Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Interview

« Le Nigeria a réagi à Boko Haram avec la même violence systématisée par la milice »

Chargé de recherche au CNRS, Roland Marchal estime que Boko Haram tente par ses actions de dénoncer la faillite de l'élite nigériane et d'attirer l'attention sur le Nord, abandonné par l'État.

Au Nigeria, rien ne semble pouvoir arrêter Boko Haram, un groupe d'éléments radicaux estimant que la charia devrait être appliquée avec la plus extrême rigueur dans les États à majorité musulmane. Ce groupe islamiste, mal organisé et dont les différentes factions ne sont pas nécessairement coordonnées, est arrivé à constituer un pouvoir de nuisance et représenter une menace pour le géant africain aux 175 millions d'habitants. Preuve de sa dangerosité, le gouvernement nigérian n'a pas connu de vraie période d'accalmie depuis 2002, date de la fondation par Mohamad Yusuf du groupe sunnite pour la prédication et le jihad.
Cette menace met le doigt sur la réalité du Nigeria et fait ressurgir tous les maux d'un colosse aux pieds d'argile : l'incertitude des constructions étatiques, l'acuité des pathologies sociales, le déséquilibre dans les richesses, l'ambiguïté des constructions spatiales et la diversité des acteurs de guerre.
Ce 14 avril, les miliciens ont frappé plus fort que jamais encore, kidnappant près de 300 lycéennes nigérianes dans la petite ville de Chibok, dans l'État de Borno. Quelques semaines plus tard, leur chef, Abubakar Shekau, revendique l'enlèvement, promettant un sort bien triste à ces jeunes filles : vendues, elles finiront mariées ou esclaves. La communauté internationale se mobilise avec des campagnes telles que #bringbackourgirls et l'envoi d'experts pour aider le Nigeria à les retrouver. Pour essayer de comprendre l'action de ce groupe terroriste, Roland Marchal, spécialiste des conflits armés sur le continent africain et chargé de recherche au CNRS, basé au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences-Po Paris, répond aux questions de L'Orient le Jour.

L'Orient-Le Jour :
Quelles sont les revendications de Boko Haram ? Comment ce groupe se finance-t-il et où recrute-t-il ?
Roland Marchal : À part l'application rigoureuse de la charia dans les États nigérians à majorité musulmane, ce groupe n'a pas vraiment de revendications officielles. Boko Haram est surtout né d'un sentiment de trahison des élites du Nord. Après l'exécution extrajudiciaire de leur chef Mohamad Yusuf en 2009, dont les coupables sont d'ailleurs restés impunis, le mouvement a entamé sa trajectoire violente. Le gouvernement nigérian a réagi à Boko Haram aussi brutalement que Boko Haram lui-même menait ses actions, créant ainsi des dommages collatéraux énormes et engendrant une spirale de haine et de vengeance.
En gros, la radicalisation du mouvement est due à sa répression violente par l'État central. En outre, le climat politique du Nigeria a renforcé dans le Nord un sentiment d'abandon. Le fait que l'actuel président Goodluck Jonathan n'a pas cédé le pouvoir au Nord depuis 2010, alors que la présidentielle est censée rassembler tous les Nigérians, a poussé les hommes politiques du Nord à soutenir le groupe fondamental, comme pour contrer un État qui ne s'occupe pas d'eux.
Par ailleurs, la crise économique et le sous-emploi ont poussé les jeunes à se réinvestir dans les écoles religieuses, devenant ainsi de parfaites recrues pour Boko Haram.

Les actions de Boko Haram peuvent-elles s'étendre vers d'autres régions : plus au sud, vers les régions pétrolifères, ou encore à l'extérieur des frontières nigérianes ?
Le problème de Boko Haram est que ses miliciens ont besoin de protection humaine, donc ils ont besoin de s'appuyer sur leur communauté qui se concentre principalement dans le nord du Nigeria. Il est ainsi peu probable que le groupe décide de s'étendre plus au sud vers les régions pétrolifères. On note cependant un déplacement géographique de leurs attaques : d'agressions visant principalement le Nord, la milice s'en est pris à Abuja, la capitale de l'État central, pour mieux dénoncer la faillite de l'élite nigériane. Le groupe a également connu quelques mouvements extraterritoriaux, notamment au Niger et Cameroun voisins. Mais le manque de hiérarchie et d'organisation de la milice laisse entendre qu'elle ne s'étalera pas davantage sur des territoires étrangers.

L'État central peine à lutter efficacement contre Boko Haram. Comment expliquer une telle impuissance ? Peut-on parler de passivité ?
Déjà, il faudrait garder en tête que le Nigeria a l'habitude des mouvements violents. Le pays a connu depuis toujours des tensions intercommunautaires opposant les chrétiens aux musulmans, et sa vie politique et sociale est empreinte de violences quotidiennes. Cela pourrait expliquer la non-intervention de l'armée. Bien qu'au courant de l'attaque qui se préparait contre le lycée de Chibok, elle n'a pas réagi. Je n'appellerai pas cela de la passivité, mais plutôt de la négligence.
Les forces de sécurité sont aussi minées par une rivalité entre différentes unités spécialisées. C'est peut-être cette forme de désorganisation qui explique leur non-réactivité.
Par ailleurs, la sécurité, comme tous les autres services de l'État, n'est pas assurée de manière égale sur tout le territoire, ce qui permet le développement de groupes radicaux au nez et à la barbe de l'État central.

En quoi pouvons-nous rapprocher Boko Haram des talibans ? D'el-Qaëda (AQMI) ? D'autres groupes terroristes régionaux ?
Les points communs entre Boko Haram et les groupes terroristes, notamment les talibans, c'est qu'ils se nourrissent de la pauvreté et du chômage et fleurissent dans des régions rurales où l'autorité étatique est faible, exploitant ainsi la corruption et le confessionnalisme. Ils recrutent aussi dans les écoles islamiques où retenir le Coran est la base du cursus. Mais à part ces quelques rapprochements, on ne peut parler que secondairement d'une dynamique d'internationalisation de cette organisation. Avec AQMI et les shebab somaliens par exemple, il ne s'agit que d'un strict échange de services formateurs et de connaissances et ne s'étend pas plus que cela.

Que laissent présager les élections générales de 2015 ?
Ces élections vont reposer la question des rapports élite Nord/Sud. Malheureusement, elles risquent d'être extrêmement violentes et laissent présager beaucoup de sang et de morts.

Au Nigeria, rien ne semble pouvoir arrêter Boko Haram, un groupe d'éléments radicaux estimant que la charia devrait être appliquée avec la plus extrême rigueur dans les États à majorité musulmane. Ce groupe islamiste, mal organisé et dont les différentes factions ne sont pas nécessairement coordonnées, est arrivé à constituer un pouvoir de nuisance et représenter une...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut