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À La Une - L'impression de Fifi ABOU DIB

À contre-courant

C’est tout de même une chose étrange qu’un pays grand comme une circonscription, peu industrialisé, doté d’une population relativement peu nombreuse, plutôt facile à desservir, pas pauvre malgré sa dette publique et ses inégalités sociales, jouissant qui plus est d’un climat tempéré, peine à ce point à assurer le courant à ses habitants. Le problème de l’électricité au Liban dénonce à lui seul, sans besoin de preuve ni de démonstration, la corruption et la gabegie qui rongent la classe politique depuis des générations. Il faudrait être bien naïf pour ne pas imaginer, derrière la pénurie de courant qui nous empoisonne la vie, tous les chantages, les bras de fer et les négociations mafieuses qui barrent la route aux livraisons de fuel ou à l’installation d’une nouvelle centrale. Sans compter les nombreux privilégiés de la république dispensés de factures (et souvent épargnés par les coupures), tandis qu’une caste inférieure compense le manque à gagner au prix fort pour un jus sporadique.


Bien sûr, l’humanité a longtemps vécu sans électricité, preuve qu’elle pourrait s’en passer. Bien sûr, nous avons eu des guerres qui dans nos souvenirs ne prennent aucun répit. À chaque panne de générateur nous rejoignons de mémoire ces temps obscurs où le chuintement du Lux était notre seul fond sonore. Les cartouches bleues se faisant parfois rares, nos tiroirs étaient pleins de ces bougies blanches de mauvaise qualité, destinées aux églises, et qui ont laissé sur nos murs de longues auréoles de suie. La paix venue, ce fut d’ailleurs un crève-cœur de ripoliner ces évidences de nos angoisses et de nos espérances, de nos veillées de traqués, de notre parenthèse sauvage. Bien sûr quand l’électricité manquait, l’eau, allant de pair, désertait nos canalisations. Il fallait laisser le robinet ouvert et poser dessous une bassine, de préférence métallique pour être alerté par le bruit si le flot surgissait en pleine nuit. L’ascenseur, il y avait longtemps qu’on avait renoncé à l’attendre. Depuis le jour où il avait fallu y passer la nuit. Se chauffer n’était pas une option. On n’avait qu’à ajouter des couvertures pour dormir. Dans la journée, même à l’intérieur, on gardait son manteau. Son chapeau si affinités. Parfois on se parlait en faisant de la buée et les enfants se tordaient de rire. Ainsi équipé, on avait toujours l’air prêt à partir. Ce qu’on était. Mais on ne partait pas.


La préhistoire, on a beau connaître, on ne s’y fait pas quand rien ne justifie qu’on y vive. Cet état régressif extrême a pour fâcheux effet de rendre tout le monde irresponsable. La faute à l’électricité, à pas de connexion, à pas d’eau, à pas de routes, à pas de pilote dans l’avion. Sans électricité, il y a en chacun de nous un sauvage qui s’éveille quand il est excédé. Il y en a qui brûlent des pneus. Si ça ne bouge personne en haut lieu, au moins ça réchauffe. On pense à cette vieille blague : « Comment faisaient les sauvages pour se réchauffer ? Ils installaient un sauvage central. » Au rythme où recule la civilisation sous nos cieux, et comme on est toujours le sauvage de quelqu’un, mieux vaut éviter d’en arriver là.

C’est tout de même une chose étrange qu’un pays grand comme une circonscription, peu industrialisé, doté d’une population relativement peu nombreuse, plutôt facile à desservir, pas pauvre malgré sa dette publique et ses inégalités sociales, jouissant qui plus est d’un climat tempéré, peine à ce point à assurer le courant à ses habitants. Le problème de...

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