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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les dessins, la critique, la moquerie et l’islam

Loin des préjugés et des réactions instinctives, deux ulémas libanais, l'un chiite et l'autre sunnite, expliquent à « L'Orient-Le Jour » les différents points de vue de l'islam sur le problème de la publication de caricatures du Prophète.

Beaucoup de personnes se sont moquées du Prophète et il a même été insulté : on a dit qu’il était malhonnête, magicien, etc. Et le Coran mentionne ces événements.

Alors que la tempête s'est calmée après l'attaque contre Charlie Hebdo et à la suite d'une nouvelle publication de caricatures du prophète Mohammad, qui a entraîné une vague de protestations et de violences, il est plus que jamais opportun de se pencher sur le point de vue de l'islam concernant un sujet par essence délicat, puisqu'il touche au religieux et au sacré.

Que dit la charia sur la représentation du prophète Mohammad ? Sur les critiques visant l'islam ? Sur la moquerie visant les symboles religieux ? Pour répondre à ces interrogations, deux éminents ulémas – sayyed Mohammad Hassan al-Amin et le cheikh Mohammad Nokkari – ont accepté de disséquer le problème, tirant au clair le vrai du faux, faisant la part des choses entre les préjugés et l'esprit de l'enseignement de l'islam.

Le premier piège à éviter est l'amalgame et la confusion autour de notions qui s'enchevêtrent. Le deuxième est de ne pas s'arrêter à l'interprétation littérale des textes, mais d'en comprendre le contexte. Le troisième est de comprendre les nuances entre les deux grandes branches de l'islam (sunnite et chiite).

Les dessins dans l'islam

« Les dessins imaginés du Prophète ou des imams ne sont pas prohibés. Ils ont toujours existé par le passé, bien qu'ils aient diminué récemment. Mais en tout cas, dessiner le Prophète n'a jamais été interdit per se », affirme avec un sourire sayyed Mohammad Hassan al-Amin, un éminent uléma chiite.

Si ce n'est pas le Coran, « c'est bien la jurisprudence qui a interdit ultérieurement de dessiner le portrait du prophète Mohammad, pour différentes raisons », explique pour sa part le cheikh Mohammad Nokkari, juge au tribunal chérié à Beyrouth. D'abord, on ne connaît pas à quoi il ressemble, explique-t-il. Ensuite, il faut savoir que les dessins en général ne sont pas tolérés dans l'islam.
« Vu sous l'angle de la tradition persane, on tolère qu'on dessine le prophète Mohammad, mais dans des scènes correctes, et non pas en le caricaturant, ajoute le cheikh Nokkari. Il y a ainsi beaucoup de portraits du Prophète en Iran, mais tous sont respectueux. Même chez les Ottomans, des dessins du Prophète circulaient parmi l'élite. En outre, explique-t-il, le fukh musulman tolère aujourd'hui les dessins. Pour preuve, beaucoup d'écoles posent fièrement sur leurs murs les portraits de leur fondateur, par exemple. »

(Lire aussi : La France est devenue l'ennemi n°1 de l'islam, selon un des chefs d'el-Qaëda)

Reste à comprendre la raison d'être de l'interdiction des représentations. Il s'agit principalement de « la crainte de l'idolâtrie, une coutume combattue assidument par l'islam, notamment au cours des premiers siècles », explique Mohammad Nokkari. Or les condamnations qui visent aujourd'hui les représentations du Prophète occultent complètement les motifs primitifs de cette prohibition.

Dessiner oui, se moquer non ?

Par contre, « les dessins qui comportent de la moquerie ne sont pas tolérés. Il convient d'ailleurs de noter que les caricatures sont une notion moderne qui n'existait pas dans les temps anciens », ajoute Sayyed al-Amin. Dans ce contexte, l'islam qui interdit au musulman de railler les croyances des autres et de s'en moquer, interdit par ricochet au non-musulman de ridiculiser l'islam et ses symboles, ajoute-t-il.
Le Coran mentionne qu'il n'est pas permis aux musulmans d'insulter les dieux des polythéistes ou les autres dieux, parce que si les musulmans se moquent ou insultent ces dieux, leurs fidèles pourront en faire de même, renchérit le cheikh Nokkari. Selon lui, le Coran et la Sunna sont fermes sur ce sujet, « par crainte de polémiquer et de rentrer dans un dialogue de sourds stérile ».

