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Culture - Exposition

La rencontre de Narcisse et de Diogène chez Urs Lüthi

Par-delà l’autoréflexion, un monde alliant ironie, humour, liberté et drôlerie, pour un insatiable appétit de vivre avec Urs Lüthi à la galerie Tanit (Naila Kettaneh Kunigk)*. Personnage narcissique cherchant sa voie pour et par une expression artistique moderne pointue.

Urs Lüthi : « L’important n’est pas ce que je fais là, mais ce que le spectateur/visiteur trouve là... »

À soixante-cinq ans, Urs Lüthi a tout d’un fringant jeune homme. Surtout dans sa quête d’une vie meilleure, sa méditation sur le sens d’un destin et sa perception d’une traversée humaine où la vérité, quoiqu’on fasse et dise, reste parcellaire.
Le crâne rasé, le bedon proéminent, les yeux bleu porcelaine, un regard futé et fureteur dominé par une allure de curé austère, avec complet gris anthracite et tee-shirt noir à ras-du-cou. Ne vous fiez pas aux « ersatz », aux apparences, toutes trompeuses, car se cache là un bonhomme sacrément déluré, un brin exhibitionniste, un tantinet révolté (pas dans le sens bagarreur du terme), soumis aux règles « biens », comprendre par là surtout celles qui livrent un chemin de partage avec les autres.
Empreint de pacifisme, ce Lucernois d’origine, plaisant et aimable, joyeusement vivant, mais farouchement indépendant, confesse (sans ambages, mais avec un « peut-être » dubitatif) que son maître à penser serait Ludwig Hohl, un écrivain de race, « outsider » dans l’univers littéraire helvétique.
Pourquoi exposer à Beyrouth des sculptures, une installation, une soixantaine de photographies, une vingtaine de disques de « frisbee » colorés avec des phrases aux truismes pour la plupart charmants ? Bien sûr, à travers un parcours individuel, entre panneaux signalétiques, autoportraits polissons en photos narcissiques, travestissements croustillants et personnage de touriste cool en fonte cherchant une issue de sortie, voilà une parenthèse et une pause réflexion. Par un artiste (statut qu’il revendique avec véhémence) tombé dans le chaudron de l’art très tôt, à sept ans précisément.
D’abord cette installation composée de trois sculptures presque lilliputiennes, en tons gris cendre, représentant Urs Lüthi tel qu’en lui-même avec bermuda, espadrilles et chemisette, fouillant du regard trois directions. Sous un gigantesque graphisme peint en lettres noires à même le mur, « Lost direction » (Direction perdue). Interaction des lieux et du visiteur, de l’espace et de l’œuvre, pour retrouver la boussole, la lumière, l’exit, la voie. Tout comme Diogène avec sa lampe en plein jour.
Et de dire, en toute savoureuse candeur : « L’important n’est pas ce que je fais là, mais ce que le spectateur/visiteur trouve là... »
Dans la chambre attenante, les murs sont tapissés de photos. Miniretrospective d’images représentant la vie d’un homme. En l’occurrence l’artiste qui se met en scène devant l’œil d’une caméra. Cela remonte aux années 70. Plus d’une soixantaine d’images amusantes (tirées de 143 feuillets) pour un certain bonheur de vivre. Dans une atmosphère ambiguë jouant du surréalisme, des architectures ludiques, d’un transformisme entre tissus brocarts, paupières lourdes à la Laureen Bacall, boa à plumes ou nudité intégrale d’adulte posant comme un nourrisson sur le ventre, fesses et jambes en l’air.
Aujourd’hui marié avec une actrice (qui joue du Beckett, Kafka, Ibsen et Brecht), Urs Luthi, en toute fantaisie, gentil « m’enfoutisme », insolente verdeur et décapante distanciation avec le vécu, récapitule les pages de l’une de ses expositions intitulées « Trademark », où il donne en pâture ses moments intimes et moins intimes...
Pas de nostalgie, pas de leçon de vie absolue, pas le reflet total d’une « flower generation », pas de considérations sociales tranchantes, mais juste une illustration d’un certain hédonisme, d’une certaine liberté, d’une certaine poésie, d’une certaine fabulation de soi et des autres, d’une « irrévérente » décontraction.
Certes, le temps a passé, mais ces images ont quelque chose d’iconiques. Certaines de ses œuvres, apanage de nombreux collectionneurs, ont pour écrin, entre autres, le Centre Pompidou et le Musée d’art de Berne... De la galerie Tanit à Munich (ville où d’ailleurs vit actuellement l’artiste) à celle de Beyrouth, Urs Lüthi, dans son art conceptuel, est fidèle à sa vigie et à son rôle de dépisteur des valeurs, des systèmes, des modes, des trends influents et éphémères. C’est une invitation pour sonder l’air du temps...

*L’exposition « Lost direction » d’Urs Lüthi à la galerie Tanit-Naila Kettaneh Kunigk (Mar Mikhaël) se prolonge jusqu’au 9 août.
À soixante-cinq ans, Urs Lüthi a tout d’un fringant jeune homme. Surtout dans sa quête d’une vie meilleure, sa méditation sur le sens d’un destin et sa perception d’une traversée humaine où la vérité, quoiqu’on fasse et dise, reste parcellaire.Le crâne rasé, le bedon proéminent, les yeux bleu porcelaine, un regard futé et fureteur dominé par une allure de curé austère,...

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