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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Les belles années de Charm el-Cheikh, c’est fini »

Une semaine après le crash de l'avion russe dans le Sinaï, de nombreux vacanciers sont toujours bloqués dans la station balnéaire. Entre agacement et déception, touristes et locaux se confient.

L’aéroport de Charm el-Cheikh oscille entre grosse agitation aux départs et calme plat aux arrivées. Mohammad el-Shahed/AFP

« Je suis triste de partir », lance Erin, 53 ans, petite robe turquoise sur un décolleté trop bronzé. « C'est une ville tellement agréable, les gens sont si gentils », ajoute-t-elle. Avec Martin, son mari, ils avaient choisi de passer des vacances dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, sur recommandation de plusieurs amis. Une semaine et demie de vacances, juste le temps de faire quelques excursions dans le désert et de profiter de la piscine de l'hôtel. Si tout se passe comme prévu, ils devaient prendre un avion en soirée. Retour vers un Londres « triste et pluvieux », souffle Erin. « On nous a demandé de venir quatre heures avant le départ de l'avion, note Martin. On espère pouvoir rentrer, mais j'ai quelques doutes avec tous ces Russes... »

 

(Lire aussi : Wilayat Sinaï, l’énigmatique branche égyptienne de l’EI)


Depuis l'annonce par la Russie et le Royaume-Uni du rapatriement de leurs ressortissants après le crash de l'avion de la compagnie russe Metrojet dans le Sinaï le 31 octobre (224 morts, presque tous russes), l'aéroport de Charm el-Cheikh oscille entre grosse agitation aux départs et calme plat aux arrivées. En quelques jours, 25 000 Russes et 5 000 Britanniques sont rentrés chez eux.
Dans le bâtiment, au premier comptoir de sécurité, un long serpent de petits shorts et de valises chargées de sacs de shopping s'est formé en quelques minutes. Bientôt, les touristes qui s'agglutinent entravent le bon fonctionnement des portes automatiques à l'entrée de l'aéroport, alors que les tapis pour récupérer les bagages, eux, sont immobiles : personne n'est arrivé depuis plusieurs jours.

 

(Lire aussi : Charm el-Cheikh voit l'avenir en noir)

 

« Ce n'est plus la peine »
Avant de se jeter dans la foule, Milena, 27 ans, a décidé de manger une salade dans la cafétéria déserte. C'est à contrecœur qu'elle va monter dans un avion. « Ça fait deux mois que je suis ici, je viens d'être embauchée dans une agence de tourisme, à l'adresse des Russes. Je pouvais rester, je ne suis pas considérée comme touriste à proprement parler, mais ma compagnie m'a dit que ce n'était plus la peine, qu'on n'aurait plus de boulot avant plusieurs mois », assure-t-elle.
Hier, le Premier ministre russe a admis la possibilité qu'un « acte terroriste » ait été à l'origine du crash, le chef de la diplomatie britannique évoquant un attentat à la bombe du groupe État islamique, alors que la branche égyptienne de l'EI avait dès la semaine dernière affirmé être à l'origine de la catastrophe.
Milena n'a pas encore de billet et a bien conscience que le départ effectif pourrait prendre plusieurs jours, mais ce n'est pas pour lui déplaire : « J'avais tout quitté en Russie pour m'installer ici. Avec cet accident, le tourisme risque de s'écrouler pour plusieurs mois et je n'ai pas les moyens de rester sans travail », explique-t-elle. Elle a emmené quelques affaires, et, comme des centaines de passagers, va se joindre à la longue queue pour tenter de trouver une place dans la dizaine de vols prévus ce jour-là.

