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Culture - Spectacle

Mathhab, comédie noire sur les pouvoirs abusifs

« Mathhab », une pièce de Tom Stoppard, un dramaturge anglais qui dénonce la tyrannie des oligarchies. Une œuvre traduite en arabe, adaptée et mise en scène par Lina Khoury sur les planches du théâtre Gulbenkian avec la participation des élèves de la LAU. Délire verbal et esprit britannique pour une comédie noire qui ne décolle pas.

La folie de deux femmes entourées de musiciens...Photo Ibrahim Tawil

Ce n’est guère en toute innocence que Lina Khoury, heureuse et audacieuse mère de la version libanaise des Monologues du vagin d’Eve Ensler, approche le texte de Tom Stoppard, digne héritier de l’esprit caustique d’Oscar Wilde.
En placide agitatrice de conscience, inébranlable rebelle aux autorités obscurantistes et fidèle amazone de la cause des femmes, elle s’attaque en toute intrépidité à l’ordre établi. Celui du pouvoir abusif, du système tortionnaire, du régime dictatorial, de l’asphyxie carcérale. Et c’est avec délectation et jubilation qu’elle s’empare des lignes de Stoppard pour les jeter dans un contexte arabe qui lui brûle les doigts, les lèvres et les habits.
Mais tout d’abord un petit mot sur le concept et la genèse de la pièce. Tom Stoppard, scénariste adulé – on lui doit Brazil et Shakespeare in Love –, a accueilli avec enthousiasme l’invitation d’André Previn – musicien au sommet, avec la consécration de l’orchestration des films Gigi, My Fair Lady et Irma la douce – pour mêler verbe et partition, réplique et ligne mélodique, dialogue et silence, phrases et mesures.
Projet hasardeux resté longtemps en gestation jusqu’à se concrétiser, aux alentours de la fin des années 70, avec l’image d’une Russie impitoyable pour les dissidents. Surtout les intellectuels contestataires. Ils étaient déclarés déments, insanes et jetés comme tels dans les asiles psychiatriques. Sans autre forme de compassion. Pour être grâcié, il faut être les moutons bêlants de Panurge. Tête baissée dans la cohue, nul n’a le droit de se distinguer. Ici on formate ferme.
De ces agissements injustes est née cette œuvre qui met sur scène deux personnages: l’un prisonnier politique et l’autre un schizophrène hanté par la musique. Et c’est là qu’André Previn installe sa fosse d’orchestre et déploie ses notes entre le cliquetis d’un triangle, les coulées d’un clavier ou les trémolos des archets sur les cordes.
Lina Khoury a gardé l’essentiel de la trame initiale, mais a joué sur l’ambivalence de la société et du sexe des protagonistes. Et elle darde les spots de la scène sur deux femmes. Deux femmes dans une chambre de maison de fous, au cœur d’une société arabe aux régimes sclérosés, aujourd’hui plus que jamais contestés, vilipendés, conspués et décriés.
Et c’est ainsi, dans un décor original et crépusculaire (signé Georges Asmar), avec chaînes qui pendouillent tels des barreaux de prison et des musiciens style gothiques, blafards, aux cheveux ébouriffés et aux yeux au beurre noir, que s’échangent des dialogues de fous. Dialogues dingues. Dialogues de sourds, surréalistes. Les goulags et autres variations de la distorsion de l’esprit humain ont des masques de barbarie bien surprenants. On n’en est pas encore revenu de notre consternante prétendue civilisation moderne.
Sous les feux de la rampe, démarrage en trombe. Une schizophrène, une vraie, bondit et rugit au milieu des violonistes, violoncellistes, pianiste et percussionniste. En lâchant, à hue et à dia, des propos encore incohérents pour les spectateurs. Elle jette son paquet de mots: obsession des notes et des mélodies. Elle est hantée par un orchestre sous sa houlette. Imaginaire que tout cela, bien entendu. Folie douce, folie violente? Folie tout court. Pour la musique de toute évidence.
En face d’elle, la prisonnière politique. Grave, posée, silencieuse. Elle ne parle pas des moyens mnémotechniques pour garder en tête un ré ou un mi en clef de sol ou en clef de fa. Pourtant, c’est une emmurée à qui la société refuse droit de parole et de cité. À moins qu’elle n’admette que ses idées l’ont conduite entre ces quatre murs. Sa folie, c’est d’être elle. Rien que cela. C’est ce que suggère, en martelant sur la table, un docteur violoniste au discours fumiste, échappé tout droit de Charenton.
Un peu plus loin de ce trio pathétique et loufoque à force de dérision et de parodie, entre fiction et réalité, la fille de Leila (dans la pièce initiale c’est Sacha, un garçon), la prisonnière politique. Frayeur de l’enfance devant l’agression de la vie et tentative de recourir à la raison par le biais de l’émotion et de la dévotion filiale.
Méli-mélo oppressant pour dévoiler les dessous de tout être qui ne joue pas selon les règles, surtout les femmes, dans une «société orchestrée» dans un souci d’uniformité, de soumission et d’atonalité. La dissonance est interdite!
Pour ce texte ardu et tout en finesse, les acteurs restent plus dans les cris, les vociférations et les gesticulations que les nuances avisées, le jeu subtil et alterné des voix posées avec discernement. Notamment l’interprétation supercliché et inutilement obséquieuse du docteur épris du violon campé par Tarek Tamim.
Si le texte de Stoppard est libanisé, il n’en reste pas moins pour certains passages dans la langue originale. C’est-à-dire du british débité cependant avec un accent marqué et très colonial. Un autre point noir pour cette transposition dans le monde arabe: il faudrait que le dépaysement soit entier sinon cela fait chiqué et apprêté. La critique qui se veut virulente et ironique prête dès lors non seulement peu à rire, mais plutôt le flanc à discussions...
Ce n’est guère en toute innocence que Lina Khoury, heureuse et audacieuse mère de la version libanaise des Monologues du vagin d’Eve Ensler, approche le texte de Tom Stoppard, digne héritier de l’esprit caustique d’Oscar Wilde. En placide agitatrice de conscience, inébranlable rebelle aux autorités obscurantistes et fidèle amazone de la cause des femmes, elle s’attaque...

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