Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Grand récit

« Quand je repense à cette fuite, de Syrie en Allemagne, je regrette d’avoir fait ce choix »

Quatre mois de voyage, 22 000 euros déboursés, cinq frontières franchies à pied, en voiture, en train, en avion et par bateau. Goora*, son épouse et son fils, alors âgé de six ans, ont quitté Hassaké en juillet 2013 avec, en tout et pour tout, deux valises. Goora raconte la fuite, de la Syrie à l'Europe, une véritable épopée vécue par des centaines de milliers de ses compatriotes fuyant un pays en guerre. Voici le dernier des quatre épisodes de ce récit.

Illustration réalisée par Samer NEHME.

(Résumé des épisodes précédents : Goora et sa famille fuient Hassaké, traversent à pied la frontière au niveau de Derbasiya, se font arrêter par la police turque. Après un passage devant le tribunal de Mardin et une longue et vaine attente pour trouver un bus, la famille se résout à prendre l'avion pour Izmir, où ils attendent trois jours dans un hôtel misérable, puis trois jours en bord de mer un bateau qui n'arrivera jamais. C'est finalement à bord d'un canot pneumatique dont le pilote a décampé qu'ils arrivent à Mytilène, île grecque. Après s'être rendus à la police, ils reçoivent un permis de séjour et partent pour Athènes. De là, ils tentent de passer en Suède avec des passeports falsifiés. Mais la tentative échoue. La famille doit reprendre la mer, dans des conditions dramatiques. Leur bateau, surchargé de migrants, est intercepté par la police italienne. Tous les passagers sont transférés dans le camp de Roccella Ionica. Goora et sa famille réussissent à fuir, mais sans leurs passeports. Lire le troisième épisode ici, le deuxième ici et le premier ici)

 

 

Une fois hors du camp de réfugiés de Roccella Ionica, Goora repère des rails et décide de les suivre. La petite famille arrive dans une gare. Un bon nombre de réfugiés, ayant, eux aussi, décidé de fuir le camp, s'y trouvent déjà. Goora et les siens embarquent à bord d'un train pour Milan. « Nos vêtements étaient trempés et puaient, nos valises étaient pleines d'eau. Nous sommes arrivés à Milan au bout de 15 heures de voyage sans argent et sans passeport. » Impossible donc de dormir dans un hôtel. « Nous avons mangé dans un petit restaurant et dormi dans une chambre à 20 euros trouvée par le restaurateur. »
À partir de là, Goora n'a plus qu'une idée en tête : atteindre la Suède. « Nous avons pris le train en direction de l'Allemagne, mais lorsqu'il s'est arrêté en Autriche la police a réclamé nos papiers. Nous n'en avions pas. On nous a emmenés au poste où, comme d'habitude, nous avons été photographiés et interrogés. Tous ces pays par lesquels nous sommes passés ont notre photo mais personne n'a jamais pu prononcer notre nom correctement. Au final, nous ne savions même plus comment le prononcer nous-même... »
Après les avoir questionnés, la police autrichienne les ramène au poste frontière italien. Même histoire du côté italien : photos, empreintes, interrogatoires. Ils sont relâchés.
Goora, Ishtar et Eil retentent leur chance, reprennent le train pour l'Allemagne. La police autrichienne les arrête à nouveau et les renvoie au même poste de police italien... « J'ai supplié les policiers autrichiens de me laisser aller en Allemagne, ils ne voulaient rien entendre, il pleuvait, il faisait froid et ils ne voulaient rien entendre. »
Nous sommes en octobre 2013, la famille a quitté la Syrie depuis un peu plus de trois mois. Trois mois sur la route. « On se disait que l'on devait tenir le coup, que c'était notre destin. Pourtant, plus on s'éloignait de la Syrie, plus on se sentait perdus au milieu de nulle part et plus tout devenait extrêmement pénible. »

 

« Il a risqué sa vie, il aurait pu être accusé d'être un passeur »
En désespoir de cause, Goora décide d'appeler à l'aide un parent en Allemagne. Il répond à l'appel et vient récupérer la famille à la frontière italienne. « Il a risqué sa vie, il aurait pu être accusé d'être un passeur. » Trois heures de route plus tard, Goora, Ishtar et Eil arrivent dans la banlieue de Munich. Pour récupérer un peu, ils séjournent une semaine chez leur parent. Ils dorment dans un vrai lit et mangent de bons plats. « J'étais heureuse, je n'arrivais pas à croire que j'étais dans la maison d'un proche, j'avais hâte de profiter d'une vraie salle de bains », confie Ishtar qui se glisse dans le témoignage de son époux.
Au bout d'une semaine, la famille se remet en route pour la Suède, la destination qu'elle a toujours eue en tête.
Au bout de six heures de route en taxi, Goora, son épouse et son fils arrivent au port de Rostock et tentent de trouver une place dans un bateau. Mais la police les repère tout de suite et les escorte au commissariat où ils sont, de nouveau, interrogés et photographiés, avant d'être conduits dans un « heim » (un foyer pour réfugiés) à Horst. Là, ils tombent sur un melting-pot de réfugiés logés dans des pièces en béton construites les unes à côté des autres. « Une semaine plus tard, des représentants du gouvernement allemand nous ont interrogés. Nous ne leur avons pas tout dit, nous avons passé sous silence les détails de l'épisode italien et avons dit que le passeur avait volé nos passeports », précise Goora.
Depuis la Suède, un parent envoie un registre d'état familial qui prouve qu'ils sont bien syriens. Goora le présente lors de leur seconde interview. « Ils ont même gardé l'original de notre certificat de baptême. » Un mois plus tard, ils sont transférés dans un autre « heim » où ils sont logés mais pas nourris. « On nous a donné un peu d'argent et nous y avons passé un mois. »

