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À La Une - L'Orient Littéraire

La modestie de l’historien

D.R.

Collection de textes variés, dont certains inédits, qui couvrent la période de 2005 à 2011, le nouvel ouvrage d’Ahmad Beydoun aborde plusieurs thèmes autour du Liban : son système politique, ses tragédies, son histoire souvent ignorée et son futur de plus en plus incertain.

 

L’ouvrage intitulé Le Liban : entre réforme rejetée et dégénérescence recherchée est divisé en deux grandes parties. La première est une longue analyse du système politique libanais, qui a servi de base au « Rapport national sur le développement humain, 2008-2009 », l’autre partie est composée des quatre « leçons » que l’auteur a données au Collège de France en 2008. Une large partie de ce texte a déjà été publiée en français, en 2009, sous le titre La dégénérescence du Liban ou la réforme orpheline.

 

Le livre débute par une réflexion sur le travail d’« abstraction politique » nécessaire à l’émergence de la notion de citoyenneté, sur lequel se fonde l’auteur pour expliquer l’impossibilité de son émergence dans le contexte libanais. Beydoun se transforme en anthropologue du système libanais, étudiant les différents procédés que ce système utilise pour bloquer les velléités citoyennes. Cette « chronique d’un suicide annoncé », Beydoun la raconte à travers une analyse détaillée du système libanais, des lois qui assurent la mainmise des communautés sur leurs « sujets », de la cohabitation malsaine d’une Constitution avec un « pacte national », de la « dialectique de l’intérieur et de l’extérieur » et des concepts que ce système génère pour réguler ses conflits, comme les concepts d’« entente », de « consensus » ou de « communautés spécialisées ».

 

La perspective que Beydoun développe dans cette première partie est une perspective historique, qui oppose l’historicité du système libanais et de ses différentes composantes à leurs immobilismes et essentialismes apparents. C’est un parti pris pour l’histoire, le temps et le changement, que Beydoun développe depuis son étude magistrale de l’historiographie libanaise, publiée en 1984. Et ce parti pris repose sur l’hypothèse que « le système libanais et ses crises ont une “histoire” », ce qui impliquerait qu’elles ne sont pas une répétition à l’infini d’une même crise, mais représentent une transformation dans le système qui requiert une analyse historique et la recherche de solutions adaptées.

 

Cette historicité forme la trame de la seconde partie de l’ouvrage, qui est une collection de « vignettes » historiques des diverses composantes de ce système. Cette partie commence par une étude des relations entre les deux communautés sunnite et chiite et de leur mimétisme meurtrier, des relations marquées par une transformation, au cours des dernières décennies, de la communauté chiite qui culmine aujourd’hui avec le Hezbollah. L’histoire reste le thème principal avec un long texte sur Riad el-Solh, mais l’auteur aborde également des domaines très divers comme l’Université libanaise, l’économie mondiale ou les révolutions arabes.

 

Face à l’immobilisme, Beydoun oppose l’histoire, qui permet de prendre le « parti pris d’un devenir réfléchi », comme il l’a écrit il y a trente ans déjà. Et contre l’aplanissement bien-pensant qui ne voit dans les communautés que des variations sur le même thème, Beydoun déploie l’histoire pour démontrer la différence, sans en tirer de conclusions politiques. La seule option politique que l’auteur défend reste le programme de déconfessionnalisation du système politique libanais, seul capable de briser la structure de cette histoire et rendre possible l’émergence d’un futur citoyen.

 

Et c’est peut-être dans ce paradoxe, d’une histoire variable et complexe et d’un avenir déterminé et fixe, que Beydoun nous laisse seuls et orphelins (un peu comme l’auteur de l’épigraphe du livre l’avait fait quelques siècles plus tôt avec des générations de philosophes). Malgré les transformations historiques de ce système, que l’auteur repère avec beaucoup de brio, et l’historicité qu’il débusque dans les recoins les plus immobiles de notre géologie politique, l’avenir reste le même, immobile, un point unique et déterminé en dehors de l’histoire.

 

Mais il faudrait plutôt lire ce paradoxe comme le résultat de la trajectoire de Beydoun et son « retour » au Liban par la « porte critique », comme il l’a décrit dans un superbe texte autobiographique, publié en 2011, un paradoxe qui illustre le « libanisme de la modestie » que l’auteur préconise, une modestie qui s’oppose aux essentialismes des uns et aux radicalismes des autres, et qui cherche à faire de ce « devenir réfléchi », un devenir tout simplement normal. 

Collection de textes variés, dont certains inédits, qui couvrent la période de 2005 à 2011, le nouvel ouvrage d’Ahmad Beydoun aborde plusieurs thèmes autour du Liban : son système politique, ses tragédies, son histoire souvent ignorée et son futur de plus en plus incertain.
 
L’ouvrage intitulé Le Liban : entre réforme rejetée et dégénérescence recherchée est divisé en...

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