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À La Une - Le point

Les jasmins flétris de la révolution

Il existe aujourd’hui en Tunisie des « provocateurs » et des « extrémistes » qui tentent de déstabiliser le pouvoir et de « semer la terreur » ; ces groupes sont « infiltrés par des criminels ». Lesquels ? Mais pardi « les spectres du régime déchu ». Dire que personne n’y avait pensé... C’est tout juste si les chefs de l’État, de l’Assemblée constituante et du gouvernement, qui se sont fendus d’un communiqué en ce sens, n’ont pas brandi la menace de « la main de fer » qui n’allait pas manquer de s’abattre sur les coupables.
Et pour faire bonne mesure – on ne saurait accuser les seuls salafistes de tous les malheurs –,va donc pour une condamnation, ferme comme il se doit, de « l’atteinte au sacré, pour semer la discorde ». On allait vous le dire : ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal, c’est le printemps des arts, une exposition d’œuvres, notamment un tableau de Mohammad Ben Slama, tenue dans la banlieue de La Marsa. Après avoir embrasé les quartiers de Tadamon et de Sidi Hussein, les violences qui ont éclaté à cette occasion ont rapidement gagné les banlieues de la capitale (Ben Arouss, Mannouba, Ariana) puis les villes de Souss, Jendouba, Monastir et Ben Guerdane. Une raison plus que suffisante pour que, depuis mardi soir et pour quelques heures, un couvre-feu ait été instauré, le temps de permettre aux esprits de se calmer et au pouvoir de reprendre, s’il le peut, le contrôle de la situation.
Que l’on n’aille surtout pas voir une relation de cause à effet entre les actes de vandalisme, les pneus enflammés – tiens, tiens... – , les discours haineux et l’appel lancé dimanche dernier par ce preux défenseur des grandes causes nommé Ayman el-Zawahiri pour la défense de la charia, contre ceux-là qui sont en train d’inventer « un islam acceptable aux yeux du département d’État, de l’Union européenne, des pays du Golfe, un islam qui autorise les casinos, les plages naturistes, les taux usuraires des banques et la laïcité ». Le Combattant suprême doit se retourner dans sa tombe.
Certes des doutes continuent de subsister sur l’importance du rôle joué par les ultras dans les incidents, même si l’aile extrémiste du mouvement, les tristement célèbres Ansar al-Charia, semble y avoir pris une part active. Mais d’où vient le malaise face à ces tentatives maladroites de présenter les violences des dernières heures comme étant étrangères aux habitudes tunisiennes ? C’est qu’il y a eu des précédents, dont, pas plus tard qu’à la fin de mai dernier, quand des groupes salafistes avaient fait fermer les débits d’alcool et les rares bars des régions ouest du pays, portant le gouvernement de l’islamiste Premier ministre, Hamadi Jebali, à réagir avec une inhabituelle fermeté.
Fidèle en cela à la ligne de conduite qui est la sienne depuis décembre 2010, le parti islamiste Ennahda (89 des 217 députés qui composent l’Assemblée constituante) excipe de sa bonne foi. Et il est évident que dans la foule des émeutiers de ces derniers jours, il y avait « autant de fausses barbes que de vraies », comme le note joliment un observateur. Mais cela ne suffit pas à calmer les appréhensions d’un peuple qui ressent douloureusement le vide au niveau étatique. Le prêt de un milliard de dollars consenti récemment par le Qatar au taux de 2,5 pour cent est à peine suffisant pour colmater une des multiples brèches dans l’économie, même s’il s’accompagne de la promesse de créer 20 000 emplois quand l’État en promettait 800 000 il y a peu. Face au malaise social, Marzouki avance des arguments bien peu convaincants. « Je répète, soutient-il, que l’on ne peut manger les fruits de l’arbre ; il faut commencer par planter celui-ci, par attendre quelque temps. Mes auditeurs s’impatientent et ne veulent rien entendre. »
À l’évidence la révolution en est encore à tenter de trouver son second souffle, que les relations entre le très modéré parti Ennahda et les salafistes ne sont pas au beau fixe, que les possibilités dont dispose le pouvoir paraissent minimes comparées à l’énormité des problèmes.
Sur cet inquiétant tableau est venue se superposer l’ombre tout aussi menaçante d’el-Qaëda avec la prise de position de l’héritier d’Oussama Ben Laden. Comme si, désespérant de voir les radicaux de l’islam l’emporter contre les modérés, Zawahiri avait choisi de brusquer les choses par crainte de voir s’éterniser les passes d’armes actuelles.Telle semble être aussi l’opinion d’Abou-Ayyad al-Tounissi, auteur d’un vibrant plaidoyer, le mois dernier à Kairouan, en faveur d’une Tunisie « plus islamique ». Ce qui n’augure rien de bon pour les successeurs de Zine el-Abidine Ben Ali mais aussi pour leurs cousins éloignés de Libye ou d’Égypte.
Il existe aujourd’hui en Tunisie des « provocateurs » et des « extrémistes » qui tentent de déstabiliser le pouvoir et de « semer la terreur » ; ces groupes sont « infiltrés par des criminels ». Lesquels ? Mais pardi « les spectres du régime déchu ». Dire que personne n’y avait pensé... C’est tout juste si les chefs de l’État, de l’Assemblée constituante et...

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