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Culture - Commémoration du génocide arménien

Le musée de Cilicie d’Antélias, un livre ouvert sur l’histoire et la vie

Histoire, témoignage et richesse culturelle d’un patrimoine inaliénable. Celui de l’Arménie et de sa diaspora. En ce 24 avril, jour de deuil et de prière, jour où les Arméniens se souviennent de leurs morts, des routes de l’exode et de l’exil, un regard sur le musée de Cilicie d’Antélias, écrin pour plus de 350 œuvres d’art.

Le fameux Khatchkar, la pierre sculptée.

La peinture et la sculpture arméniennes, venues des siècles les plus reculés, ont des racines profondes avec les civilisations les plus raffinées au carrefour des grands empires engloutis depuis des lustres.
Reflet d’un peuple laborieux, inventif, porté aux arts et aux valeurs morales, empreint du sens religieux chrétien, ces expressions artistiques attestent depuis toujours de l’esprit d’un pays, du caractère d’une terre, des remous de l’histoire, des variétés d’un paysage, de l’élan jamais assoupi de citoyens porteurs de message. Message de paix, de travail et d’amour de la vie.


Cette peinture et ces sculptures ouvrent des embranchements multiples dont les assises remontent à l’âge des premiers alphabets, premier tracé de toute ligne et dessin ainsi que des enluminures sacrées et profanes.
Face aux invasions, les Arméniens ont toujours fait preuve, dans leur histoire aux innombrables rebondissements, d’une volonté farouche de conserver leur identité nationale. Une identité qui se perpétue bien entendu aujourd’hui dans la République d’Arménie, qui a rejoint les États indépendants depuis décembre 1991, sortant ainsi définitivement de la tutelle de la Russie, mais aussi à travers la diaspora dispersée aux quatre points cardinaux, après le génocide de 1915.

 

Sylhouette de Guvder.


Avec la création du musée de Cilicie à Antélias, au siège du catholicossat arménien, voilà un espace de plus de 1500 m2 consacré à la peinture et la sculpture. Espace qui se définit comme l’incarnation d’un art prospère. Un art tonique, certes, aux contours souvent graves et mélancoliques, mais représentant l’expression habitée et illuminée de plus d’un horizon. Expression dotée d’une volonté de créer, de témoigner, de dire la vérité.
Un art qui refleurit non seulement sur les terres du pays de Grégoire l’Illuminateur, mais aussi à travers des frontières lointaines de la mère patrie. Là où bat le cœur de chaque enfant des legs de la richesse culturelle d’Ardachès, de Tigrane, Vartan Mamikonian, Komitas, Siamento...
Dans ce passé regorgeant de trésors et de faits historiques vibre l’âme d’un peuple. Et c’est à cet enchaînement de la vie, à ce maillon d’une chaîne d’arménité que convie ce musée dédié à la virtuosité des pinceaux, des palettes, des chevalets, des truelles et des burins.

Essence de l’âme arménienne
Sont exposées ici des œuvres dont les plus anciennes remontent au XVIIe siècle. Des images saintes de la Vierge à l’enfant Jésus aux représentations les plus modernes, aussi bien figuratives qu’abstraites, cet art a pour point commun non seulement l’essence de l’âme arménienne, mais aussi un savoir-faire immémorial.
Pour ces artistes de tous crins et appartenant à plus de cinq siècles différents, le pouvoir de l’imaginaire, l’audace à braver les interdits, le credo chrétien et le lyrisme patriotique viennent se greffer au talent.


Une tournée au milieu de ces toiles et de ces statuaires s’impose. Pour mieux saisir les nuances, décrypter les sensibilités, redécouvrir la fraîcheur native des couleurs et capter la vibrante diversité d’une narration picturale à multiples facettes.
Flânerie qui, des pinceaux des peintres anonymes du siècle de Sayat Nova aux œuvres les plus récentes, atteste de la variété, de la vigueur et de la source intarissable d’une inspiration à l’écoute d’une terre, d’un peuple, d’une foi, des émois personnels et intérieurs, du cheminement de l’histoire.
Dominée par les coiffes et les barbes majestueuses des grands prélats, bercée par les silhouettes des églises en flanc de vallée, au sommet d’une montagne ou simplement posées au cœur d’un haut plateau, enrichie par un fier esprit de solitude et de rêverie, fixée par de saisissants portraits de personnages aux regards méditatifs et magnétiques, cernée par les scènes de déportation, de massacre et de lutte pour la survie, cette peinture appartient à un monde à la fois pieux, doux et tourmenté.