 

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« S'il vous plaît, revenez ! »
Non loin de là, enfouie sous une montagne de bagages, Gladys peste : « C'est un enfer franchement ! On doit voyager avec Turkish Airlines. Depuis trois jours, personne n'est capable de nous dire quand nous pourrons partir et ce que nous devons faire », souffle cette Belge d'une soixantaine d'années. Depuis vingt minutes, son mari fait des allers-retours à l'intérieur de l'aéroport pour tenter de glaner des informations, sans succès. « On ne nous dit rien, personne ne nous dit rien ! La Belgique ne nous dit rien, la compagnie ne nous dit rien, et ici, on ne sait pas, on suit le mouvement ! »
À l'évocation de leur séjour, leurs yeux se remettent à briller pourtant. « Sainte-Catherine, Namaa Bay, la plage... Et puis les gens sont tellement accueillants ! Il ne faut pas que cette situation dure, insiste Gladys, beaucoup de gens souffrent déjà ici, et ça risque d'être encore pire. »
Après avoir été instructeur de plongée et serveur, pendant quelques années, Ahmad, 27 ans à Charm el-Cheikh au compteur, s'est reconverti en chauffeur de taxi. Pour une course entre l'aéroport et l'hôtel (13 km), il demande 40 livres égyptiennes (environ 5 dollars). Plus du triple d'une course normale. « Il faut bien gagner son pain. Estimez-vous heureuse, la plupart demandent 80 guinées », assure-t-il dans un anglais cassé. « Les Russes et les Anglais, ils ne sont vraiment pas malins! » poursuit-il. « Est-ce que la France fait tout ce cirque ? L'Italie? L'Allemagne ? Ils veulent nous tuer, je ne vois pas d'autres explications. Ici, il n'y a plus que des touristes russes et anglais, et ce sont eux qu'on rapatrie ! s'énerve-t-il, avant de s'excuser pour son emportement. C'est un complot tout ça ! (Avant-) hier, un avion a pris feu à Londres. Qui rapatrie ses touristes pour ça ? Personne ! Ah, mais quand c'est l'Égypte ! »

 

(Lire aussi : Des médias égyptiens évoquent un "complot" contre Le Caire et Moscou)


Depuis la révolution de 2011, avec le retour de l'instabilité politique et du terrorisme, la fréquentation touristique a baissé de 35 %. De nombreux hôtels ont bradé leurs prix et renvoyé leurs employés, incapables de faire tourner l'entreprise comme dans le passé. Leur survie tient à une chose : la volonté des Russes et des Anglais, depuis trois ans, de venir, en dépit des recommandations négatives pour cette zone. S'ils décident de privilégier d'autres destinations, c'est tout Charm el-Cheikh qui n'aura plus de travail. D'ailleurs, les employés sont bien conscients des mois difficiles qui les attendent. Mohammad, vendeur de souvenirs, assure que la « galère » ne date pas d'hier. « Les belles années de Charm el-Cheikh, c'est fini. On a eu trop de problèmes ces dernières années, beaucoup de gens ont peur de venir. On n'a plus que des Russes ! Alors on a tous essayé d'apprendre la langue », ricane-t-il. « Si eux ne viennent plus, c'est la catastrophe... Mais je garde espoir, tout ça ne va durer que quelques semaines », conclut-il.
Tout le monde ne partage pas l'optimisme de Mohammad. À l'entrée de l'aéroport, un chauffeur de taxi lance à ses clients qui s'éloignent : « S'il vous plaît, revenez ! »

 

 

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« Je suis triste de partir », lance Erin, 53 ans, petite robe turquoise sur un décolleté trop bronzé. « C'est une ville tellement agréable, les gens sont si gentils », ajoute-t-elle. Avec Martin, son mari, ils avaient choisi de passer des vacances dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, sur recommandation de plusieurs amis. Une semaine et demie de vacances, juste le...

commentaires (1)

Oui..! il semble que ce soit maintenant, le charme lointain et le chèque sans provision....

M.V.

14 h 35, le 11 novembre 2015

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Commentaires (1)

  • Oui..! il semble que ce soit maintenant, le charme lointain et le chèque sans provision....

    M.V.

    14 h 35, le 11 novembre 2015

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