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À La Une - La Perspective de Michel TOUMA

Triple causalité politique

Qui sème le vent récolte la tempête... Le tourbillon politico-médiatique provoqué ces derniers jours par cheikh Ahmad el-Assir, sur fond de posture sectaire, est l’aboutissement de trois facteurs, trois lignes de conduite qui se sont échelonnées dans le temps et dont les effets continus se sont cumulés pour déboucher sur ce qui risque de constituer une nouvelle donne sur l’échiquier local.
Le premier responsable du « phénomène Assir » est d’abord, sans conteste, le Hezbollah. Depuis pratiquement 2006, le parti chiite se comporte comme si le pays tout entier était sa propriété privée, sa chasse gardée, son acquis non négociable, son îlot politico-sécuritaire intouchable, inviolable. Tout au long des dernières années, il a fait preuve d’une arrogance politique sans mesure, ni limites. Il s’est permis de classifier les Libanais suivant ses propres critères de jugement. Ses partisans sont ainsi « les plus honorables » des Libanais (« achraf el-nass »). En outre, dans un discours prononcé vers le début du mandat du président Michel Sleiman, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a classé les Libanais en quatre catégories : il y a les collaborateurs, « qui ne méritent aucune pitié » ; il y a ceux qui sont « égarés », qui font « le jeu de l’ennemi sans s’en rendre compte » ; il y a ceux « dont le seul souci est de se promener le dimanche avec leurs enfants » ; et il y a les résistants. Seuls ces derniers méritent à l’évidence, selon lui, estime et respect...
Mais le Hezbollah ne s’est pas contenté toutes ces dernières années de faire de la ségrégation partisane. Il s’est d’abord octroyé lui-même, manu militari, le droit de monopoliser le concept de « résistance ». Pour lui, s’imposer comme le principal, sinon le seul, défenseur du territoire, voire des richesses pétrolières au large des côtes libanaises, est devenu un droit acquis... Non discutable... Et sur base de cette même logique, l’arsenal militaire, cette ligne rouge infranchissable, devient le meilleur des instruments d’action politique, plus efficace qu’un scrutin législatif, que le fonctionnement des institutions constitutionnelles. Le gouvernement prend une décision qui remet en cause les visées hégémoniques du parti (comme l’a fait le cabinet Siniora avec le réseau téléphonique du « Hezb » ) ? La riposte est facile : la milice prend d’assaut les quartiers sunnites, met au pas le courant politique sunnite à la légitimité populaire incontestable, occupe et incendie ses institutions médiatiques.
Pire encore : le Hezbollah et ses alliés perdent les élections ? Rien de plus facile, là aussi : le poids des armes, les menaces à peine voilées, le chantage milicien, les manœuvres d’intimidation permettent de gommer le résultat des élections, de modifier la majorité parlementaire, de renverser le cabinet d’union (pourtant réclamé, sous la menace, par le même Hezbollah), de marginaliser la faction politique représentative de non moins de 70 pour cent de l’électorat sunnite et d’imposer un Premier ministre et un gouvernement ne tenant aucunement compte de cette composante sunnite.
Cheikh el-Assir l’a dit explicitement : son action est une réaction à cette ségrégation partisane, à cette humiliation continue et soutenue, émanant d’un parti s’octroyant lui-même le qualificatif « divin ».
Mais le Hezbollah n’est pas le seul responsable du phénomène el-Assir. Par sa constante campagne haineuse, menée tambour battant, sans foi ni loi, contre la modération sunnite – représentée, que certains le veuillent ou non, par le courant du Futur –, le général Michel Aoun a contribué directement au renforcement des courants sunnites radicaux... D’autant que ses attaques au vitriol ont même englobé le Premier ministre en exercice, qu’il avait pourtant lui-même désigné et qui reste son partenaire au sein de la « majorité de facto », de sorte que sa ligne de conduite prend clairement une tournure antisunnite. Une attitude qui constitue le summum de l’incohérence politique : Michel Aoun se posait en porte-étendard du courant libaniste et souverainiste ; or, il a mené une guerre sans merci contre une faction sunnite modérée qui a fait siennes les thèses libanistes et souverainistes; et parallèlement, il s’est allié à un parti intégriste chiite théocratique pour lequel le Liban n’est qu’une petite pièce du large puzzle régional du nouvel empire perse. Cette posture antisunnite adoptée, volontairement ou non, par le chef du CPL a sans conteste constitué l’un des facteurs du renforcement du radicalisme sunnite.
Le troisième facteur intervenu sur ce plan, ce sont, il faut l’admettre, le courant du Futur, Saad Hariri et une partie du 14 Mars, en général, qui en sont responsables. La politique, comme la nature, a horreur du vide. Or l’absence prolongée de l’ancien Premier ministre et l’apparente attitude de « laisser faire, laisser aller » adoptée depuis quelque temps par le courant du Futur et certaines factions du 14 Mars face à l’expansion continue des tentacules du Hezbollah ont laissé un vide que cheikh el-Assir n’a aucune difficulté à remplir au stade actuel. Il se pose, en effet, en porte-voix de tous ceux qui veulent mettre un terme à l’arrogance et aux velléités hégémoniques du Hezbollah.
Il est peut-être encore temps pour le courant du Futur et le 14 Mars de reprendre l’initiative et de faire preuve d’imagination politique pour mener une action réfléchie, semblable à celle de mars 2005, afin de mettre le holà au fait accompli milicien hezbollahi. Le secrétaire général du courant du Futur, Ahmad Hariri, a réaffirmé sur ce plan, dimanche soir, que son mouvement reste fermement attaché à l’option, difficile, de la « modération ». Mais « modération » ne signifie pas « hibernation politique ». Entre l’option milicienne et la léthargie profonde, il existe à n’en point douter une troisième voie : celle du printemps 2005, celle d’une intifada d’un genre nouveau, pacifique, certes, mais ferme, déterminée, et plus puissante que celle de 2005. Car aujourd’hui, l’enjeu est devenu double : d’une part, amener le Hezbollah à abandonner son option militariste transnationale pour devenir un parti politique libaniste : et, d’autre part, reprendre l’initiative des mains du courant radical sunnite qui est d’autant plus nocif qu’il représente – comble du paradoxe – le meilleur allié objectif du Hezbollah et de son associé aouniste.
Pour peu que les règles du jeu entre eux soient bien comprises, le Hezbollah et le phénomène el-Assir se justifient en effet l’un, l’autre, et ont même besoin, dans une certaine mesure, l’un de l’autre pour parvenir à mobiliser leurs bases respectives. Si bien que l’option de la « modération » prônée, à juste titre, par Ahmad Hariri nécessite précisément – autre paradoxe – une action ferme, déterminée, planifiée, loin de toute complaisance.
Pour sauvegarder la révolution du Cèdre, il faut relancer la révolution du Cèdre. Car la politique a horreur du vide...
Qui sème le vent récolte la tempête... Le tourbillon politico-médiatique provoqué ces derniers jours par cheikh Ahmad el-Assir, sur fond de posture sectaire, est l’aboutissement de trois facteurs, trois lignes de conduite qui se sont échelonnées dans le temps et dont les effets continus se sont cumulés pour déboucher sur ce qui risque de constituer une nouvelle donne sur l’échiquier...

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