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Culture - En librairie (ou peut-être pas)

« Fifty Shades », le sex-seller à l’eau de rose, s’empare de Beyrouth

En cet été 2012, la Grande-Bretagne nous apporte les Jeux olympiques et la Bridget Jones 2.0 : la jeune miss Anna Steel héroïne d’une trilogie torride qui suscite évidemment toutes les controverses.

Maya GHANDOUR HERT

 

C’est, apparemment, le phénomène « best-seller » ou plutôt sex-seller, de l’été. Que dis-je, de l’année. Cent trente millions de résultats sur Google lorsqu’on en tape le titre. Fifty Shades of Grey n’en finit pas d’enflammer la Toile, les discussions, l’imagination et, pourquoi pas, le quotidien de ses quarante millions de lecteurs (un chiffre à revoir à la hausse lorsque les traductions commenceront à paraître car, pour le moment, il n’est disponible qu’en anglais). Un lectorat à majorité féminine, de plus de trente ans, paraît-il. Tant et tellement qu’on lui a taillé une catégorie à sa mesure : celle de « mommy porn » (porno pour maman). Ah, ces Anglais avec leur humour so percutant, ils l’ont même étiqueté « Spankbuster » (par analogie à Blockbuster, ce terme hollywoodien qui désigne un gros succès du box-office, spank signifiant... fessée). Eh oui, vous avez bien lu, fessée, ce châtiment jadis infligé aux enfants désobéissants se décline dans cette trilogie d’une manière cuisante, avec force menottes, liens et autres accessoires « bondage » ou sado-maso.
Si, au XXe siècle, Bridget Jones, l’autre héroïne british, égrenait ses calories, ses cigarettes, sa consommation d’alcool et se morfondait sur son statut de « célibattante » dans son fameux journal, Anna Steel, elle, ne compte plus ses orgasmes sur fond de jeux de rôles dans une « Red Room of Pain » (chambre rouge de la douleur). Shocking ? De prime abord, oui. Mais en réalité, avec la platitude de l’histoire, la faible intrigue, les répétitions de mots, de descriptions (oh, comme il est beau, Christian, Oh My, Holy F...), en font un pavé agaçant plus que titillant.
L’histoire se résume en deux mots et n’a pas changé depuis le premier roman à l’eau de rose made in Harlequin. Anna, jeune étudiante nunuche sur les bords, trébuche et tombe dans les beaux bras musclés (« Oh my », s’exclame-t-elle à tout bout de champ) de Christian Grey, multimilliardaire CEO de Grey Enterprises Holdings, Inc. Elle est vierge, il a 15 « soumises » à son tableau de chasse. Elle lit les grands classiques anglais et vit en colocation avec sa meilleure amie. Lui est un prodige du clavier, beau comme un dieu grec, connaisseur de spiritueux et philanthrope d’on ne sait quoi exactement. Lorsqu’elle n’essaie pas de ranger ses boucles rebelles, elle rougit (39 fois dans le premier tome), devient écarlate (109 fois) et se mord la lèvre (40 fois).
On l’aura compris, en discuter les mérites littéraires serait pareil à proposer un doctorat autour de la migration des fourmis en Laponie au Conseil des ministres libanais.
Tout comme les sagas Harry Potter et Twilight, la trilogie Grey est le premier opus d’une mère de famille quadragénaire. L’auteure, E. L. James, affirme qu’il s’agit là de sa « midlife crisis ». Au lieu de s’offrir une voiture, un lifting ou une moto, elle a écrit un roman érotique... et même plus.
Des milliers et des milliers d’articles et des commentaires, des discussions enflammées sur les réseaux sociaux. Des critiques dans les journaux et les revues les plus « sérieuses » qui dissèquent souvent avec des termes très précieux et scientifiques la psychologie des personnages (ou leur absence), mais aussi celle du lectorat. Que de féministes se sont étranglées devant cette relation maître/esclave. Que dire de plus, donc ?
Que la trilogie Sado Maso Made in UK s’empare de Beyrouth ? « Oh my », comme dirait miss Steel. Rupture de stock et re-commandes dans les grandes librairies. De nombreuses lectrices sont allées même à télécharger la trilogie sur un e-reader. Elles ont ainsi pu le lire en douce, sans avoir à affronter le regard du libraire ou des voisins de transat à la plage.
Même les francophones qui ont tenu à le lire avant la sortie de sa traduction en octobre 2012 avouent une préférence pour la version électronique. « Le dictionnaire du lecteur me permet ainsi de comprendre certains mots », affirme l’une d’elles.
À Hollywood, il est l’objet de toutes les attentions depuis que Universal a acquis les droits du roman en mars dernier. Les studios américains ont annoncé que Michaël De Luca et Dana Brunetti produiront le long-métrage. Ils feront donc de nouveau équipe ensemble, après avoir participé au film The Social Network (2010) réalisé par David Fincher.
L’industrie mondiale de l’érotisme accueille avec un grand pragmatisme le phénomène. Certaines chaînes de sex-shops qui distribuent le livre proposent ainsi un paquet cadeau comprenant l’ouvrage et « quatre accessoires raffinés » : menottes, fouet, boules de geisha et bandeau pour les yeux.
Sur le plan local, reste à savoir si les ventes ont augmenté du côté de nos maigres étalages de « gadget stores ».
Pour certains, l’unique raison du succès réside dans la déviation. Dans le porno. Pour dire les choses plus clairement (crûment). Mais l’on peut aussi voir tout ce raz de marée comme un cas de marketing viral superbement bien orchestré.
En effet, cela sent trop le best-seller programmé à la virgule près. Et puis, les « product placements » (placements de produit, citant des marques de voitures, de vêtements, de produits high tech...). Bonjour la publicité dans l’édition. De plus, on annonce la sortie imminente de la bande son Fifty Shades. C’est dire...
Les ados ont eu Harry Potter, les grands ados Twighlight et les jeunes mamans ont... Christian Grey, le nouveau « maître de l’univers » à tendance SM. Mais, comme le dit si bien l’hebdomadaire allemand Die Zeit, « la seule expérience sadomasochiste consiste en la lecture de 600 pages mal écrites et ennuyeuses à mourir ».
Lire ou ne pas lire l’histoire cucul (sans mauvais jeu de mots) de Christian et Anna ? Telle est la question.

