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Lifestyle - Hommage

Ray Manzarek a pris l’autoroute jusqu’au bout de la nuit...

(Internet/site Feber.se)

Certes, il y avait Jim, et il n’y en avait que pour Jim. Fascinant, excentrique, mystique, baudelairien, dionysiaque. Une légende vivante ; rien que ça. Jusqu’à cette mort étrange, le 3 juillet 1971 dans une baignoire, au 17, rue Beautreillis, près de la Bastille, qui a longtemps alimenté les théories les plus paranoïaques du complot.


Déjà de son vivant, Jim Morrison éclipsait quelque peu, par sa présence unique sur scène, les trois autres membres des Doors : Robby Krieger (guitariste), John Densmore (basse) et, surtout, le véritable génie musical du groupe, le claviériste Ray Manzarek. La mort de Morrison à 27 ans, qui le place définitivement au firmament des légendes du rock, achève cependant les Doors, et, a posteriori, aucune des trois autres étoiles du groupe ne pourra plus jamais briller de mille feux comme avant. Chronique d’une mort annoncée, d’ailleurs, tant les excès narcissiques et autodestructeurs de Jim, notamment sur scène, avaient déjà sabordé la capacité du band à fonctionner normalement...
Mais las de Jim Morrison, qui continue de susciter les mêmes passions plus de quarante ans après son départ : preuve en est, le déferlement d’adeptes du « Roi-Lézard » dans le coin discret du cimetière du Père-Lachaise à Paris, où il repose – au grand désespoir de gardiens moroses et incompréhensifs.


Cet hommage est consacré à Ray Manzarek, disparu lundi à 74 ans d’un cancer des voies biliaires. Combien ironique est le fait que même dans la mort, il soit encore question de Morrison et pas de Manzarek...


Assez, donc. Et pour cause : Manzarek était réellement un génie, parmi ceux qui ont probablement influencé toute la décennie suivante, hautement psychédélique. Né le 12 février 1939 à Chicago, ce fils d’ouvriers immigrés polonais avait su tirer l’essence folle des pianistes de boogie-woogie des années 1950 pour transmuter cette folie dans des mélopées hypnotiques de rock acide. Jamais, comme avec les Doors, à partir de 1967, les synthétiseurs n’expriment autant l’invitation à un voyage au bout de l’angoisse poétique langoureuse et délirante, mi-paradisiaque, mi-infernale, imaginée et chantée par Morrison. Le jeune Manzarek, qui ressemble à cette époque beaucoup plus à un instituteur habité par la sévérité de ses débuts timides et difficiles qu’à une icône du rock, avait entamé des études de droit à UCLA – avant de faire un stage d’administrateur dans une agence de la Bank of America puis d’entrer à la faculté d’audiovisuel de l’université.


Entre-temps, un chagrin d’amour, en 1960, le pousse à quitter ses études et à s’engager dans l’armée, où il finira comme pianiste d’orchestre à Okinawa et en Thaïlande ! Mais Manzarek, craignant de devenir homosexuel, quitte la troupe – l’expérience n’est pas « fortuite », finalement, car, en Asie, il a découvert les « paradis artificiels » – et retourne à l’université où il se met à réaliser des films d’une qualité exceptionnelle, accueillis par ses professeurs avec les honneurs. C’est là que le destin l’attend pour l’emmener à sa rencontre historique avec Morrison.
Les deux hommes deviennent rapidement amis, unis par une sorte de vision nietzschéenne un peu naïve de la vie, quand bien même l’un est méthodique, méticuleux, structuré, et l’autre débraillé, dans la tradition des poètes maudits. C’est le dandy esthète face au barde dionysien. Une différence qui les marquera tout au long de la carrière des Doors. Manzarek est en effet à la recherche d’ordre et de discipline, et préfère s’adonner à la méditation transcendantale avec le fameux Maharishi Mahesh Yogi, alors que Morrison préfère, lui, le capharnaüm des drogues. Si bien que les frères de Manzarek (membres fondateurs initiaux du groupe avant d’être remplacés par Densmore et Krieger) et ses amis lui déconseillent de former un groupe avec cet homme étrange aux textes incompréhensibles et dont la voix est encore faible.


