Une semaine après sa percée historique au premier tour des élections régionales françaises, le Front national pourrait finalement ne remporter aucune présidence de région à l'issue du second tour. Les derniers sondages donnent le FN perdant dans les trois régions où il a le plus de chances de l'emporter, à savoir le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), et le Grand Est. Un score qui signifierait un zéro pointé pour les trois principales figures du parti, en tête dans ces régions, Marine Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen, et Florian Philippot.
De tels résultats au deuxième tour supposeraient que les consignes de votes du Parti socialiste aient été respectées et que les électeurs de gauche aient très largement voté en faveur des candidats de droite dans ces trois régions. « Il faut lire ces sondages avec prudence », tempère toutefois Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite. Ce dernier rappelle que les électeurs de gauche auront certainement du mal à voter pour Christian Estrosi, représentant de l'aile la plus droitière dans le parti Les Républicains, dans la région PACA, et pour Xavier Bertrand, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, dans la région du Nord-Pas-de-Calais.
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Constante progression
« Si le FN obtient zéro région dimanche, tout le monde va dire : On s'est fait peur pour rien. Mais le prix de la défaite frontiste serait un désistement contre nature de la part du PS », estime M. Camus, auteur, avec Nicolas Lebourg d'un ouvrage sorti récemment aux éditions du Seuil et intitulé Les Droites extrêmes en Europe. Une défaite du FN pourrait amener la classe politique à minimiser la performance réalisée par le parti et, peut-être même, à considérer que les résultats du premier tour étaient un accident politique. Il faudrait pourtant que la droite et la gauche unissent leurs forces, malgré toutes leurs divergences idéologiques, pour battre, de justesse selon les sondages, les candidats du FN.
Cette victoire à la Pyrrhus ne remettrait toutefois pas en question la constante progression du parti d'extrême droite au sein de l'électorat français. « Le FN pèse aujourd'hui entre 6 millions et 6,5 millions de voix. Le parti représentait, en 1980, moins de 1 % des suffrages, et il a constamment progressé depuis pour atteindre 28 % au premier tour des régionales. Cela ne peut pas être le résultat des crises récentes, c'est un mouvement de fond qui a réussi à consolider son électorat », analyse M. Camus.
Interrogé par le journal Le Monde, Joël Gombin, membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, soutient que « quel que soit le type de scrutin et quel que soit le contexte politique, force est de constater que le FN améliore sa performance pour chaque type d'élection par rapport à la précédente. Et cette augmentation se fait de manière générale sur l'ensemble du territoire ».
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Diversification sociologique de son électorat
Le FN dispose désormais d'un ancrage sur l'ensemble du territoire. « Il n'existe aucun département où le parti a fait moins de 10 pour cent ou 15 pour cent des voix », confirme M. Camus, ajoutant que le parti profite également « d'une diversification sociologique de son électorat ». Des électeurs qui votaient jusqu'en 2012 à droite sont désormais séduit par le discours du FN. Aussi, le parti d'extrême droite pourrait profiter d'un report de vote d'une partie de ces électeurs pour s'imposer, au moins dans une région, demain. Leader de la droite, Nicolas Sarkozy a fait le pari de durcir sa ligne politique pour éviter que les électeurs de droite soient tentés de voter pour le parti présidé par Marine Le Pen. « Si le FN perd dans toutes les régions, Sarkozy aura gagné son pari », juge M. Camus.
Le « front républicain » contre le FN, réclamé par le Premier ministre Manuel Valls, risque d'avoir un résultat assez paradoxal : il permettrait de battre le FN, mais renforcerait sa posture de « seul contre tous ». La défaite serait arithmétique, mais pas forcément politique. Pour les deux partis traditionnels, la défaite du FN aurait un goût amer : la gauche aura été obligé de faire le jeu de la droite, quitte à brouiller son message politique ; la droite aura été obligée de durcir son discours, quitte à ressembler de plus en plus au parti d'extrême droite.
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Éléments de langages
« En cas de défaite, les éléments de langages sont déjà mis en place au sein du FN. Ils diront qu'ils avaient tout le système contre eux et que, par conséquent, leurs résultats sont honorables. Finalement, le désistement accrédite l'idée qu'il y a un front contre nature qui s'est fait contre le FN », note M. Camus.
Pour Marine Le Pen, une défaite laisserait toutefois « quelques traces ». Elle a énormément hésité avant de se présenter. « Elle voulait pouvoir s'appuyer sur une dynamique de victoire avant la présidentielle », dit M. Camus.
Selon lui, la candidate du FN pourra toutefois tirer deux enseignements importants de ces régionales, quels que soient les résultats de demain : elle peut accéder au deuxième tour en 2017, mais 60 % des Français affirment qu'ils ne voteront jamais pour le FN.
« Le FN a un énorme avantage pour 2017 : il n'y a qu'un candidat. Il n'y pas de numéro deux. Marion Maréchal-Le Pen n'a que 26 ans. Elle ne peut contester le leadership à Marine Le Pen. Cette dernière a réussi à se débarrasser de son père sans que cela crée des listes concurrentes », indique M. Camus. Un nouvel indice de sa capacité de résilience. Ses adversaires ne pourront pas dire qu'ils n'étaient pas prévenus...
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commentaires (10)
Mais c'est d'un "Ordinaire" ! On se croirait en 36-39 !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
02 h 13, le 13 décembre 2015