En réponse à une question lui demandant s'il a lu « les versets coraniques », l'imam égyptien Mohammad al-Chaaraoui, qui était ministre du Waqf, a répondu qu'il ne l'a pas lu et ne le lira pas, raconte ainsi le juge chérié. D'après lui, le Coran a dit que si vous entendez qu'on renie les versets de Dieu et qu'on s'en moque, ne vous asseyez point avec ceux-là, jusqu'à ce qu'ils entreprennent une autre conversation, sinon vous serez comme eux.
C'est-à-dire, explique le cheikh Nokkari, « si on entend quelqu'un se moquer de l'islam, il vaut mieux ne pas prêter attention ». Il réfute également le fait de discuter avec cette personne parce que cela aboutira à un dialogue de sourds. Il faut donc ignorer complètement et ne donner aucune importance aux polémiques stériles, sinon ce genre de moqueries se propagera.

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Toujours selon le cheikh Chaaraoui, il y a eu beaucoup de poètes polythéistes à l'époque du Prophète à La Mecque, et qui ont écrit des poèmes très critiques envers le Prophète. Beaucoup de personnes se sont moquées du Prophète, et il a même été insulté : on a dit qu'il était malhonnête, magicien, etc. Et le Coran mentionne ces événements. Or où sont ces textes aujourd'hui ? Ils ont disparu. La raison, toujours selon l'imam égyptien, est le fait que les musulmans à cette époque ont ignoré ces écrits et avec le temps ils ont été complètement oubliés.
Même son de cloche du côté du deuxième calife Omar qui a affirmé : « Faites disparaître le mal en observant vis-à-vis de lui le silence, et n'en faites pas un sujet de bavardage. »
Le cheikh Nokkari estime par ailleurs que la culture joue un rôle important dans ce contexte. « En Orient, nos traditions n'acceptent pas qu'on caricaturise la religion. Qu'on soit chrétiens ou musulmans, on est choqué. »

Peut-on critiquer ?

Il ne faut donc pas critiquer l'islam ? Pas du tout, rétorque le cheikh Nokkari. « L'idée n'est pas de condamner la critique en soi, mais son caractère humiliant et blessant. La critique académique dans un cadre respectueux et rationnel est toujours la bienvenue », explique-t-il. « Mais quand on transfère le débat dans la rue, il risque inévitablement de déraper, surtout que le comportement de la foule en colère est naturellement violent », ajoute-t-il.
« Il faut donc faire la différence entre l'insulte et la moquerie d'une part et la critique d'autre part », martèle sayyed al-Amin, qui ajoute : « Ainsi, il est tout à fait permis pour un non-musulman d'affirmer que l'islam encourage la violence. Ou bien que les dispositions de la charia sont désuètes, etc. »

(Lire aussi : « Je crains que l'islamophobie ne se banalise en France »)

Qui sanctionne ?

Les jurisprudences ont toutefois préconisé de châtier ceux qui insultent ou se moquent du Prophète ou de l'islam.
« Or les motifs de cette condamnation ne sont autres que les troubles à l'ordre public. On ne les sanctionne pas parce qu'ils se sont moqués du Prophète ou de l'islam, mais parce qu'ils ont troublé l'ordre public », explique le juge chérié.
Mais est-ce que l'islam autorise au musulman de sanctionner lui-même les contrevenants ? Autorise-t-il de tuer ? La réponse est non. « Pour l'islam, l'exécution des sanctions (quelle que soit leur importance) est de l'unique ressort des institutions et des autorités compétentes chargées légalement de le faire. Il revient ainsi légalement au juge, au gouverneur d'autoriser l'exécution des sanctions, et non aux individus eux-mêmes, sinon le chaos règnera », explique sayyed Mohammad al-Amin.

