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À La Une - L'Orient Littéraire

Amin Maalouf et le fauteuil 29

Amin Maalouf. Photo D.R.

Élu en 2011 à l'Académie française pour succéder à l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, l'écrivain né à Beyrouth prononce le 14 juin de l'année suivante son discours de réception qui porte cet engagement clair : « Par gratitude envers la France comme envers le Liban, j’apporterai avec moi tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes convictions, mes doutes, et plus que tout peut-être mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence. »
 
Le nouvel « immortel » – qualification propre aux élus de la Coupole –, a tenu sa promesse. Son dernier livre, Un Fauteuil sur la Seine, fait harmonieusement coexister ses dix-huit prédécesseurs qui, tour à tour, ont occupé le fauteuil numéro 29 de la célèbre Assemblée située quai de Conti à Paris. Les uns sont restés célèbres tels Henry de Montherlant, Ernest Renan ou encore Claude Bernard. Les autres demeurent inconnus du grand public tels Pierre Bardin ou Paul d'Albert de Luynes.
 
Redonner vie à ses prédécesseurs permet aussi à Amin Maalouf de montrer combien l'Histoire a parfois été aveugle aux rêves de progrès de certains d'entre eux, comme François de Callières (voir entretien) par exemple. Oubliés ou non, ces Hommes apparaissent ici en tout cas moins unis par leur origine sociale que par l'amour qu'ils portent aux lettres, mais aussi et surtout à leur époque. Une fois le livre refermé, tout lecteur honnête devra donc corriger le préjugé selon lequel la Coupole serait une institution lointaine, indifférente au monde extérieur.
 
Cet essai rappelle aussi que si c'est bien le cardinal de Richelieu qui officialise la fondation de l'Académie française en 1635, ce n'est pas lui qui en est à l'origine, mais bel et bien un groupe d'amis. Bien que truffé d'anecdotes, on chercherait en vain, ici, des secrets d'alcôves ou d'ordre politique relatifs à l'Institution. Là n'est pas le propos. Amin Maalouf préfère, comme il dit, porter un regard « affectueux » sur de tels « confrères » avec lesquels, depuis cinq ans maintenant, il fait famille. 
 
Quand ce livre est-il né dans votre esprit ?
 
Lors de mon élection à l'Académie française. Comme vous le savez, tout nouveau membre doit prononcer un discours de réception dans lequel il fait l'éloge de son prédécesseur. Il me revenait donc de parler de Claude Lévi-Strauss, un auteur que j'avais beaucoup lu lorsque j'étais encore étudiant. Mais j'avais aussi envie d'évoquer un autre grand personnage, qui s'est lui aussi assis sur ce fauteuil que j'occupe à présent : Ernest Renan.
 
Parce qu'il avait écrit La Vie de Jésus au Liban, le pays où vous êtes né ?
 
On a retenu cela à juste titre. Mais on a oublié qu'il avait dirigé une mission archéologique mise sur pied par Napoléon III (celui-ci voulait absolument faire comme son illustre oncle, le général Bonaparte, lors de la campagne d’Égypte). Il devait effectuer un inventaire des monuments datant de la période phénicienne et réfléchir à une mise en lumière de cette civilisation, alors méconnue en France. En tant que Libanais, je me devais donc de parler de Renan. Mais je me suis vite aperçu que, parmi mes prédécesseurs, il y avait aussi un spécialiste des croisades qui a beaucoup compté pour moi : Joseph Michaud. Les travaux de cet historien ont été d'une grande aide pour la préparation de mon premier livre, Les Croisades vues par les Arabes. Mais ce n'est pas tout. Au cours de la cérémonie d'investiture, mon collègue et ami Jean-Christophe Rufin m'a parlé d'un autre prédécesseur, nettement moins connu, mort à la suite d'une noyade à l'âge de quarante ans : Pierre Bardin. J'ai eu envie d'en savoir plus sur lui. C'est ainsi que l'idée de ce livre a commencé à murir dans mon esprit.
 
L'Académie française donne parfois l'impression d'être aristocratique, déconnectée de la réalité. Votre livre ne prouve-t-il pas le contraire ?
 
Absolument. Rappelons-nous d'abord qu'à l'origine de l'Académie française, il y avait un groupe d'amis. Lesquels, sous l'égide de Valentin Conrart, se réunissaient régulièrement. Leur point commun ? Tous étaient passionnés par l'activité littéraire et culturelle de leur époque. Un jour, le cardinal de Richelieu a eu vent de ces rencontres. Il a décidé de les prendre sous son aile, et même s’il n’a pas résisté à l’envie de les « instrumentaliser », il leur a laissé une grande liberté d’action et d’expression. J'ajoute que ces futurs académiciens appartenaient à des milieux sociaux différents, et portaient des croyances différentes. Dès l’origine, donc, il y a eu une volonté d'ouvrir grand les portes de cette future institution, de faire prévaloir l'égalité entre ses membres.
 
Le dix-neuvième titulaire de ce fauteuil numéro 29 que vous êtes est-il d'une certaine manière « l'addition » de ses prédécesseurs ?
 
Quelque chose se transmet, me semble-t-il. J'ai donc une certaine affinité avec chacun d’eux. Mais on ne peut pas dire qu'il y ait une transmission spécifique. Claude Lévi-Strauss avait parlé, avec raison, d’une sorte de « généalogie fictive ». En tout cas, l'idée d'un fil reliant tous ces personnages est bel et bien dans l'esprit de cette institution.
 
