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Moyen Orient et Monde - Reportage

Un siècle après le génocide, les Arméniens islamisés du Dersim veulent affirmer leur existence

Pendant près d’un siècle, les Arméniens islamisés des montagnes du Dersim, dans l’est de la Turquie, se sont murés dans le silence pour échapper aux persécutions. Mais certains ont décidé d’affirmer au grand jour leur existence en commémorant aujourd’hui le génocide de leur peuple.
Tout en houspillant ses chats et son Arménien de mari, Tahire Aslanpençesi, pétillante octogénaire du village de Danaburan, rassemble ses maigres connaissances des événements tragiques vécus par les siens en 1915. « Ma mère m’a raconté comment sa famille avait été déportée. C’était un bébé à l’époque. Sa maman a voulu la jeter à l’eau par désespoir, mais elle y a renoncé parce que ça la faisait trop souffrir », raconte Tahire. « Ma mère disait qu’elle aurait préféré qu’on la jette, comme ça elle n’aurait pas enduré tout ce qu’elle a vécu ensuite », poursuit-elle.
Des centaines de milliers d’Arméniens ont péri dans des déportations et des massacres survenus pendant la Première Guerre mondiale dans l’Empire ottoman, auquel a succédé la Turquie. Les Arméniens avancent le chiffre d’un million et demi de morts dans un génocide, une qualification adoptée par de nombreux pays, mais fermement rejetée par Ankara. Certains pourtant ont survécu et continué de vivre sur leurs terres, mais le plus souvent, comme la mère de Tahire, en sacrifiant leur langue et leur religion.
« Nous sommes arméniens, mais nous sommes musulmans. C’est mon arrière-grand-père Bedros qui s’est converti. Il a pris le nom d’Abdullah et a donné à son fils celui de Mustafa. Il est devenu musulman parce qu’il n’avait pas le choix », affirme Ibrahim Boztas, 79 ans. Bedros est ainsi devenu alévi, une confession musulmane hétérodoxe fortement implantée dans la population kurde de la région du Dersim – l’actuelle province turque de Tunceli – et dont la tolérance a sans doute permis ici plus qu’ailleurs à des Arméniens d’échapper à la mort. Pour éviter les brimades, les descendants de Bedros ont multiplié les alliances matrimoniales avec un clan kurde, avec lequel ils partagent le petit village d’Alanyazi. Ils ne se sont pourtant jamais fondus dans la masse.

Discriminations et silence...
« Nous, on se sent (arméniens), et, de toute façon, ils nous le rappellent. Peu importe combien de leurs filles on a épousées ou on leur a donné, ils continuent de dire qu’on est arméniens », commente Hidir Boztas, 86 ans, un des frères d’Ibrahim. La famille ne manque pas d’exemples de discriminations dont elle dit avoir fait l’objet en raison de ses origines : spoliations de terres, contrôles humiliants des hommes par l’armée pour vérifier s’ils sont bien circoncis, et même torture d’un de ses membres. Elle a aussi dû subir le lot commun des habitants de la région, de la féroce répression de la révolte kurde de 1938 à la lutte contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui se poursuit depuis 1984.
Autant de raisons qui ont poussé nombre d’Arméniens à choisir le silence. « Dans tous les villages du Dersim il y a des gens (qui sont arméniens) comme nous, enfin peut-être pas complètement parce qu’il y en a qui se cachent ou qui n’y accordent pas beaucoup d’importance », estime Mustafa Boztas, 42 ans, un des fils d’Ibrahim. Lui en tout cas a choisi d’assumer ses origines. Installé à Izmir, dans l’ouest de la Turquie, Mustafa a appelé son entreprise de BTP Bedros, « pour faire vivre le nom » de son ancêtre. Et il se dit prêt à participer aujourd’hui dans la ville de Tunceli à la commémoration du génocide, afin d’encourager les Arméniens de Turquie à « affirmer leur existence ».
C’est aussi l’objectif des organisateurs de cette cérémonie, l’Association des Arméniens du Dersim. « Nous avons voulu être la première organisation arménienne a commémorer en Turquie le génocide. Il s’agit en même temps de permettre aux gens de s’affirmer plus librement, d’accroître l’intérêt pour les vestiges du christianisme qui subsistent ici », explique Miran Pirginç Gültekin, le président de l’association, créée trois ans plus tôt et qui revendique quelque 80 membres. Le 24 avril est la date anniversaire mondiale du génocide arménien. L’affirmation d’un génocide arménien est encore largement taboue en Turquie. Seules Istanbul et Diyarbakir, la principale ville kurde du sud-est anatolien, ont à ce jour accueilli des cérémonies à la mémoire des victimes des massacres de 1915.
© AFP
Pendant près d’un siècle, les Arméniens islamisés des montagnes du Dersim, dans l’est de la Turquie, se sont murés dans le silence pour échapper aux persécutions. Mais certains ont décidé d’affirmer au grand jour leur existence en commémorant aujourd’hui le génocide de leur peuple.Tout en houspillant ses chats et son Arménien de mari, Tahire Aslanpençesi,...

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