La suite, tout le monde la connaît. Tout le monde a vu le film d’Oliver Stone, où Morrison et Manzarek, interprétés respectivement par Val Kilmer et Kyle MacLachlan, fusionnent dans une orgie créatrice unique sur les plages de Venice Beach en Californie qui accouchera ultimement des Doors (en 1991, Manzarek protestera vivement contre la manière « déplaisante » avec laquelle Stone a dépeint les Doors). Tout le monde connaît cette montée progressive vers le succès et la gloire, ces albums extraordinaires qui se succèdent et innovent sur la scène préhippie de l’époque, Manzarek déployant son génie pour créer un univers unique et inégalé dans l’histoire de la musique, ou encore ces séances d’une intensité rare sur scène où les quatre membres du groupe fonctionnent comme un « cerveau commun » grâce au LSD, tout en communiant avec un public en transe... Et tout le monde connait aussi les excès de Morrison au fil des années, qui, trop paumé pour poursuivre certains de ses concerts, s’effondre comme « un corps sans esprit », contraignant Manzarek à prendre la relève au chant, en bon soldat discipliné. Ou encore cette soirée torride de 1969 à Miami, où un Jim de plus en plus ivre et paumé pousse le bouchon trop loin, s’exhibant et se masturbant en public et provoquant les policiers venus maintenir l’ordre, événement qui précipite la chute des Doors, puisque Morrison sera poursuivi sans relâche par la suite pour atteinte aux mœurs.

Personne ne sortira d’ici vivant
Après la disparition de Morrison en 1971, plus rien ne sera comme avant. Les Doors tentent de produire deux nouveaux albums et Manzarek devient le chanteur du groupe, mais sans résultats. Le groupe se sépare, et Ray produit deux albums solo en 1973 et 1974, puis forme un band intitulé Ray Manzarek’s Nite City. Nouveaux échecs en perspective : après deux albums, le projet est abandonné en 1977. La malédiction Morrison le poursuit tout au long des années 1970. Le keyboardiste va toucher à la musique punk, avec le groupe X, avant de se lancer dans un concept album sur l’opéra, intitulé Carmina Burana, en 1983. Jugé trop prétentieux, le projet tombe dans l’oubli, et Manzarek s’éclipse durant une décennie. Il sort de sa retraite en 1993 pour mettre en musique les poèmes beat de Michaël McClure, planche sur une autobiographie et met au point un album hommage aux Doors. Entre 2006 et 2011, Ray Manzarek contribue à quatre albums, reprenant notamment la Gnossienne n° 1 d’Erik Satie et, durant cette décennie, fait une dernière tournée d’adieu avec les deux autres membres des Doors, faisant notamment une apparition en 2011 pour les quarante ans de la mort de Morrison, au Bataclan de Paris, à guichets fermés.


Près de cinq ans après Richard Wright, l’immense keyboardiste des Pink Floyd, près d’un an après un autre grand génie des synthétiseurs rock, Jon Lord de Deep Purple, c’est donc au tour de l’immense Ray Manzarek de s’en aller. On ne le sait que trop bien : personne ne sortira d’ici vivant. No one here gets out alive. À l’heure qu’il est, et malgré tout, il doit être de nouveau, encore et encore, avec Jim, en train de refaire, pour le coup, un autre monde, moins tourmenté peut-être, mais tout aussi onirique...

 

Certes, il y avait Jim, et il n’y en avait que pour Jim. Fascinant, excentrique, mystique, baudelairien, dionysiaque. Une légende vivante ; rien que ça. Jusqu’à cette mort étrange, le 3 juillet 1971 dans une baignoire, au 17, rue Beautreillis, près de la Bastille, qui a longtemps alimenté les théories les plus paranoïaques du complot.
Déjà de son vivant, Jim Morrison éclipsait...
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