 

Groung, l’oiseau migrateur symbole de l’arménité.


Un monde sorti du ventre d’un inconscient collectif dont les points communs sont la détermination à vaincre l’adversité, la foi en la mansuétude de Dieu, l’art de restituer la réalité ou d’en déjouer les pièges. Avec ce subtil usage des couleurs grenat.


Des peintres anonymes du XVIIe siècle qui ont signé des œuvres à consonances religieuses ou cléricales aux paysages d’Edgar Chahine, en passant par le peloton d’artistes qui ont pour noms Assadour, Guiragossian, Torossian, Hounanian, Berberian, Guvder, Carzou et Jansem – pour ne citer que ceux-là –, la peinture mêle ici, en un bouillonnant panaché, toutes les générations, toutes les tendances et toutes les inspirations.


Il va sans dire qu’il y a là, entre ces murs endiguant la spiritualité et le sens esthétique du peuple arménien, non seulement les errances de l’histoire, la douleur des deuils et la force de l’espoir, mais aussi presque tous les détails d’un répertoire accusant l’aspect sombre des jours noirs ainsi que les moments de joie de tout parcours humain.
Livre ouvert de la vie que ce musée, mais avec des inégalités, des lacunes voire des absences. Et même certains artistes ne sont pas parfois représentés au meilleur de leur production. Qu’importe.


Par-delà ces petites réserves, ce précieux assemblage, embryon de toute vie artistique, présente ou future, est sans conteste un précieux témoignage. Non seulement du point de vue d’un humanisme jamais en berne, mais aussi des richesses picturales qui accompagnent les pages de l’histoire.

« Khatchkar » et sculpture moderne
D’une marine d’Aïvasovsky et ses vagues lisses ou mugissantes, aux rides en traits de serpes des personnages marqués au fer rouge du destin de Jansem, en passant par les temples et les lieux de culte détruits de Hounanian... voilà entre contemplation, fatalité et renaissance une quintessence de certains points saillants du parcours du peuple arménien.

 

Une œuvre de Jansem.


La sculpture, point d’orgueil d’un peuple qui s’est illustré par les Khatchkar (croix sculptées en dentelles sur pierres), a aussi une place de choix dans cette aire dédiée à perpétuer les valeurs intellectuelles, artistiques, créatives et esthétiques de tous les Arméniens du monde.


Plus d’une vingtaine de maîtres de la pierre, du bois et du bronze pour ces formes lisses, rugueuses, luisantes ou mates qui jonglent, dans une fantaisie domptée, avec les rigoureuses lois de l’équilibre.


Mais pour cette éloquence du marbre et des matières rebelles à tout assouplissement, au souffle renouvelé par les sculpteurs arméniens dès la seconde moitié du XIXe siècle, on retrouve, outre certains bas-reliefs ou statuettes nées d’un mélange de modelage et de touches adroites, beaucoup de bustes. Bustes qui renvoient à la représentation de personnages influents ou de prélats hauts placés à la tête de la hiérarchie cléricale. Des sculpteurs, tels Dikran et Zaven Khedeshian, offrent la beauté de la pierre travaillée pour parler surtout du visage humain. Œuvres remarquables pour des bustes aux regards et expressions vivants.


Et dans ce monde jailli des nervures, des protubérances, des rugosités, des nodosités, de la porosité des roches, arrive un nouvel invité sur les socles-présentoirs où le bronze, ferme, dur, d’une brillance discrète, est roi. Et on nomme la sculpture Résurrection de Raffi Tokatlian.


Avec ferveur et piété, transcendant les douleurs de l’univers, voilà une représentation finement ciselée de la renaissance divine. À l’image d’un peuple qui, tel un Phénix, n’en finit pas de renaître et de déployer ses ailes, même en cet espace muséal, sanctuaire et gardien des valeurs ancestrales et modernes arméniennes.

 

 

Pour mémoire

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