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Culture - Spectacle

Une mordante satire sociale de Raymond Gebara

Rattrapé par le temps et miné par la maladie, Raymond Gebara, un des piliers du théâtre libanais, n’en est pas moins aujourd’hui un bel esprit. Et qui a du mordant. En témoigne sa dernière création dramaturgique (écriture et mise en scène) « L’assasinat de Inna et de ses sœurs » sous les feux de la rampe du théâtre de l’Université de Notre-Dame de Louaizé, à Zouk Mosbeh*.

Le plombier, la secrétaire et le linguiste.   (Photo Michel Sayegh)

Edgar DAVIDIAN

 

Salle comble pour Raymond Gebara qui a signé des textes percutants et virulents par le passé et dont les mises en scène se caractérisent toujours par un jeu maîtrisé des acteurs sous sa direction. Fidèle à cette image de marque, il présente au public cette «Inna», locutions et phrases assassines se référant au monde de la grammaire et de la syntaxe arabe. Et par extrapolation de cette entourloupe linguistique, en une subtile métaphore, Gebara arrive au mal (et malaise) de vivre, si endémique actuellement, du citoyen libanais.
Par-delà négligence, misère, laisser-aller et irresponsabilité, au moment même de cette hécatombe où un immeuble entier s’effondre littéralement sur la tête de ses malheureux habitants à Achrafieh, Gebara défend, en toute férocité et lucidité, la dignité humaine. Une dignité humaine si bafouée en ce pays de Cèdre où pourtant on loue si fallacieusement sa dolce vita. Risible et caricatural cliché quand on songe à l’angoissante réalité qui n’émeut guère ses insouciants gouvernants préoccupés à s’entredéchirer pour mieux se gaver et se partager le gâteau.
Par-delà ironie, dérision, sarcasme et drame, c’est ce que dénonce Raymond Gebara, avec un chapelet de mots décapants qui vont droit au cœur.
Sur une scène presque nue, sauf un banc, une table et un écran, arrivent trois personnages névrotiques, mal dans leur peau, pathétiques pantins d’une destinée perfide. Un professeur de linguistique arabe déluré et inquiétant, un plombier légèrement timbré et non éduqué et une secrétaire comme échappée d’une bande dessinée de Spirou avec ses mimiques de frustrée et de bigote ingénue. Mais les apparences ne sont pas toujours ce qu’elles sont...
Le lieu de la rencontre est celui d’un hall d’attente dans une école. Raison administrative diverse pour cette réunion en antichambre du bureau de la directrice, une nonette portant une coiffe à cornettes démoniaques et aux jupes relevées, campée par un homme à barbichette à la démarche sautillante et hystérique.
D’abord, renvoi impromptu du maître d’école. Panique et crise de nerfs. Ensuite, punition du fils du plombier pour avoir fait ses besoins incontinents. Hébétement et fébrilité du père au piquet jusqu’au relâchement du rejeton. Et, finalement, barbouillage de secrétaire (sur une machine à taper anachronique L.C. Smith!!!) inutilement affairée comme toutes les secrétaires qui gigotent et perdent laborieusement du temps.
Tableau surréaliste et tendu, surtout lorsqu’absurdité «ionescienne» et incommunicabilité «adamovienne» lient ces personnages fantasques, car tous les trois coupés de la réalité et comme échappés à un asile d’aliénés...
En un discours pompeux et délirant, le professeur revient, avec ses tics, ses obsessions de culture, sa suffisance de lettré, ses hantises et sa révulsion à tout contact, à un besoin d’intégration et de reconnaissance sociale. Vie digne que recherche également ce pauvre hère de plombier aux poches vides et poursuivi par ses créanciers. La secrétaire, finaude avec ses sentiments et son intuition de femme, intrigue pour se trouver une place entre la folie et la démesure d’un intellectuel et l’affection rustre d’un analphabète.
Excédé par le harcèlement du prof qui revient à la charge du purisme littéraire de «Inna», symbole du conformisme, de la convenance et des règles de jeux de la société, le plombier, criblé de dette et jeté sans ménagement hors de sa maison, étrangle cet éducateur tyrannique et compulsif qui l’emme... et ne résout aucun de ses problèmes existentiels...
Talent majeur de Raymond Gebara de tenir en haleine son public par une histoire de fous, un paquet de mots savamment distillés et distribués avec doigté à trois bons acteurs, passeurs d’émotions (Julia Kassar, Rifa’at Tarabey et surtout Gabriel Yammine, qui use avec brio d’une palette d’expressions touchantes) qui donnent au texte crédibilité, cohésion et épaisseur.
Un théâtre qui ne prive pas l’audience de divertissement, tout en tablant sur l’agitation de conscience et le frémissement des cordes sensibles.
«Rien n’est plus drôle que le malheur... C’est la chose la plus comique du monde» explique Nell dans La fin de partie de Beckett dont la filiation avec Gebara n’est pas à ignorer. Il y a là, dans ces vocables qui volent comme des nuages menaçants et ces situations misérables et douloureuses, d’une condition humaine souffrante, un humour noir, grinçant, cocasse, presque trivial.
Malgré une petite longueur et certaines redites d’un discours linguistique à double sens dont on a vite compris la teneur, L’assassinat de Inna et de ses sœurs reste un grand moment de théâtre, une belle performance de comédiens et une œuvre de la maturité chez Raymond Gebara.

* « L’assassinat de Inna et de ses sœurs » de Raymond Gebara se donne encore le dimanche 22 janvier au théâtre de la NDU, à Zouk Mosbeh. À 20h30.

Edgar DAVIDIAN
 
Salle comble pour Raymond Gebara qui a signé des textes percutants et virulents par le passé et dont les mises en scène se caractérisent toujours par un jeu maîtrisé des acteurs sous sa direction. Fidèle à cette image de marque, il présente au public cette «Inna», locutions et phrases assassines se référant au monde de la grammaire et de la syntaxe arabe....

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