Mais que font tous ces chiens à Gaza ?

Neuf ans de blocus de la bande de Gaza ont eu raison de la patience de certains Gazaouis, qui n'en peuvent plus de vivre soumis et lésés, à l'intérieur comme à l'extérieur.
À l'été 2015, pour casser la routine, Abou Fady a créé une page Facebook pour tous les amoureux de chiens. Dès les premières heures, la page enregistrait 200 abonnés. Aujourd'hui, ce sont plus de 13 000 adhérents qui se regroupent pour défier une société jugée trop conservatrice et vivre une aventure en communauté.

Maher Jaber (37 ans) est originaire de Gaza. Il a une passion : les bergers allemands. Il en possède un et compte bien le faire savoir. Il a fondé le groupe « Chiens allemands de Gaza ». Pour cet éleveur, les porcs « sont désignés comme "haram", mais les chiens ne sont nullement cités pas le Coran. Alors chacun peut interpréter à sa façon, mais ce n'est pas religieux, ça devient personnel », explique-t-il, interrogé par L'Orient-Le Jour.
Cheikh Hassan al-Lahham, le mufti de Gaza, ne partage pas cet avis. Pour lui, « ceux qui ont un chien le promènent dans les rues de Gaza enfreignant la loi islamique. L'islam ne tolère les chiens que pour la chasse ou pour surveiller un troupeau, mais pas comme un animal de compagnie ».

Un des membres actifs du groupe, Ahmad al-Smary, emmène souvent son chien à la mer. « Ceux que ça dérange n'ont qu'à quitter les lieux », dit-il.
Lors du pique-nique mensuel organisé par le groupe, Loay Saleh (26 ans) affirme que depuis que ce groupe existe, les chiens sont devenus un véritable phénomène de société. « Beaucoup de jeunes oisifs commencent à entraîner leurs chiens au niveau professionnel et se sont inventé un travail. Ici, il n'y a aucune perspective d'avenir, alors cette opportunité suscite un nouvel espoir », analyse-t-il.

(Lire aussi : Palestine : d'un blocage tragique à une fenêtre d'opportunité ?)

Nouvelle vie
Personne n'ose s'exprimer ouvertement contre les autorités par peur des représailles, mais tout le monde s'accorde à dire que celles-ci ne font rien depuis leur accession au pouvoir pour améliorer la vie des habitants. Bien au contraire, Gaza vit depuis l'élection du Hamas entre le marteau et l'enclume. Les jeunes s'inventent un loisir, un travail et d'aucuns ont trouvé dans l'élevage des chiens l'ultime recours pour (se) créer une nouvelle vie.

Mohammad Buji, professeur de littérature à l'université al-Azhar à Gaza, explique cet engouement comme une possibilité de « s'échapper de cette grande prison qu'est Gaza. Nous sommes pris en étau entre nos milices et l'armée israélienne. Cette activité libère l'esprit et offre une échappatoire à ces jeunes désemparés ».
À contre-courant de la société et surtout à la marge des autorités islamistes, cette révolte d'un nouveau genre s'impose et fait de plus en plus d'émules chez les moins de 30 ans. C'est une façon de se démarquer de leurs aînés et de rejeter les appels à la violence qui constituent la seule option dans ce territoire exsangue.

Les chiens proviennent d'Israël. Ils sont négociés entre 200 et 1 000 USD, ce qui pourrait paraître rédhibitoire à Gaza, où le chômage touche 43 % des jeunes de moins de 25 ans et où le salaire moyen est de 300 USD par mois. Alors, pour Maher Jaber, au-delà de l'aspect frime et une rébellion contre les institutions, « l'entraînement de ces chiens et leur revente constituent une manne. Nous cherchons des fonds pour créer une école de dressage. C'est un projet ambitieux, mais je suis convaincu qu'il sera lucratif et surtout qu'il permettra d'occuper des dizaines de jeunes passionnés qui trouveront enfin un sens à leur vie », s'enthousiasme-t-il.

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