 

 

 

Eil va à l'école
Ils déménagent ensuite dans le nord de l'Allemagne (dans le land du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale), dans ce qui deviendra leur maison. Eil va à l'école, la famille reçoit chaque mois du gouvernement 800 euros pour vivre. Pour Goora et Ishtar, les jours passent et se ressemblent : ils ne sortent pas, ne travaillent pas, restent à la maison. Et ils ne peuvent aller vivre ailleurs.


Goora, Ishtar et Eil ont reçu un permis de séjour d'un an qui a ensuite été renouvelé pour deux années, mais ils n'ont pas été reconnus comme réfugiés. Pourquoi ? « Parce que nous n'avions plus de passeport et parce que nous n'avons pas menti, dit Goora. Nous n'avons pas dit que notre maison a été détruite, nous n'avons pas dit que nous étions membres d'un parti ou que nous avons été emprisonnés, ou que nous avons combattu, nous n'avons pas inventé des choses pareilles. »
Aujourd'hui, cela fait un plus d'un an que la famille est installée en Allemagne, Eil commence à comprendre et parler l'allemand, mais pas ses parents. « Je ne sais même pas dire que j'ai mal au ventre ! Si mon fils a des difficultés à l'école, je ne pourrai pas l'aider. Nos voisins sont tous allemands, personne ne nous parle, personne ne se promène avec nous, personne ne nous rend visite, il n'y a pas de fêtes, pas de célébrations, nous sommes seuls. »


En décembre 2014, Goora a demandé l'autorisation de se rendre en Suède pour passer les fêtes en famille. « On m'a répondu : nein nein nein, raconte-t-il frustré. Nous n'avons aucun document qui nous permette de voyager ! Quand je repense à cette fuite, de Syrie en Allemagne, je regrette d'avoir fait ce choix. Je me suis fait avoir, nous n'avons même pas le statut de réfugiés. Nous sommes chrétiens. Nous, nous n'avons fait de mal à personne, je n'ai pas combattu, j'ai les mains propres. Pourquoi ma famille subit-elle tout cela ? ».
Goora a renoncé à tenter de faire passer sa famille en Suède. Il aimerait, un jour, rentrer en Syrie mais sait que ce sera difficile, surtout sans passeport ni carte d'identité. En Syrie, il ne lui reste de toutes les manières pas grand-chose. Chez lui, même les meubles datant de son mariage ont été vendus, et toutes ses économies ont disparu dans le voyage.
« Aujourd'hui, je suis énervé contre tout le monde. Tout le monde détruit la Syrie », dit-il. Ce qui lui manque le plus, c'est sa famille, sa mère surtout. Avant de quitter la Syrie, Goora a enlacé sa mère. « J'ai respiré son parfum pour ne jamais l'oublier. »

 

*Les noms ont été modifiés à la demande des intéressés, pour des raisons de sécurité.

 

Repère
Les Assyriens, une communauté chrétienne récemment implantée en Syrie

Lire aussi
En Syrie, des milliers d'Assyriens sur le chemin de l'exode

"Un complot se trame contre les Assyriens de Syrie. Ils veulent nous chasser de nos maisons"

(Résumé des épisodes précédents : Goora et sa famille fuient Hassaké, traversent à pied la frontière au niveau de Derbasiya, se font arrêter par la police turque. Après un passage devant le tribunal de Mardin et une longue et vaine attente pour trouver un bus, la famille se résout à prendre l'avion pour Izmir, où ils attendent trois jours dans un hôtel misérable, puis trois jours...

commentaires (2)

Un recit émouvant! Oui, il aurait fallu rester en Syrie et combattre auprès de son président Assad les terroristes alimentés par les mafieux de la politique extérieure occidentale et leurs copins des arabies très démocratique (par le pétrole, bien sur). Quand sa propre nation est en danger ou quand on est chrétien, on ne fuit pas comme un lapin, mais on la défend monsieur goora. Il vaut mieux mourir pour une cause noble que vivre comme un ver à l'étranger.

Ali Farhat

11 h 26, le 06 mars 2015

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Un recit émouvant! Oui, il aurait fallu rester en Syrie et combattre auprès de son président Assad les terroristes alimentés par les mafieux de la politique extérieure occidentale et leurs copins des arabies très démocratique (par le pétrole, bien sur). Quand sa propre nation est en danger ou quand on est chrétien, on ne fuit pas comme un lapin, mais on la défend monsieur goora. Il vaut mieux mourir pour une cause noble que vivre comme un ver à l'étranger.

    Ali Farhat

    11 h 26, le 06 mars 2015

  • Il faudrait que M Goora trouve le moyen de raconter à la police et aux autorités allemandes sa tragédie en tant que petit exemple des monstruosités commises par le régime du petit Hitler de Damas contre le peuple syrien. Les Allemands sont sensibles à ce nom 'Hitler'.

    Halim Abou Chacra

    05 h 52, le 05 mars 2015

Retour en haut