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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Tarek Mitri : En Libye, un mauvais accord vaut mieux que rien

Pour l'ancien émissaire onusien et Ronald Bruce St John, il reste encore beaucoup de travail à faire, malgré le projet paraphé le 11 juillet dans la ville marocaine de Skhirat.

Il y aurait actuellement quelque 250 000 hommes à désarmer en Libye. Hani Amara/Reuters

Le 11 juillet 2015, un accord de paix interlibyen a été paraphé à Skhirat, au Maroc, fruit de longs mois de négociations ardues. Le projet permet d'encadrer de futures discussions dans le but de créer un gouvernement d'union nationale et compléter la transition, entamée en 2011, vers un gouvernement élu démocratiquement. Plusieurs clauses de l'accord doivent encore faire l'objet de négociations, ce qu'a d'ailleurs annoncé le représentant spécial du secrétaire général pour la Libye, et chef de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul), Bernardino León. Ce dernier a en effet annoncé au cours des derniers jours que les négociations reprendraient probablement après la fin du ramadan.

Proposé par l'Onu, l'accord « de paix et de réconciliation » a été conclu en présence de plusieurs responsables libyens, dont des membres du gouvernement de Tobrouk, élu démocratiquement et reconnu par la communauté internationale. La coalition à dominance islamiste Fajr Libya et le Congrès général national (CGN), qui soutiennent le second gouvernement – qui siège à Tripoli –, étaient en revanche les grands absents de la réunion de Skhirat. Étaient cependant présents des membres des municipalités de Misrata et de Tripoli, proches de la coalition islamiste, ainsi que des représentants d'autres factions libyennes. De ce fait, il est particulièrement difficile de se faire une idée de l'étendue de la représentation réelle du peuple libyen par ces représentants lors de la signature de l'accord. La question selon laquelle la signature de cet accord fait l'unanimité et reste viable se pose donc d'emblée. « Fajr Libya, le CGN et le gouvernement de Tripoli qu'ils soutiennent n'ont aucune légitimité constitutionnelle ou internationale. Ainsi, la légitimité de l'accord du 11 juillet n'est aucunement affectée par l'absence de signature de cette coalition. Cela dit, il est difficile d'imaginer l'application de cet accord sans le soutien actif et la participation d'au moins quelques membres du CGN et du gouvernement de Tripoli », estime Ronald Bruce St John, auteur de nombreux ouvrages sur la Libye.

 

( Lire aussi : La Libye, un repaire pour les extrémistes aux portes de la Tunisie )

 

« Éléphants dans la pièce »
Pour l'ancien ministre Tarek Mitri, ex-représentant du secrétaire général de l'Onu Ban Ki-moon en Libye, l'accord est légal et reste un début d'entente, mais le problème reste entier. Il déplore toutefois que la réunion ministérielle européenne soit en train d'étudier la possibilité d'appliquer des sanctions à l'encontre des détracteurs de l'accord de Skhirat. « La même chose avait été faite pour le Yémen, et l'on voit le résultat aujourd'hui », déplore-t-il, jugeant qu'il faudrait au contraire convaincre les récalcitrants, au lieu de leur forcer la main. « Il ne suffit pas qu'il y ait un accord, mais il faut encore qu'il soit applicable, souligne M. Mitri. L'actuel projet est bon, mais il est à considérer avec beaucoup de prudence. Il y a plusieurs éléphants dans la pièce, comme on dit, comme par exemple le problème que représente le général (Khalifa) Haftar, qui combat les milices islamistes, et son rôle futur (...). Il y a aussi le désarmement des brigades – composées de quelque 250 000 hommes –, le pétrole, la Banque centrale...

