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Culture - Vient de paraître

Le « Kamal Jann » de Dominique Eddé, ou « le visage in(humain) d’un monde défait »

Le titre déjà annonce la couleur ! « Kamal Jann », le dernier ouvrage de Dominique Eddé, est un roman sombre et dense. Une fiction qui croque, sous les traits du héros, le vrai « visage » du Moyen-Orient. Un monde au bord de l’anéantissement, déchiré par ses ambivalences, victime de sa complexité envoûtante.

« Je n’ai pas décidé du sujet de ce livre ou à peine (...). Il était là, dans l’air du temps », affirme Dominique Eddé.

Romancière et essayiste, journaliste et, à l’occasion, polémiste – elle a notamment signé en juillet 2006 dans Le Monde la fameuse «Lettre à des Israéliens» –, Dominique Eddé suit depuis longtemps les remous de l’histoire contemporaine de la région dont elle est issue.
De ces «nombreuses années d’observation, de notes et de réflexion sur un monde moisi, marqué par la répétition négative, l’abus de pouvoir, l’impunité, la confiscation des destins» est né Kamal Jann, son dernier roman, publié aux éditions Albin Michel. Une fresque de 454 pages charriant, à coup de phrases courtes, raides, haletantes, des vies brisées comme du bois mort emporté par les eaux d’un fleuve démonté. Des existences mutilées et tronquées d’auteurs ou de victimes de la ténébreuse politique moyen-orientale.
À commencer par celle du héros principal. Ce Kamal au patronyme étrange. Être de séduction et de malheur. Il a le charisme envoûtant de ceux que plus rien n’atteint, ayant tout perdu. Ce brillant avocat d’affaires, d’origine syrienne, tient sous son charme énigmatique son entourage new-yorkais de financiers, artistes et mécènes. Parfaitement intégré, du moins en apparence, à la société occidentale dans laquelle il évolue, Kamal Jann est en réalité un homme habité par le passé. Dévasté par l’assassinat de ses parents ordonné par son oncle, l’omnipotent chef des services de renseignements lors des massacres de Hama. Mais aussi irrémédiablement détruit par l’ambiguë affection que ce même oncle voua au jeune garçon qu’il était.
Autour de cette figure centrale et ô combien symbolique gravitent d’autres personnages tous aussi déformés par la proximité du pouvoir, de son cynisme, ses manipulations, ses cruautés, ses bassesses. À commencer par les femmes, dont l’auteure livre le portrait de trois générations. Ces Orientales qui de jeunes indolentes à l’érotisme torride se durcissent avec l’âge pour «ouvrir la voie à l’homme qui sommeillait en elles». Mais aussi, différents protagonistes évoquant des acteurs clés de la région: apparatchiks corrompus, agents secrets de tout poil, militants islamistes (dont le jeune frère de Kamal Jann)...Tout ce beau monde s’alliant et s’entre-tuant sur le mode des «meilleurs ennemis»!
Mais il y a aussi ceux que Dominique Eddé appelle «les lumières allumées»: ces êtres démunis, souvent fatigués, mais toujours capables d’aimer.
Des personnages pris dans les mailles de la violence, des intérêts politiques, de la répression policière, de l’oppression familiale et intime, de la trahison... Et qui, de Damas à New York, en passant par Beyrouth, Hama et Paris, donnent corps à une polyphonie romanesque captivante s’étendant sur deux mois, septembre et octobre 2010. Un thriller politico-familial au souffle puissant de tragédie grecque transposée sur la scène actuelle du monde arabe. Mais aussi une formidable fresque psychologique, tant les portraits des personnages sont visuels, vivants, fouillés. Un roman multiple, ambitieux et profond, également sous-tendu par une réflexion métaphysique sur la mort, le temps, «la question du temps – des heurts et conflits entre le temps court (waqt) et le temps long (zamân)» – qui préoccupe l’auteur depuis toujours.
Cet ouvrage, fruit donc d’une longue gestation, l’auteure dit n’avoir «pas décidé son sujet ou à peine. Je me suis isolée et mise en état de concentration. Je l’ai ressenti comme on ressent l’humidité d’un lieu. Il était là, dans l’air». Ce roman n’en apparaît pas moins prémonitoire. Car Dominique Eddé en a terminé la rédaction deux mois avant que les révoltes arabes ne se mettent en branle. Troublée par la rencontre entre son roman et l’histoire, elle précise qu’ il s’est agi pour elle «de tenir tous les bouts, de trouver une écriture et une forme capables de restituer la cohérence de la décomposition. J’ai essayé de faire vivre le visage humain, inhumain, d’un monde défait».
Un roman qui, au moyen d’une plume sensible et habile à restituer la détresse, témoigne de la force de la fiction dans la compréhension des destins individuels et collectifs. À lire et conserver dans sa bibliothèque!
Romancière et essayiste, journaliste et, à l’occasion, polémiste – elle a notamment signé en juillet 2006 dans Le Monde la fameuse «Lettre à des Israéliens» –, Dominique Eddé suit depuis longtemps les remous de l’histoire contemporaine de la région dont elle est issue. De ces «nombreuses années d’observation, de notes et de réflexion sur un monde moisi, marqué...

commentaires (1)

Oui le roman est remarquable et relève bien de la tragédie grecque quand la famille, le clan, la firme se substituent à la Cité et que règne une criminalité supérieure sans Loi hors champ du politique: fascinant et terrifiant. Merci pour ce bel ouvrage!

Beauchard Jacques

05 h 39, le 08 février 2012

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Commentaires (1)

  • Oui le roman est remarquable et relève bien de la tragédie grecque quand la famille, le clan, la firme se substituent à la Cité et que règne une criminalité supérieure sans Loi hors champ du politique: fascinant et terrifiant. Merci pour ce bel ouvrage!

    Beauchard Jacques

    05 h 39, le 08 février 2012

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