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Moyen Orient et Monde

Un État indépendant ou pas ?

Un militaire sahraoui lors du 35e anniversaire de la proclamation de la République démocratique arabe sahraouie à Tifariti. Dominique Faget / AFP

La stratégie espagnole de contrôle du Sahara a eu deux conséquences directes : la détérioration des rapports entre l'Espagne et le Maroc d'une part et entre le Maroc et l'Algérie d'autre part.
Dans un message au général Franco, Hassan II menace de recourir à la force si Madrid s'entête à créer un « État fantoche ». La démarche du roi est soutenue par les principaux partis marocains, de l'Istiqlal (droite) au PPS (communiste), en passant par l'USFP (socialiste). Parallèlement, la presse marocaine s'en prend violemment à l'Algérie, accusée d'être favorable à l'indépendance du Sahara et d'être, par conséquent, un allié objectif du colonialisme espagnol. Le Maroc engage dès lors une offensive diplomatique internationale, et tous les partis y sont associés.

Terra nullius ?
En 1974, le Polisario, de son côté, adresse une pétition au comité de décolonisation et à la commission des droits de l'homme de l'Onu dans laquelle il dénonce la politique de répression de l'Espagne et sa politique d'autonomie. La même année, le Maroc annonce qu'il entend saisir la Cour internationale de La Haye afin qu'elle se prononce sur « les droits historiques du Maroc sur le Sahara espagnol ». La Mauritanie, qui réclamait aussi le rattachement du Sahara à son territoire, envoie une note à l'Onu pour rappeler ses droits. En décembre 1974, l'Assemblée générale de l'Onu demande à la Cour de rendre un avis consultatif sur deux questions, la première : le Sahara occidental était-il au moment de la colonisation une terra nullius (un territoire sans maître) ? La deuxième : en cas de réponse négative, quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien ? L'Assemblée générale décide également de l'envoi d'une mission au Sahara qui doit rencontrer toutes les parties et formuler des propositions au comité de décolonisation. Au terme de cette visite, elle fait part d'un certain nombre de problèmes posés, dont celui consistant à procéder à un recensement fiable de la population (problème qui perdure jusqu'à présent au demeurant et qui est un des points de friction entre le Polisario et le Maroc), puis préconise le respect du « droit de la population à l'autodétermination » sans se prononcer sur les revendications marocaines et mauritaniennes.

« Marche verte »
Par la suite, la Cour international de justice rend un avis dans lequel elle déclare que le Sahara n'était pas une terra nullius au moment de la colonisation espagnole, notant que « le Sahara occidental était habité par des populations qui étaient organisées socialement et politiquement ». S'agissant de la seconde question, son avis est moins tranché, bien qu'elle soutienne qu'il n'existe pas de preuves concluantes quant à l'exercice de la souveraineté marocaine sur le Sahara avant la colonisation du territoire, mais reconnaît que le sultan avait une autorité sur certaines tribus. La CIJ conclut en préconisant l'application de la résolution 1 514 sur le droit des peuples à l'autodétermination. Le Maroc et la Mauritanie aussi bien que l'Espagne interprètent alors différemment les conclusions de la justice internationale, les premiers trouvant là une confirmation de leurs revendications. C'est ainsi qu'au lendemain de la publication de l'avis, le Maroc lance la fameuse « Marche verte » qui devait faire pression sur l'Espagne pour l'amener à négocier.

Vives tensions
Cette initiative du roi marocain avait aussi une fonction interne : les partis politiques réclamaient une action plus « énergique » pour récupérer le Sahara et reprochaient au roi de ne pas conforter son action diplomatique par une action politique et militaire. La marche reçoit le soutien de toutes les organisations politiques, syndicales et religieuses. Mais également de la Mauritanie, de la Jordanie, de l'Arabie saoudite (qui finance une grande partie de l'opération et octroie au Maroc une aide de 300 millions de dollars), de la Tunisie, de l'Égypte, du Liban et des principaux émirats du Golfe. Mais elle suscite de très vives tensions avec l'Algérie, qui dénonce la politique de Rabat : les deux pays ferment leur frontière commune et des manifestations d'hostilité contre Alger ont lieu dans certaines villes du Maroc. Le Polisario, pour sa part, s'oppose vivement à Rabat et accuse le Maroc de « vouloir confisquer sa liberté au peuple sahraoui ». L'Espagne, de son côté, riposte en disposant des champs de mines qui barrent le passage des marcheurs qui prennent soin de contourner les positions espagnoles. Des heurts ont lieu entre les troupes marocaines chargées d'encadrer les manifestants et le Polisario, faisant 87 morts. Cependant, le Maroc atteint son objectif et l'Espagne accepte de négocier. Le 14 novembre 1975, l'accord de Madrid est signé entre les deux parties. Il stipule que le Maroc et la Mauritanie contribueront à l'administration du territoire pendant une période provisoire jusqu'à février 1976, date à laquelle l'Espagne devrait quitter définitivement le territoire, et l'armée marocaine occuper les positions évacuées par les troupes espagnoles. C'est ainsi que le 27 novembre, les troupes de la FAR (Force armée royale) occupent Smara, et le 11 décembre, la ville d'El Aioun, c'est-à-dire les deux principales villes du Sahara occidental.
Au même moment, l'armée mauritanienne occupe les positions du Sud. En janvier 1976, les troupes marocaines entrent à Dakhla, alors que le Maroc et la Mauritanie s'étaient mis d'accord quelques mois auparavant sur le partage du territoire et avaient fixé les territoires. À l'arrivée des troupes marocaines, une partie significative des habitants prennent la route de l'exil et se regroupent dans des camps de réfugiés. Les plus jeunes rejoignent le Front Polisario. L'occupation de la seule ville de Smara provoque l'exode d'environ 40 000 habitants (chiffre donné par l'historien de sources). La Fédération internationale des droits de l'homme accuse le Maroc et la Mauritanie de « pratiquer un génocide à l'encontre du peuple sahraoui ».

Balkanisation
L'Algérie considère alors que ce déploiement militaire représente une menace contre le régime d'Alger et un « moyen de contenir la révolution algérienne ». Non seulement les relations entre Alger et Rabat deviennent exécrables, mais les relations algéro-sénégalaises se détériorent rapidement en raison du soutien du président Léopold Senghor au Maroc. L'Algérie décide d'expulser 30 000 Marocains qui résident sur son territoire. Le Maroc envisage de rendre la pareille avant de se raviser. Chaque partie tente de se constituer des alliés pour soutenir sa politique. Ainsi, l'Algérie se rapproche de la Libye qui, bien qu'ayant soutenu le Polisario dans sa lutte contre le colonialisme espagnol, n'était pas hostile à un rattachement au Maroc, au nom de l'unité arabe et par crainte d'une « balkanisation » de la région sur des bases ethniques.
Sur le terrain, la situation se dégrade : hormis les conditions de vie des réfugiés sahraouis à Tindouf (qualifiés de tragiques par le Comité international de la Croix-Rouge), le Polisario engage des combats avec les forces marocaines dans la région de Dakhla. Encore une fois, l'Algérie est accusée de fournir des armes sophistiquées au Polisario. L'engagement militaire direct algérien est découvert au cours de la bataille d'Amgala pendant laquelle plusieurs soldats algériens sont capturés. La tension entre les deux pays devient insoutenable et menace de dégénérer en guerre directe. Plusieurs États arabes décident d'entreprendre une médiation : la Libye, l'Égypte, l'Arabie saoudite, le Yémen, la Syrie, l'Irak, le Soudan, et même le chef de l'OLP Yasser Arafat. En plus d'organisations régionales (OUA, Ligue arabe) et internationales (Onu).

Position de la France
Les anciennes puissances coloniales européennes ne pouvaient rester indifférentes à cette situation qui mettait en péril leur propre sécurité en raison de la proximité géographique des protagonistes. La France est un acteur d'abord neutre (les deux pays en conflit ayant été ses colonies). Puis Paris prend parti pour la position marocaine et se déclare hostile à la création d'un « mini-État dans le désert », mais ne s'engage directement dans le conflit qu'après l'enlèvement de deux coopérants français et la mort de cinq autres dans le sud du Sahara. Dès lors, il apporte ouvertement son soutien au Maroc, notamment dans le domaine militaire. Fin novembre 1977, la France lance l'opération « Lamantin » qui consiste à faire des missions de reconnaissance et d'intimidation dans les zones contrôlées par le Polisario. Par ailleurs, l'armée française aide les troupes marocaines dans leurs missions de ratissage.
Le 25 février 1976, l'Espagne, dans un mémorandum envoyé au secrétaire général de l'Onu, l'informe qu'elle met définitivement fin à sa présence sur le territoire.

La stratégie espagnole de contrôle du Sahara a eu deux conséquences directes : la détérioration des rapports entre l'Espagne et le Maroc d'une part et entre le Maroc et l'Algérie d'autre part.Dans un message au général Franco, Hassan II menace de recourir à la force si Madrid s'entête à créer un « État fantoche ». La démarche du roi est soutenue par les principaux partis...

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