Rechercher
Rechercher

À La Une - Le point

Le retour des baltaguiyah

L’élection présidentielle, décrète-t-on dans l’euphorie générale, sera une compétition ouverte à tous, sans veto ni conditions, une victoire à venir de la démocratie, quoi. Les candidats fleurissent, comme des coquelicots dans un champ printanier. Les Frères se ravisent, après avoir annoncé qu’ils n’auraient pas de poulain à eux dans la course. Ce sera donc Khaïrat el-Chater, qui sera scratché, ainsi que neuf autres concurrents sur un total de 23, par la commission ad hoc. Les salafistes à leur tour entrent dans la danse par le biais de leur homme, Hazem Salah Abou-Ismaïl, bien vite éliminé pour cause de mère binationale (aujourd’hui décédée) dont le second passeport est – horreur! – aux armoiries des United States of America. Voilà pourquoi, depuis le week-end dernier dans les rues du Caire, on lynche, on tire des coups de feu, on lance des cocktails Molotov : le sang coule, abondamment, comme aux pires moments de l’hiver 2011.
Jusque-là, tout est parfaitement clair, non ? Eh bien, non. On dirait plutôt le scénario d’un mauvais film égyptien dont l’auteur ne sait pas comment se dépêtrer. Maintenant que les islamistes ont décidé de jouer le jeu de la démocratie, feignant de prendre au mot les membres du Conseil suprême des forces armées (CSFA), rien ne va plus. Les extrémistes à la barbe soignée ont décidé de soutenir Abdel Moneim Aboul-Foutouh, un ancien Frère musulman que la confrérie avait décidé d’expulser de ses rangs quand il s’en était démarqué pour faire cavalier seul. Insensiblement, la situation commence à se décanter et le bras de fer entre civils et militaires cède peu à peu la place à une confrontation mano a mano entre les généraux et les Ikhwane, rendus nerveux à l’idée qu’on cherche à les priver du fruit de leur victoire aux législatives. L’issue de ce duel ô combien singulier, on ignore ce qu’elle pourrait être tant les cartes paraissent brouillées. Officiellement, les assaillants qui s’en sont pris aux manifestants dans le quartier de Abbassiyah, non loin du ministère de la Défense, n’ont pas de visages, pas de noms. Comprendre qu’ils ne sont toujours pas identifiés, ce qui ne paraît pas étonner outre mesure les parties concernées. Des baltaguiyah probablement, toujours prêts à offrir leurs services, très peu loyaux, hier à Hosni Moubarak, aujourd’hui à « certains membres du gouvernement », comme on le murmure au niveau de la rue.
Parfaitement organisés, par ailleurs, ces briseurs de manifestations, capables par exemple d’établir des points de contrôle d’identité à quelques mètres du ministère, protégé par des policiers en uniforme qui préfèrent se voiler pudiquement la face. Au fil des semaines, l’opposition au CSFA s’est muée en une haine farouche qui ne cesse de monter à mesure que l’on approche de la fin du mois de juin, date retenue pour la remise du pouvoir aux civils et que le maréchal Mohammad Hussein Tantaoui est soupçonné de ne pas vouloir respecter. Dans un évident souci d’apaisement, les généraux ont fait savoir hier qu’ils pourraient se décharger du lourd fardeau qu’ils assument depuis le départ du raïs, il y a quatorze mois, dès le 24 mai, soit au lendemain même du premier tour de la présidentielle si un chef d’État était élu. Une promesse qu’ils seraient bien en peine de tenir au vu de la complexité des problèmes qui s’amoncellent au fil des jours.
Dernière en date des embûches : la crise avec l’Arabie saoudite, surgie dans la foulée d’une curieuse affaire ayant conduit à l’arrestation il y a une quinzaine de jours d’un ressortissant égyptien, Ahmad el-Guezawi. Des manifestations s’étaient alors produites devant l’ambassade du royaume wahhabite dans la capitale égyptienne, ce qui avait eu le don d’irriter au plus haut point Djeddah, qui avait rappelé son ambassadeur. Condamné par contumace à un an de prison et vingt coups de fouet pour insulte au souverain ? Ou bien pour ses critiques concernant les conditions de vie dans les prisons ? Ou encore pour avoir tenté d’introduire dans le pays plus de 21 000 comprimés de Xanax ? Toujours est-il que l’affaire ne pouvait survenir à un plus mauvais moment pour Le Caire, où l’on attend un apport saoudien de 2,7 milliards de dollars représentant une dose d’oxygène susceptible de redonner vie à une économie moribonde.
Avec une tension qui continue de monter à Bahreïn, une révolte syrienne qui traîne dangereusement sans que l’on puisse en voir le dénouement, une fièvre que l’Iran prend un malin plaisir à attiser dans la région du Golfe, les difficultés s’accumulent au Proche-Orient. On chercherait en vain dans tout cela de quelconques traces d’un printemps qui, décidément, s’obstine à ne pas tenir ses promesses.
L’élection présidentielle, décrète-t-on dans l’euphorie générale, sera une compétition ouverte à tous, sans veto ni conditions, une victoire à venir de la démocratie, quoi. Les candidats fleurissent, comme des coquelicots dans un champ printanier. Les Frères se ravisent, après avoir annoncé qu’ils n’auraient pas de poulain à eux dans la course. Ce sera donc Khaïrat...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut