Bien sûr qu'il agace. Et comment n'agacerait-il pas...
Il y avait encore le parfum des Borgia dans les fissures des murs du Vatican. Il y avait encore les bijoux et les fourrures de presque tous les 265 hommes en blanc qui l'ont précédé. Il y avait encore la conviction, ferrugineuse, qu'ils sont les élus de Dieu, avec toute la gravité, la solennité et l'amidonnage du cérémonial corollaire, avec une sainteté seigneuriale imposée en GPS mondial de la morale de ce milliard d'ouailles vassal. Il y avait encore un monde entre eux et les autres, quels qu'ils soient, chrétiens ou pas.
Et puis, il est arrivé. Pour dynamiter tout cela. Pas à la petite pelle ou à la pioche. Juste à la (grosse) TNT. À peine élu pape, le cardinal argentin a tenu, entre autres faits d'armes, à garder sa croix toute simple et toute banale, à payer sa note d'hôtel comme tout le monde, à ne pas habiter sous les ors pontificaux. À exhiber en les démultipliant les signes ostentatoires de sa différence. De sa marginalité réfléchie, décidée, assumée. Tout cela a pu ressembler à une posture. Tout cela a pu sembler manquer de sincérité et de spontanéité. Tout cela aurait pu n'être que de la cosmétique pure. De la forme pure. Sauf que petit à petit, lentement, sûrement, le premier jésuite à succéder à saint Pierre s'attaquait au fond. À l'essence de ce christianisme tel qu'il l'entend, loin des circonvolutions métaphysiques, parfois somptueuses certes mais déconnectées de tout, d'un Benoît XVI, loin, aussi, de cette force tranquille, de cette überdiplomatie débonnaire mais intransigeante d'un Jean-Paul II. La quintessence, plutôt : cet amour infini, inconditionnel, immense et jusqu'au-boutiste de la Création divine. L'acceptation de l'autre, et rien d'autre.
Dieu a créé les hommes et les femmes, les oiseaux et les sycomores, Dieu a créé Beethoven et Dostoïevski, les pédés et les divorcées, Dieu a créé les pauvres et les lépreux, Dieu a créé Judas et Marie Madeleine, l'adolescent acnéique et suicidaire et ce vieillard hédoniste et sadien, Dieu a créé les musulmans, les juifs, les bouddhistes, les athées et les païens, et Dieu lui a demandé de les accueillir. Tous. Délicatement. Il le lui a demandé à lui. Jorge Mario Bergoglio. François, pape. Hôte universel.
Penser que ce souverain pontife est un transgressif, un subversif, un révolutionnaire, un dangereux Che qui ferait s'écrouler les cacochymes et antédiluviens piliers du christianisme, qui ferait fantasmer Dan Brown ou ces évangélistes néocons américains, serait une grossière erreur. François ne veut rien d'autre que retourner au primo-christianisme, à l'originel, au nombril du monde, au prosélytisme primitif, à la Cène mondialiste et globalisante, au paléolithique de cette religion-placenta : tout le monde a sa place à la Maison. Tout le monde doit revenir au bercail. Tout le monde sera logé, nourri, blanchi, à condition d'accepter les règles du foyer. François n'en avait pratiquement rien à cirer que son synode familial qui a halluciné la planète chrétienne soit adopté par les deux tiers des cardinaux. Ce que François voulait, c'est que le message passe, qu'il soit relayé sur tous les réseaux sociaux, qu'il soit transmis, retransmis, écouté, entendu : (re)venez à la Maison. Le pape François est un génie de la communication. Et du marketing. Il le sent. Il le sait. Et rien ne l'arrêtera.
Et pour cela, ce pape inouï a compris que son cœur, mais surtout sa tête, n'allaient pas lui être d'un grand secours. Son instinct, si. Ses tripes, si. Son battoun, comme on dit dans ce Liban qui l'attend plus que n'importe quel autre pape. Rien d'étonnant pour un homme qui cite La Strada de Federico Fellini comme étant son film fétiche...
Fellinien comme rarement, ce pape ne fait et ne fera confiance qu'à son instinct dans l'exécution minutieuse et stakhanoviste de son plan : montrer à Jésus, et pas à saint Pierre, à Jésus en personne, que son œuvre au blanc jamais ne s'arrêtera. Et c'est là l'unique, la gigantesque différence entre ce pape et tous ses prédécesseurs.
Éblouissant.
Il y avait encore le parfum des Borgia dans les fissures des murs du Vatican. Il y avait encore les bijoux et les fourrures de presque tous les 265 hommes en blanc qui l'ont précédé. Il y avait encore la conviction, ferrugineuse, qu'ils sont les élus de Dieu, avec toute la gravité, la solennité et l'amidonnage du cérémonial...
commentaires (4)
UN PAPE QUI MARCHE SUR LES PAS DE JÉSUS ! QUE DIEU LE GARDE ! NETTOYEZ, VOTRE SAINTETÉ, NETTOYEZ, CHASSEZ... TOUT COMME JÉSUS A CHASSÉ LES MARCHANDS DU TEMPLE ET LES PÉCHEURS NON REPENTIS !
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 12, le 23 octobre 2014