La haine que se vouent les deux quartiers misérables au centre des combats, Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen, semble incurable. Depuis 2008, ces deux quartiers se sont embrasés à 16 reprises. À chaque nouvelle éruption de violence, nous avons voulu croire qu’il s’agirait de la dernière. Mais non, les combats ont repris à chaque fois, un mois, deux mois, quelques mois plus tard, catalysés par les tensions locales ou régionales.
Tripoli ressemble de plus en plus à un champ de bataille entre communautés. Cette situation est d’autant plus inacceptable qu’elle se perpétue en dépit de toutes les initiatives de pacification, de toutes les tentatives visant à briser le cycle de la violence.
À chaque nouveau round de violence, c’est le même scénario, terrifiant, qui recommence. Les activités courantes et quotidiennes cessent. Écoles, universités, bureaux, commerces... tout ferme. Dans la ville, seuls les magasins de produits alimentaires, les pharmacies et quelques cafés restent ouverts. Au centre-ville, tout est fermé. Le quartier de Kobbé, où se trouvent les facultés de l’Université libanaise, a fait l’objet de tirs de mitraillette. Résultat, pendant des semaines, moi, étudiante, ne peux plus aller en cours. À Tripoli, la vie est paralysée.
Quand les combats gagnent en intensité, ils débordent la région de Bab el-Tebbaneh-Jabal Mohsen, plus aucun quartier n’est préservé, même le cœur de Tripoli peut être touché.
Je me souviens de cette nuit. Il était aux alentours de minuit quand une roquette Energa a explosé dans notre quartier. Le bâtiment voisin du nôtre a été touché, des dégâts matériels. Nous sommes allés au balcon, le spectacle était choquant. Grenades, RPG, Katioucha, roquettes B7 et Energa, autant de mots qui entrent, de force, dans notre vocabulaire quotidien.
Ma famille et moi-même avons été chanceux, nous avons échappé aux tirs des snipers, qui peuvent tuer à l’intérieur même des maisons.
Face à cette situation, certains ont décidé de fuir, les autres se terrent dans des abris.
Notre état d’esprit aujourd’hui ? Nous nous sentons victimes d’une injustice, nous nous sentons aussi livrés à nous-mêmes.
Mais la question que moi et beaucoup d’autres nous nous posons ici est la suivante : pourquoi « notre » Tripoli n’arrive pas à exprimer sa grande soif de vie ? J’ai envie que tous les Libanais viennent goûter l’ambiance unique des nuits tripolitaines, celles d’avant en tout cas.
Notre Tripoli est celle des soirées détendues, à la table d’un de nos nombreux restaurants ou sous les étoiles, le temps d’une « kazdoura » ou entre amis à la terrasse des cafés du quartier de « Damm w Farez ». Notre Tripoli est celle des anciens souks, des artisans, de ce patrimoine culturel à préserver.
Aujourd’hui, ma ville est double, belle et violente. À son image, mes sentiments oscillent, j’aime Tripoli, ville malheureusement trop négligée, mais ne peux que la détester quand elle se vautre ainsi dans la violence.
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Lettre très émouvante.
Antoine-Serge KARAMAOUN
22 h 17, le 29 mai 2013