Vous sentez-vous en véritable osmose avec certains de vos prédécesseurs ?
 
Je vais être franc : je ne connaissais pas la plupart d'entre eux. Mais quand vous décidez de poser un regard affectueux – c'est le sens de ma démarche – vous éprouvez une certaine proximité avec ces personnages. Surtout ceux qui ont été malmenés par l'histoire. Je pense par exemple à Jean-Pierre Claris de Florian, un « protégé » de Voltaire. Il n'était sans doute pas un grand écrivain. Mais il y a quelque chose dans son parcours et dans son destin qui suscite, oui, de l'affection.
 
Vous avez aussi beaucoup de tendresse pour François de Callières. À travers lui, vous semblez vouloir rendre justice à des Hommes qui sont en avance sur leur temps.
 
Certains de ces vénérables prédécesseurs ont une vraie notoriété. D'autres ne l’ont jamais eue. D’autres encore l’ont eue, de leur temps, puis l'ont perdue. Je ne conteste pas le jugement de l'histoire. En tout cas, Callières est de ces personnages qui méritent assurément d'être mieux connus. D'ailleurs, sa renommée ne cesse de croître. Sa réhabilitation, entamée durant la Première Guerre mondiale, se poursuit, notamment dans les milieux universitaires. Cet homme n'avait pas une conception belliqueuse de la politique. Ce n'était pas courant à l'époque de Louis XIV. L’attitude de Callières était d'une grande modernité. 
 
Vous semblez aussi beaucoup apprécier Nicolas Bourbon, qui n'a cessé, écrivez-vous, de « vitupérer avec rage ceux qui font tant de bruit de leur religion ». Quelle résonance avec l'époque actuelle ?
 
Il s’était déchaîné contre Ravaillac, le meurtrier d'Henri IV, un roi d'une extraordinaire tolérance. N'oublions pas que ce dernier avait promulgué l'Édit de Nantes, qui accorde des droits aux protestants. C'était un geste très important dans l’histoire de France. La révocation de l’Édit par Louis XIV, petit-fils d’Henri IV, a été un désastre. Le chanoine Nicolas Bourbon jugeait inacceptable la surenchère religieuse. Tout au long de sa vie, il n'a cessé de vitupérer contre ceux qui utilisaient leur foi comme une arme brandie contre les autres.
 
Ne voyons-nous pas se dresser, en miroir, un portrait de vous, l'homme qui aime avant tout la pondération ?
 
C'est vrai que j'adhère davantage à l'attitude d'un Nicolas Bourbon, fou de rage contre le fanatisme religieux, qu'à celle d'un autre de mes prédécesseurs, le librettiste Philippe Quinault, qui avait cru bon de chanter les louanges de Louis XIV lors de la désastreuse révocation. L'esprit de l'Académie, c'est l'ouverture, c’est l'œcuménisme. Ce n'est pas un hasard si Richelieu, cardinal de l'église catholique, avait confié la responsabilité de l'institution à un calviniste, Valentin Conrart. Nous étions au lendemain de l'Édit de Nantes. L’attitude de Richelieu était cohérente, et respectable. Il considérait à juste titre que cette volonté de rassembler tous les sujets du roi, quelle que soit leur croyance religieuse, était essentielle pour bâtir une nation forte et apaisée.
 
Ce souci de l'œcuménisme est-il lié au fait que votre pays d'origine, le Liban, est une mosaïque confessionnelle ?
 
Je pense que oui. Un Libanais ne peut être insensible à cet aspect des choses.
 
L'Académie est garante de la langue française. Comment vous situez-vous dans le débat autour de la réforme de l'orthographe qui a récemment ressurgi dans l'actualité hexagonale ?
 
Cette réforme ne me paraît pas en mesure de résoudre les vrais problèmes liés à l'apprentissage de la langue. Pour avoir parlé à la fois à des collègues académiciens et à des représentants du ministère de l'Éducation nationale, je crois que tout le monde, à vrai dire, a été surpris par l’ampleur que ce débat a prise. De mon point de vue, c’est une polémique futile, et il me semble qu’elle n'ira pas plus loin !

 

 

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Élu en 2011 à l'Académie française pour succéder à l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, l'écrivain né à Beyrouth prononce le 14 juin de l'année suivante son discours de réception qui porte cet engagement clair : « Par gratitude envers la France comme envers le Liban, j’apporterai avec moi tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes...

commentaires (2)

Nous sommes fiers de vous Mr Maalouf...je ne m'etonne pas que les libanais brillent partout dans le monde,surtout les libanais...

Soeur Yvette

16 h 00, le 03 avril 2016

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Commentaires (2)

  • Nous sommes fiers de vous Mr Maalouf...je ne m'etonne pas que les libanais brillent partout dans le monde,surtout les libanais...

    Soeur Yvette

    16 h 00, le 03 avril 2016

  • Claude Lévi Strauss avait parlé, avec raison, d’une sorte de « généalogie fictive ». CLAUDE LEVI STRAUSS :LES BOROROS SONT DES ARARAS Pour information : les bororos sont une tribu d’Amazonie et les araras des perroquets (les aras) qui servent de totem gravés sur l’étui pénien des bororos. ET LE STRUCTURALISME L'ARNAQUE INTELLECTUELLE DU SIECLE?

    Henrik Yowakim

    14 h 25, le 03 avril 2016

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