Quid du cas où on est dans un pays laïc ? « Si on est en France par exemple, en tant que musulman, je dois respecter les lois de l'État dans lequel je suis, explique le cheikh Nokkari. Si ce pays autorise ces caricatures, je dois y obéir. Néanmoins, ce que je dois faire, c'est constituer un lobby qui vise à faire pression sur les députés français afin de légiférer en la matière, comme c'est le cas par exemple concernant les lois visant l'antisémitisme. »

(Lire aussi : Questions sur l'organisation d'un "islam de France" déboussolé par la radicalisation)

 

Et la violence ?

Donc l'attaque contre Charlie Hebdo est condamnable avec force par l'islam puisqu'elle est considérée comme un meurtre, martèle sayyed al-Amin. Il estime par ailleurs que l'islam réfute catégoriquement la violence, notamment dans les relations entre les hommes : « Il existe un grand nombre de versets qui organise ces relations, fondées sur la sagesse, le respect, le dialogue. »
Selon lui, « il est important de noter que la finalité des enseignements et des préceptes religieux de l'islam, c'est l'être humain, indépendamment de ses croyances. Même le droit de croire et de ne pas croire existe dans le Coran ». Et d'ajouter : « Le phénomène de la violence que l'on voit aujourd'hui est assez complexe et compliqué. Cette violence tire sa source de la situation politique, historique, tribale, mais certainement pas de la charia. »
« Nous réfutons donc catégoriquement les théories des groupes radicaux florissant dans notre époque qui donnent une mauvaise image de l'islam, considéré désormais comme une religion violente. »

Il est donc de la responsabilité des musulmans de dénoncer ce genre de comportement violent, en ne lui accordant aucune légitimité, sans néanmoins être d'accord avec les caricatures offensantes, ajoute l'uléma chiite.
« La réaction adéquate serait de mieux expliquer notre point de vue, notre religion aux autres, d'une manière rationnelle et efficace, et non pas en manifestant sauvagement ou en tuant des gens », renchérit le juge sunnite.

(Lire aussi : « Quand nous combattons le "jihado-terrorisme", nous défendons aussi la sécurité des musulmans »)

La religion et l'humanité

Pour sayyed al-Amin, « le terrorisme n'est pas issu de l'islam. En fait, il ne peut être issu d'aucune religion. Le terrorisme est antérieur à l'humanité. C'est une régression vers un comportement instinctif, vers la loi de la jungle, alors que l'humanité a fait une avancée spectaculaire en s'organisant à travers des lois et des principes. Et je ne prétends pas que l'islam uniquement l'a fait. C'est le parcours de toute l'humanité. Et je suis séduit par le niveau atteint dans les sociétés occidentales pour défendre la liberté de pensée et les droits de l'individu. Ces principes appliqués en Occident sont par essence des principes issus de l'islam. Toutefois, le monde arabo-musulman en est encore très loin dans leur application ».
La raison principale de ce retard est « l'incapacité du monde islamique à comprendre l'individualité de l'homme ».

Le cheikh Nokkari revient en outre sur un autre élément qu'il considère important, celui de l'intelligence émotionnelle. Selon lui, plus une société est civilisée, plus elle est rationnelle, et moins elle est entraînée par des réactions émotives.
C'est, ajoute-t-il, un concept lié à la civilisation et non pas au religieux. « D'où un besoin impératif d'éveil rationnel chez les peuples arabo-musulmans. »

Que faire ?

