aussi, trois mouvements (adagio sostenuto, allegretto, presto agitato) pour la célébration d’un romantisme fougueux. On s’arrête sur l’appellation de « Clair de lune », donnée à l’opus quatre ans après sa publication par le poète Ludwig Rellstab. Il voyait là l’évocation d’un clair de lune, quand Beethoven confie qu’il s’agit de fantômes traînant leurs chaînes dans un château... Peu importe ce malentendu, mais le public semble avoir définitivement opté pour la vision des rayons lunaires. Mais cela n’empêche pas de lire dans cette œuvre, aux lignes chargées de chromatismes étourdissants, de decrescendo et d’ostinato, toute la gravité de la surdité débutante. Ravage d’une âme en peine et crainte d’un musicien en proie aux premiers assauts d’une défaillance qui avance à grands pas. Moment de lumière toutefois pour ces colorations sombres avec un allegretto porté par une joie pétulante. Comme un répit dans une douleur qui tenaille. Et le clavier, qui tient l’auditeur en haleine, le dit avec une éloquence superbe.
Pour conclure, la Sonate n°23 en fa mineur op 57, dite Appassionata. Vingt-troisième sonate du maître de Vienne (en tout, il a écrit trente-deux sonates, mais en réalité on en dénombre 35!), elle donne en toute impétuosité toute l’ampleur et la puissance d’une narration mugissante, rugissante. Autre point commun avec les sonates interprétées : trois mouvements (allegro assai, andante con moto et allegro, ma non troppo-presto) pour parler de la course après le temps, la vie. Le combat désespéré contre la maladie. La tourmente du cœur.
Tout Beethoven est dans cette œuvre fracassante de virtuosité, d’énergie, de vélocité, de caractère. Une des plus belles définitions de cette sonate est celle de Romain Rolland : « Un torrent de feu dans un lit de granit. »
On salue bien bas le talent et la maîtrise de Abdel Rahman el-Bacha qui sait restituer à ces partitions, débordantes d’un humanisme qui se révèle en toute sincérité, toute leur part de beauté magnétique, de force titanesque et d’émotion pure. Et sans la moindre trace d’une faille, même dans les chromatismes les plus acrobatiques, les plus périlleux. Ou les silences. Silences si essentiels dans les derniers opus de Beethoven, après un déluge et une tornade de notes incandescentes.
Standing ovation d’un public absolument sous la coupe d’une interprétation envoûtante, au sens absolu du terme. Deux saluts pour un bis. Comme pour ne pas quitter Beethoven, en un sillage de discret hommage, on retrouve Chopin, le prince et le poète du clavier. Un Impromptu-fantaisie en dièse mineur op66, qui reprend un thème beethovenien de presto agitato du Clair de lune. Étincelant rappel dont l’effet se prolonge brusquement comme des ronds dans l’eau qui n’en finissent pas d’arriver sur des rives livrées à la solitude, à la rêverie des braves et à la méditation...
Les mélomanes ont afflué en masse pour applaudir Abdel Rahman el-Bacha, un des meilleurs pianistes libanais vivant à l’étranger, des plus appréciés et des plus aimés. L’espace bondé, le public étant venu très tôt l’attendre, les portes ont été solidement fermées à huit heures pile. Bonne leçon de discipline et de rigueur dans l’anarchie libanaise. Du jamais-vu...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut