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Culture - Point de vue

L’ « Hommage aux ancêtres » de Gérard Avedissian

À l’occasion de l’accrochage du 11 au 23 avril des œuvres de Gérard Avedissian à la galerie Hamazkayin de Bourj Hammoud, nous reproduisons ci-dessous le texte de Me Ibrahim Najjar à paraître dans le catalogue de l’exposition.

L’orchestre du village.

«On peut se demander pourquoi Gérard Avedissian a-t-il, maintenant, entrepris cette œuvre peinte et pourquoi, seulement aujourd’hui, un si retentissant “Hommage aux ancêtres”?


Pourquoi un publicitaire confirmé, formé aux arcanes du théâtre en ex-Union soviétique, acteur confirmé, metteur en scène d’un étonnant éclectisme (Ubu Roi, Chafika el-Kobtiah, Sakhret Tanios, Sabah, Kalila wa Dimna, etc.) polyglotte enviable, voyageur infatigable, se met-il à la peinture de manière aussi avide, depuis 2005? Pourquoi cette addiction tardive, ces journées de dix à douze heures d’actes de création picturale? Gérard Avedissian est-il chaque fois le même, ou existe-t-il de manière aussi fractionnée qu’un homme mosaïque, toujours divers mais jamais étranger à lui-même?
La recherche de la reconnaissance ne suffit pas à tout expliquer chez cet insatiable homme de couleurs et de communication. Il se sait attiré par les “gens”, comme il dit, il veut les accrocher, les prendre par la main ; il veut qu’on adhère à son message, qu’on partage son exaltation, lui qui est toujours effervescent, aérien, intuitif et odieusement “serial séducteur”.


Il n’y a pas de réponse évidente à ce questionnement. Avedissian se retrouve dans le succès flamboyant de ses toiles. Autodidacte en dépit de quelques années d’initiation au dessin et des travaux de copiste de Paul Klee et de Cézanne, c’est son Soldat de Smyrne qui le révèle à lui-même. En 2005, rentré au Liban pour retrouver la brillance de cette luminosité d’Orient, Avedissian est sélectionné trois fois pour le Salon d’automne du musée Sursock, exposé dans des galeries de renom au Koweït, au centre-ville et à Souk el-Najjarine. Il n’y a pas que la politique qui secrète son propre virus, mais aussi la réussite, le succès, le talent reconnu, le message qui convainc. Les coreligionnaires de cet authentique libano-arménien de Aïn el-Mreyssé n’aiment pas le centre de Beyrouth reconstruit, il va vers eux à Bourj Hammoud, dans la galerie Hamazkayin. Il faut qu’on le sache, qu’on se le dise, qu’on dise à ce peintre nouveau, qu’on l’admette dans ce qu’il a toujours été, un enfant du hasard et de l’amour. L’amour de deux parents orphelins, retrouvés et recueillis chacun par une belle âme, nés, paradoxalement, dans un même village d’Arménie, Yozgad, et qui, par-delà les pérégrinations de ce grand peuple austère, ont su refuser qu’on les tienne en otage : ils se marient “khatifé” et mettent au monde ce coloriste immense. Pourquoi maintenant cette œuvre peinte? Parce que le temps du repos est celui non pas de la sagesse qui dort, mais de la sérénité des retrouvailles avec son fondamental, son arménité, sa libanité, son universalité. Les ancêtres sont dès lors le point d’ancrage, l’alpha, mais pas encore l’oméga.


Qu’on ne se demande donc pas pourquoi l’“Hommage aux ancêtres”. Ils sont l’identité première.


Après avoir écouté une conférence de M. Boris Cyrulnik à la Résidence des Pins, il y a quelques semaines, je peux donner un nom à ce que Gérard Avedissian appelle “Hommage aux ancêtres”. Il s’agirait de l’une des manifestations de “la psychologie de l’exil”; celui, justement, des ancêtres, leurs silences, leurs souffrances, leurs souvenirs, leur culture, les saveurs de leur cuisine, leur langue et leur langage. Tout cela est transmis aux enfants, petits-enfants, finalement acculturés, intégrés, normalisés, admis comme des citoyens à part entière. L’exil n’est plus qu’un souvenir lointain, il faut l’exorciser, parler aux lieu et place de ses parents et grands-parents, crier et dire tout haut ce qu’ils ont longtemps tu; c’est l’expression qui s’impose si l’on veut reconquérir son fondamental arménien, pour exister à la fois en tant qu’Arménien et comme Libanais, citoyen du monde. Les émigrés libanais en savent beaucoup sur ce calvaire.


Quel parcours! Quelle liberté! C’est dans la créativité qu’on réussit le mieux à se dépasser, à noyer l’humeur dans l’espoir, à traverser le temps dans l’attente d’une reconnaissance. Mais je ne suis pas ici pour parler de Gérard Avedissian en tant que publicitaire, globe-trotter du théâtre libanais et universel le plus improbable et le plus difficile à mettre en scène, conquéreur des téléspectateurs les plus humbles et des marques commerciales les plus connues.


Je ne veux pas évoquer les langues parlées, russe, anglaise, arabe, française, arménienne, etc. Il semble que le fait de posséder plusieurs langues aide à s’adapter à l’exil. Je dois surtout évoquer l’œuvre peinte de ce coloriste immense.
Il faut avoir vu ces pleureuses au Salon d’automne de 2012, pour comprendre comment les scènes de la vie et de la mort, de la photo de mariage et du portrait sont refaites, reproduites, rhabillées, costumées, recadrées, enrichies de costumes d’époque. Ces photos, d’avant le génocide – qu’on commémore le 15 avril –, racontent la vie des villages où la séance du portrait était en soi un événement, les cérémonies de véritables moments de la mémoire collective.


Gérard Avedissian a recréé une fabuleuse iconographie de son peuple, parfois à partir d’une longue et patiente recherche qui remonte aux miniatures du douzième siècle. C’est la muséologie du metteur en scène, incorrigible, qui reconstruit chaque fois son théâtre privé, toujours étonné qu’on aime ce que ses mains commettent, un crime du bon goût, une incandescente histoire dans chaque tableau, où chaque personnage dit bien sa présence, malgré les décennies.


Cette œuvre, dont le pendant, accolé à l’art islamique et ses harems, meuble un autre versant de la personnalité de Gérard Avedissian, est toujours un théâtre inattendu. Avec l’art consommé de la mise en scène, c’est-à-dire la prodigieuse capacité d’une créativité continue.
Les “ancêtres” ne meurent jamais, ils sont sur les cimaises de Gérard Avedissian.»

Ibrahim NAJJAR

«On peut se demander pourquoi Gérard Avedissian a-t-il, maintenant, entrepris cette œuvre peinte et pourquoi, seulement aujourd’hui, un si retentissant “Hommage aux ancêtres”?
Pourquoi un publicitaire confirmé, formé aux arcanes du théâtre en ex-Union soviétique, acteur confirmé, metteur en scène d’un étonnant éclectisme (Ubu Roi, Chafika el-Kobtiah, Sakhret...

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