À l'instar de plusieurs autres religieux musulmans, sayyed Mohammad al-Amin appelle à légiférer afin de limiter les abus : « Comme il y a des règles partout dans le monde pour intenter un procès en diffamation quand il s'agit des relations entre particuliers ; ou bien pour attaquer en justice ceux qui profèrent des propos antisémites, comme c'est le cas en France par exemple, il serait judicieux de réglementer les atteintes à la religion pour, justement, ne pas créer ces scènes de violences barbares. »
Et sayyed el-Amin d'ajouter : « Le but n'est pas de restreindre les libertés. Loin de là. On dit dans le jargon juridique que la liberté ne peut être enchaînée que par ses propres règles. »
Selon lui, toute loi est par essence une limitation à la liberté. En tout état de cause, une liberté sans limite n'entraîne que le chaos et la pagaille.
Selon lui, « les sociétés humaines aspirent à la perfection, visent l'harmonie, mais on en est encore bien loin aujourd'hui ». « Et dans beaucoup de cas, les hommes sont entraînés par leurs instincts, ajoute sayyed el-Amin. Dans ce cas précis, les réactions sont de l'ordre de l'instinct. Et l'atteinte au sacré servira à créer des relations tendues et malsaines, au lieu qu'elles soient fondées sur des principes nobles et élevés. »


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commentaires (4)

CORRECTION ! MERCI : "Combien est faux le point de vue sectaire qui fait comparaître le Sain(t) Laïc devant le Tribunal-forum religieux...."

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

07 h 27, le 04 février 2015

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Commentaires (4)

  • CORRECTION ! MERCI : "Combien est faux le point de vue sectaire qui fait comparaître le Sain(t) Laïc devant le Tribunal-forum religieux...."

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 27, le 04 février 2015

  • Article intéressant mais plein de contradictions: 1) Il est dit : « si on entend quelqu'un se moquer de l'islam, il vaut mieux ne pas prêter attention ». C'est justement l'attitude que l'on aurait voulu voir. Les faits parlent d'eux-mêmes. 2) "...la liberté de pensée et les droits de l'individu. Ces principes appliqués en Occident sont par essence des principes issus de l'islam." L'Occident n'a pas attendu l'islam pour parler de liberté de pensée. Entièrement d'accord avec : « D'où un besoin impératif d'éveil rationnel chez les peuples arabo-musulmans. »

    DUTAILLY Catherine

    15 h 00, le 03 février 2015

  • Un article sur mesure.

    Cadige William

    08 h 37, le 02 février 2015

  • Combien est faux le point de vue sectaire qui fait comparaître le Sain(t) Laïc devant le forum religieux. C’est lui faire 1 sorte d’injure que de le contraindre ; lui dont on reconnait la dignité souveraine ; à se défendre des Sain(t)es conséquences qu’il entraîne, à se justifier auprès de tous ces sectarismes qui se scandalisent de son existence suffisante-nécessaire. Il vient alors à l’esprit, l’histoire de ce roi accusé de haute trahison envers ses propres sujets ! Aussi longtemps qu’1 goutte de sang battra dans le cœur de ce Sain(t) Laïc, cœur libre qui englobe l’infini, il s’écriera à l’adresse de ces ennemis : "Impie n’est pas celui qui fait place nette des dieux du vulgaire, mais celui qui prête aux dieux les idées du vulgaire". Le Laïc Sain(t) ne se dissimule pas, il hait tous les dieux ; qui sont ses obligés ; qu’il subit par eux 1 traitement inique est sa profession de foi, sa maxime contre ces dieux qui ne reconnaissent pas pour suprême divinité la conscience Saine qu’il a de lui-même. Quant aux pleutres et sournois qui se réjouissent de voir se dégrader en apparence sa haute position, il leur rétorque que contre une servitude pareille à la leur ; qu’ils le sachent ; il n’échangerait pas son "malheur. Qu’il aime mieux être asservie à sa Laïcité, que de se voir fidèle messager d’1 allâh ou d’1 dieu. Le Sain(t) Laïc étant le plus noble des saints du calendrier Laïc Sain, c’est ainsi qu’à des vaniteux, il lui sied de montrer sèchement leur fatuité et leur banalité.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 20, le 02 février 2015

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