Maya GHANDOUR HERT
 
C’est, apparemment, le phénomène « best-seller » ou plutôt sex-seller, de l’été. Que dis-je, de l’année. Cent trente millions de résultats sur Google lorsqu’on en tape le titre. Fifty Shades of Grey n’en finit pas d’enflammer la Toile, les discussions, l’imagination et, pourquoi pas, le quotidien de ses quarante millions de lecteurs (un...

commentaires (2)

C’est surtout une formidable histoire de réussite. Apres JK Rowling, Stéphanie Meyer, voici Erika L. James qui devient multimillionnaire du jour au lendemain. Voici qui donne de l’espoir à tous les écrivains en herbe. Il suffit d’un ouvrage qui cible bien une tranche de la population avide de romans – en l’occurrence les femmes de plus de 35 ans – pour atteindre le sommet de la réussite sociale. Dans un contexte de morosité économique en Europe, les femmes de cet age ont souvent la vie dure et se retrouvent souvent seules. Finalement, quelle femme ayant enchainé pendant plusieurs années les déceptions amoureuses avec des égoïstes ou des ratés, ne voudrait pas, le temps d’un roman, s’imaginer être dominée par un jeune homme beau et multimilliardaire ? Le livre est peut-être un navet, mais son succès réside dans sa formule. Une fois qu’un certain nombre (déjà imposant) de copies est vendu, il se produit un phénomène de réseau, ou l’effet marketing devient viral : De plus en plus de personnes achètent le livre parce qu’une grande partie de leurs proches ou de leurs collègues l’a déjà lu… Et voilà qu’un bouquin devient un best-seller à l’échelle planétaire.

Jack Hakim

10 h 20, le 11 août 2012

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Commentaires (2)

  • C’est surtout une formidable histoire de réussite. Apres JK Rowling, Stéphanie Meyer, voici Erika L. James qui devient multimillionnaire du jour au lendemain. Voici qui donne de l’espoir à tous les écrivains en herbe. Il suffit d’un ouvrage qui cible bien une tranche de la population avide de romans – en l’occurrence les femmes de plus de 35 ans – pour atteindre le sommet de la réussite sociale. Dans un contexte de morosité économique en Europe, les femmes de cet age ont souvent la vie dure et se retrouvent souvent seules. Finalement, quelle femme ayant enchainé pendant plusieurs années les déceptions amoureuses avec des égoïstes ou des ratés, ne voudrait pas, le temps d’un roman, s’imaginer être dominée par un jeune homme beau et multimilliardaire ? Le livre est peut-être un navet, mais son succès réside dans sa formule. Une fois qu’un certain nombre (déjà imposant) de copies est vendu, il se produit un phénomène de réseau, ou l’effet marketing devient viral : De plus en plus de personnes achètent le livre parce qu’une grande partie de leurs proches ou de leurs collègues l’a déjà lu… Et voilà qu’un bouquin devient un best-seller à l’échelle planétaire.

    Jack Hakim

    10 h 20, le 11 août 2012

  • Dégénérescence des moeurs ! quitte à me faire traiter de : VIEILLE RELIQUE !

    SAKR LEBNAN

    22 h 30, le 10 août 2012

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