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Juin aux tripes

Rarement dichotomie entre campagne et mobilisation aura été aussi frappante. C’est à se demander ce qui se serait passé si cette campagne d’une sécheresse inouïe, d’un niveau piteux et d’un intérêt extrêmement limité avait été politiquement, économiquement, socialement, intellectuellement et culturellement bandante : 99 % des Français se seraient sans doute précipités dans les isoloirs. En attendant, plus de 80 % d’entre eux l’ont fait. Nonobstant. Parce qu’ils ont peur ? Parce qu’il y a périls ? Parce qu’aucun institut de sondage ne peut décider à leur place ? Ou alors parce qu’ils sont terriblement boulimiques de changement(s) ?
C’est la première fois qu’un président sortant n’arrive pas en tête. L’hypothèse selon laquelle ce scrutin était un référendum contre Nicolas Sarkozy est devenue réalité : seuls 26 % des Français veulent revoir le président sortant concrétiser ses interminables mea culpa pendant cinq nouvelles années à l’Élysée. Beaucoup de ceux, profondément UMP, qui en 2007 avaient plébiscité un programme-bulldozer, un programme sans tabous, ont imposé leur droit d’inventaire. Leur sanction contre un mini-Giscard d’Estaing victime d’une conjoncture internationale sans précédent. Ils l’ont fait sans la moindre logique. Le PS, le FG et surtout le FN en ont été les principaux récipiendaires : il fallait voir Marine Le Pen en bébé-éprouvette, mi-Sarah Bernhardt, mi-Jeanne d’Arc, furieusement exaltée, déclamer clochers, ouvriers et campagnes, danser le menuet et annoncer non pas une fin en soi mais une naissance. Tous les partis ont bénéficié de cet antisarkozysme tous azimuts, justifié soit-il ou pas, tous, sauf la seule alternative, la seule option viable de changement : ce MoDem aujourd’hui piétiné d’un François Bayrou certes encore (un peu) faiseur de roi, mais Iphigénie des temps modernes, follement sacrifié sur l’autel de cette bipolarisation que, ironie de son sort, lui-même et Le Pen junior ont combattue de toutes leurs forces.
Les véritables gagnants de ce premier tour sont les Français : ils ont voulu le changement, ils l’auront. Du coup, l’échéance du 6 mai n’est plus très intéressante.
Mathématiquement, tout est possible dans deux semaines, même si un 53-47 % en faveur de François Hollande reste le résultat le plus plausible : 30 % des électeurs du FN et 50 % des électeurs du MoDem ne pourront, seuls, rien faire. Ce qui compte désormais, ce sont les législatives de juin prochain : la formation qui les gagnera gouvernera réellement la France.
Si le député de Corrèze est le prochain président français, le PS contrôlera pratiquement tous les rouages institutionnels du pays. Pendant un peu plus d’un mois. Jusqu’à ce que les Français retournent aux urnes. Des Français, tellement fantasques, tellement fiers, tellement imprévisibles, qu’ils seraient capables de créer des monstres : au mieux, quel que soit le champ de ruines politiques que laissera à l’UMP un Nicolas Sarkozy qui a promis en cas d’échec de s’en aller cultiver ses jardins ou repeindre ses yachts, imposeront-ils Jean-François Coppé comme Premier ministre de François Hollande ; au pire, ce sera très drôle : Marine Le Pen chamboulerait furieusement la droite gauloise et rejoindrait... Édith Cresson. Plus sérieusement, l’idéal serait que François Bayrou fasse un carton à ces législatives, que ce changement auquel aspirent sincèrement les Français, et avec un plaisir solennel qu’ils ne voulaient pas dissimuler en ce dimanche, ne finisse pas mort-né, qu’une salvatrice cohabitation des deux François ne vienne enchanter le monde, l’Europe et les amoureux de l’Hexagone.
Mais là encore, cela tiendrait du miracle.
À moins que les 45 millions d’électeurs, dans près de deux mois, ne privilégient la cohérence ; qu’une vague rose emmène l’Assemblée nationale et propulse Ségolène Royale sur ce perchoir à propos duquel elle fantasme les yeux grands ouverts. À ce moment-là, François Hollande, s’il est, naturellement, à l’Élysée, aura un devoir fondamental envers la France, naturellement, qui sera plus fragilisée que jamais, envers Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly, bien sûr, mais un devoir surtout envers les électeurs de Nicolas Sarkozy et envers cette fraction substantielle de ces 18,5 % qui ont voté Marine Le Pen, intrinsèquement républicains mais qui n’en pouvaient absolument plus.
Un devoir qui passe obligatoirement par l’envoi de Manuel Valls à Matignon : il est impossible, il serait suicidaire d’être de gauche en 2012 comme on l’a été entre 1981 et 1995.
Rarement dichotomie entre campagne et mobilisation aura été aussi frappante. C’est à se demander ce qui se serait passé si cette campagne d’une sécheresse inouïe, d’un niveau piteux et d’un intérêt extrêmement limité avait été politiquement, économiquement, socialement, intellectuellement et culturellement bandante : 99 % des Français se seraient sans doute précipités...

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