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Moyen Orient et Monde - Le billet

Flaubert, la domestique et les cheikhs

Une employée de maison dans le Golfe. Archives AFP

À Dubaï, rapporte le quotidien Gulf News, le département crimes et investigations de la police vient de créer un prix pour les domestiques « bien élevés », dans le cadre d’une campagne intitulée « Aide domestique, précautions et accusations ». Cette campagne vise à « réduire le nombre de crimes commis par les domestiques » à Dubaï, poursuit Gulf News, en encourageant les employés de maison à établir de bonnes relations avec les familles pour lesquelles ils travaillent, a expliqué le lieutenant-colonel Ahmad Humaid al-Merri, responsable au sein du département crimes et investigations de la police.
Les familles, a-t-il précisé, peuvent recommander, pour ce prix, un de leurs domestiques ayant fait preuve d’un comportement exemplaire. Les lauréats du prix recevront des « cadeaux » de la police.

En 1857, Gustave Flaubert n’évoquait pas autre chose avec son portrait d’une vieille domestique dans Madame Bovary.
Et si nous mettions ce passage à la sauce golfiote ?

« Mary Grace Andrada, de Manille, pour cinquante-quatre ans de services dans la même famille, une médaille d’argent offerte par la police de Dubaï – du prix de 100 dollars.

Où est-elle, Mary Grace Andrada ? » répéta le lieutenant-colonel Ahmad Humaid al-Merri. »
Elle ne se présentait pas, et l’on entendait des voix qui chuchotaient :
« -Vas-y !
-Non
-À gauche !
-N’aie pas peur !
-Ah ! Qu’elle est bête !
-Enfin ! Y est-elle ? s’écria l’officier Mohammad.
-Oui ! ... la voilà !
-Qu’elle approche donc ! »

Alors on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme de maintien craintif et qui paraissait se ratatiner encore dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses sandales en plastique, et le long des hanches un grand manteau noir. Son visage maigre, entouré d’un voile terne, était plus plissé de rides qu’une datte flétrie, et des manches de sa tunique dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière du désert, la soude des lessives et le manche à balai les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies qu’elles semblaient sales quoiqu’elles fussent rincées d’eau claire ; et à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies. Quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure. Rien de triste ou d’attendri n’amollissait ce regard sombre. Dans la fréquentation des anciennes bonnes du palais, elle prit leur mutisme et leur placidité. C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse, et intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en dechdéché, et par le Glock 17 du lieutenant-colonel ; elle demeurait toute immobile, ne sachant s’il fallait avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait devant ces cheikhs épanouis ce demi-siècle de servitude.

« -Approchez, vénérable Mary Grace Andrada ! » dit le lieutenant-colonel Ahmad Humaid al-Merri, qui avait pris des mains de cheikh ben Zayed la liste des lauréats et, tour à tour examinant la feuille de papier puis la vieille femme, il répétait d’un ton paternel : « Approchez, approchez ! »
« -Êtes-vous sourde ? » dit l’officier Mohammad en bondissant sur son fauteuil ; et il se mit à lui crier dans l’oreille : « Cinquante-quatre ans de services ! Une médaille d’argent ! Cent dollars ! C’est pour vous ! »

Puis, quand elle eut sa médaille, elle la considéra. Alors un sourire de béatitude se répandit sur sa figure et on l’entendit qui marmottait en s’en allant :
« -Je la donnerai au curé de chez nous pour qu’il me dise des messes. »
« -Quel fanatisme ! » s’exclama un cheikh en se penchant vers un autre.
Mais la séance était finie. La foule se dispersa; et maintenant que les discours étaient lus, chacun reprenait son rang et tout rentrait dans la coutume : les maîtres rudoyaient les domestiques.
À Dubaï, rapporte le quotidien Gulf News, le département crimes et investigations de la police vient de créer un prix pour les domestiques « bien élevés », dans le cadre d’une campagne intitulée « Aide domestique, précautions et accusations ». Cette campagne vise à « réduire le nombre de crimes commis par les domestiques » à Dubaï, poursuit Gulf News, en encourageant les...
commentaires (6)

EXCELLENT ARTICLE Mme Sueur comme toujours! Vous avez une facon si vivante de raconter les choses! Cinquante-quatre ans de services pour recevoir une medaille en argent et un montant de 100 $ de la part de ces cheikhs si RICHES? Et en plus, seulement dans le but de motiver les domestiques a ne pas commettre de crimes contre leurs employeurs (!) et non pas de les gratifier... Quelle idee de "marketing" geniale vraiment!!! Et, encore, la domestique etait censee balbutier une autre formule de remerciements que celle d'offrir sa medaille au cure pour lui faire des messes? Et le Sheikh l'a trouvee "fanatique" a cause de son souhait?! Je suis tout simplement ECOEUREE! Quelle perfidie et quelle bassesse et quel manque d'humanisme....C'est de l'ESCLAVAGE PUR ET SIMPLE!

Michele Aoun

14 h 08, le 19 juillet 2013

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Commentaires (6)

  • EXCELLENT ARTICLE Mme Sueur comme toujours! Vous avez une facon si vivante de raconter les choses! Cinquante-quatre ans de services pour recevoir une medaille en argent et un montant de 100 $ de la part de ces cheikhs si RICHES? Et en plus, seulement dans le but de motiver les domestiques a ne pas commettre de crimes contre leurs employeurs (!) et non pas de les gratifier... Quelle idee de "marketing" geniale vraiment!!! Et, encore, la domestique etait censee balbutier une autre formule de remerciements que celle d'offrir sa medaille au cure pour lui faire des messes? Et le Sheikh l'a trouvee "fanatique" a cause de son souhait?! Je suis tout simplement ECOEUREE! Quelle perfidie et quelle bassesse et quel manque d'humanisme....C'est de l'ESCLAVAGE PUR ET SIMPLE!

    Michele Aoun

    14 h 08, le 19 juillet 2013

  • Que c’est triste ! "Une médaille d’argent ! Cent dollars ! C’est pour vous !" Cent dollars pour un "demi-siècle de servitude". Cent dollars pour 50 ans de bons et loyaux services. Que dira Marx de cette exploitation de l’homme par l’homme ou des "maîtres qui rudoyaient les domestiques". Les marxistes sont aphones…

    Charles Fayad

    13 h 09, le 19 juillet 2013

  • Je ne peux pas m'empecher de penser que ce genre d'initiative leur a ete soufflé au tympan par les maitres de leurs maîtres a ces domestiques nobles et silencieuses . Evident qu'ils sont incapables de penser comme des humains par eux memes .

    Jaber Kamel

    11 h 52, le 19 juillet 2013

  • Un malaise profond, pour ne pas dire ue honte que l'on peut eprouver a la lecture de tel article.

    Cadige William

    09 h 42, le 19 juillet 2013

  • N'allons ni à Dubai, ni à Abou Dhabi. Restons au Liban. Peut-être faudrait-il y instituer un prix pour les familles qui traitent bien leurs domestiques.

    Halim Abou Chacra

    05 h 28, le 19 juillet 2013

  • On dirait une "Bonne" d'Achrafïéhhh ou de Bassttâhhh, cette Mary Grace Andrada(h) !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    05 h 08, le 19 juillet 2013

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