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Économie - Interview

L’économie doit être au service de l’homme, et non conduire à son asservissement

Raymond Sfeir explique à « L’Orient-Le Jour » les fondements et les finalités des EDC (Entrepreneurs et dirigeants chrétiens).

Crise financière, politique d’austérité, chômage, pauvreté... L’économie mondiale semble de plus en plus empêtrée dans un cercle vicieux. Alors que les raisons de cet échec varient selon les analystes, l’Église catholique estime que la finalité de l’économie doit être l’homme. L’élection du pape François, appelé désormais le pape des pauvres, montre l’intérêt de plus en plus croissant de l’Église pour ce sujet. Déjà le pape émérite Benoît XVI dénonçait en des termes particulièrement sévères les sociétés contemporaines qu’il accuse de rabaisser les travailleurs dépendants au rang de « biens mineurs » et l’être humain à celui de « capital humain » ou de « ressource ». S’adressant récemment aux responsables catholiques réunis pour l’assemblée plénière du conseil pontifical « Justice et paix », Benoît XVI avait demandé « l’accès au travail pour tous, objectif toujours prioritaire, même dans les périodes de récession », fustigeant un « capitalisme financier dérégulé ».


Pour Raymond Sfeir, fondateur d’EDC Liban (Entrepreneurs et dirigeants chrétiens), « c’est l’encyclique “Rerum novarum” (Des choses nouvelles), publiée en 1891 par le pape Léon XIII, qui constitue à l’origine le texte inaugural de la doctrine sociale de l’Église catholique ». Ce texte a attiré l’attention sur les ouvriers et leurs conditions de travail, la misère dans les usines, etc.


Ce n’est que plus tard que le patronat chrétien en France a commencé à s’organiser, vers le milieu de la première moitié du XXe siècle, pour se développer et évoluer d’un mouvement corporatiste à un mouvement social.
Actuellement on dénombre plus de 2 000 chefs d’entreprise en France qui font partie des EDC. Au niveau mondial, Uniapac (Conférences internationales des associations de patrons catholiques) a été créée en 1931. Elle rassemble 16 000 chefs d’entreprise appartenant à 32 pays.
« Nous sommes une trentaine par section. Nous nous réunissons une fois par mois. L’un de nous traite un sujet qui fait l’objet d’une discussion au sein de plusieurs petits groupes. Tout ça en 2 ou 3 heures maximum. »

La solitude du chef d’entreprise
Certains sujets sont d’une importance capitale pour un chef d’entreprise qui a besoin de se ressourcer humainement. « À force d’écouter chacun parler de ses problèmes, de ses réflexions, on se sent moins seul, parce que le chef d’entreprise est toujours seul tout en haut de la pyramide où il ne partage pas », affirme M. Sfeir. Là, il peut partager, non seulement sur des sujets matériels, mais aussi et surtout sur des questions spirituelles.
C’est ainsi que naissent des réflexions menant vers des notions comme celle de la « justesse », issue directement des paroles du Christ qui s’adressait à saint Jean-Baptiste en lui disant : « Il est nécessaire de parfaitement faire ce qui est juste » (Matthieu : 3,13-17).
« C’est le devoir même d’un chef d’entreprise, qui n’a pas le droit de mal faire, ou de se tromper, au risque de subir immédiatement les conséquences », estime-t-il.


Raymond Sfeir passe à une autre notion chère aux patrons, celle de la « subsidiarité ». « Il s’agit de permettre à nos partenaires – et non pas salariés – de les emmener au bout de soi-même », ajoute M. Sfeir. « C’est notre rôle de chercher les talents qui leur ont été donnés, et de les pousser au maximum. Et pour le faire, il faut savoir que chacun peut glisser. Et dans ce cas, il faut être prêt pour le retenir », affirme-t-il.
« C’est ainsi que nous aidons nos collaborateurs à progresser. Non seulement au sein de l’entreprise, mais également vers Dieu. Et nous sommes payés en contrepartie. On ne fait pas de cadeau, même si on le fait de gaieté de cœur », précise M. Sfeir.
Il passe ensuite à la notion de « conscience ». C’est être à l’écoute de ce qui se passe autour de soi, de chacun. « C’est ainsi qu’un chef d’entreprise soutient par exemple une ouvrière qui a quatre enfants à la maison et dont le mari est en prison. On ne peut pas juste lui verser son salaire normal. Dans ce cas, une contribution personnelle discrète est nécessaire », ajoute-t-il, tout en introduisant encore une autre notion, celle de « responsabilité ». M. Sfeir la traduit en ces termes : « Celui qui sait et qui a, doit. »
C’est donc tous ces éléments qu’on essaye de creuser lors de nos rencontres, explique-t-il.

Un regard différent
Pour Raymond Sfeir, « les chefs d’entreprise sont confrontés à longueur de journée, d’une part au marché, d’autre part aux fournisseurs, mais aussi à nos actionnaires, et surtout à nos salariés ». C’est donc une aventure incroyable. « Alors naturellement, nous essayons d’avoir sur les questions économiques un certain regard qui soit à la fois réaliste, social, mais aussi exigeant. »


Tout cela pour dire que les fondements sont très importants. « Sans de bonnes bases, solides et simples, on ne peut pas construire. » Une maison se construit par le bas, et non par le haut. Pour expliquer son idée, M. Sfeir mentionne un proverbe japonais très percutant : « À la guerre, un tambour fait beaucoup de bruit, mais seule l’épée coupe les têtes. »


À partir de ce contexte, 32 associations chrétiennes se sont réunies en France, durant quatre ans, sur le plan régional et national. Le résultat de ces rencontres a été la publication en France d’un livre blanc intitulé « Dialogue pour une terre habitable ».


À partir de ce résultat, Raymond Sfeir estime que les chrétiens d’Orient peuvent jouer un rôle prépondérant dans ce domaine. Le livre a ainsi été traduit en arabe, et il a été envoyé à 1 740 personnalités arabes. Les réactions ont été chaleureuses. Un second livre a été publié, traduit en arabe et distribué au Liban et dans les pays de la région, connaissant également le même succès.


En 2011, EDC Liban a invité 70 chefs d’entreprise, chrétiens et musulmans, de 17 pays pour un colloque de deux jours autour du thème de la responsabilité sociale des entreprises. Le résultat a été tellement impressionnant que tout le monde a demandé à aller plus loin. D’où l’idée de la conférence de Beyrouth qui aura lieu les 25 et 26 mars et qui s’inscrit dans un cadre beaucoup plus important, « celui du rôle de l’économie, qui doit être au service de l’homme, et non conduire à son asservissement  ».


L’être humain n’a plus aucun sens. En tant que fidèles, chrétiens ou musulmans, ce n’est pas ce à quoi on croit, ajoute Raymond Sfeir qui dénonce « une vie sans sens sans nos valeurs ».


M. Sfeir affirme toutefois que les membres d’EDC n’ont des leçons à donner à personne. « Nous avons à nous exprimer, et les leçons, nous les donnons à nous-mêmes, en les appliquant dans nos entreprises. »
« Ce n’est qu’après qu’on peut tendre la main loin de son corps pour serrer la main du voisin, parce qu’on est sûr de ses valeurs et de ses croyances », conclut-il.

 

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