Le ''butin de guerre'' reste l'enjeu principal, et un mauvais accord reste mieux que rien, d'autant que la pression populaire devient très forte. Certains Libyens croient encore à une intervention militaire internationale, explique M. Mitri. Avant tout, il faudrait qu'il y ait un consensus au sein même de la coalition formée par Fajr Libya, qui n'est pas un mouvement homogène ». La preuve, la présence de certains de leurs proches à Skhirat.
De son côté, le gouvernement de Tobrouk est supposé siéger jusqu'en octobre, date à laquelle il devrait être prolongé d'un an, en sus de la création d'un Conseil d'État, indique M. Mitri. Là aussi, des dissensions profondes existent. Une réconciliation généralisée est souhaitable pour que les futures négociations puissent avoir lieu et, peut-être, pour qu'un gouvernement d'union nationale soit mis en place. Il n'est peut-être pas trop tard pour que le gouvernement de Tripoli change d'avis et se joigne aux protagonistes de l'accord du 11 juillet, d'autant que Bernardino León « a répété à plusieurs reprises que ''la porte reste ouverte'' aux détracteurs de l'accord », rappelle pour sa part M. St John.

 


Le représentant spécial du secrétaire général pour la Libye Bernardino León lors des négociations de Skhirat. Reuters



Dans un contexte tel que celui-ci, il est aisé de craindre la prolifération de groupes extrémistes comme l'État islamique (EI), déjà présent d'ailleurs en Libye. Les mouvements islamistes radicaux comme l'État islamique (EI) prolifèrent dans les contextes socio-économiques et politiques instables, à l'ombre desquels les gouvernements élus ne peuvent ou ne veulent pas protéger leur électorat, confirme M. St John. Le chaos qui déchire la Libye ces dernières années a permis à Daech (acronyme arabe de l'EI) et à d'autres groupes associés de propager leur idéologie radicale. D'un autre côté, même si Daech a connu un succès relatif mais limité à Derna (d'où il a été expulsé) et Syrte, le peuple libyen dans sa vaste majorité semble ne montrer aucun intérêt ou soutien à ce type d'idéologie islamiste radicale. Dans ce cas, si l'accord mène à la mise en place d'un gouvernement d'union nationale, « il y a toutes les raisons de croire que ce dernier pourra aisément attaquer et déraciner Daech et les autres mouvements islamistes », espère l'expert. « Il ne faut pas sous-estimer ces groupes », tempère quant à lui M. Mitri. « En ce moment, personne n'a la légitimité ni la force de combattre l'EI. S'ils sont visibles à Derna et à Syrte, cela ne veut pas dire qu'ils n'existent pas ailleurs, et c'est inquiétant. »


(Pour mémoire : Libye: Tripoli appelle à la "mobilisation" générale face à l’État islamique)

Frontières poreuses
En attendant, l'accord de Skhirat représente une lueur d'espoir pour la Libye comme pour les pays voisins, affectés par la porosité de leurs frontières avec l'ex-Jamahiriya. Pour MM. Mitri et St John, il est certain que les conséquences ne pourraient être que positives pour la région, durement affectée par les trafics d'armes et la libre circulation de terroristes. Pour les deux experts également, la communauté internationale comme les pays de la région – Niger, Tchad, Égypte, Algérie, Tunisie, Soudan, etc. – sont toutefois aussi responsables que la Libye concernant la protection des frontières.
« L'Union européenne (UE) a envoyé des experts qui ont rédigé des rapports mais ont fui au premier coup de fusil. Résultat, rien n'a été fait sur le terrain », déplore Tarek Mitri.

L'un des problèmes les plus importants de la région comme de l'Europe reste celui de l'immigration clandestine. Là aussi, la communauté internationale et la région ont un rôle à jouer. « L'immigration clandestine est un problème immense et complexe que la Libye ne peut commencer à essayer de régler avant de regagner un minimum de contrôle à ses frontières, estime M. St John. Ce faisant, le pays sera graduellement en meilleure position pour combattre les milices (armées et sans affiliation) et d'autres éléments criminels qui bénéficient financièrement de l'immigration clandestine. Un soutien technique et financier de la part de pays occidentaux alliés à la Libye, soutenue parallèlement par la coopération active de pays voisins, devrait pouvoir considérablement changer la donne dans ce domaine », conclut-il.

 

Pour mémoire
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