Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Le point

Le rêve interrompu

Donnons-leur une « osmanli tokadi » (une gifle ottomane), a dit Recep Tayyip Erdogan au soir de ce dimanche 30 mars pas comme les autres, qui a vu le sacre, pour une nouvelle fois, de son parti. Et ce fut effectivement une claque retentissante qu'a reçue le Parti républicain du peuple, battu avec un écart de plus de 17 points. Pour autant, l'AKP, au pouvoir depuis douze ans, sort-il vainqueur de la confrontation et, si oui, à quel prix et pour combien de temps ?


Le score (45,6 pour cent contre 28 pour cent à l'opposition) est sans appel, même si la formation de Kemal Kiliçdaroğlu continuait lundi à contester les résultats des grandes villes. Tout aussi évidente est l'usure d'un Parti pour la justice et le développement miné par d'innombrables accusations de corruption et surtout éprouvé par son combat contre ses camarades d'hier, devenus aujourd'hui adversaires déclarés, sinon ennemis. Ceux-là, les gülénistes, sont menacés désormais d'être poursuivis « jusque dans leur tanière », soupçonnés d'avoir constitué « une alliance du mal » (tiens, tiens, l'« axe » du même nom de George W. Bush aurait donc changé de visage et de nationalité ?...) et qui « devront payer », à moins que ces « terroristes » ne soient « tentés par la fuite ». Quoi qu'il en soit, « le temps d'ouvrir les urnes et le reste ne figurera même pas au bas d'une page de l'histoire ».


On ne soupçonnera pas l'homme qui se pose en représentant de « la nouvelle Turquie » d'avoir le triomphe modeste. Les municipales qui viennent de se tenir lui auront donné raison : face à l'« erdoganisme » du pays profond, le vent de démocratie voulu par les manifestants du parc Gezi, l'été dernier, n'aura pas soufflé longtemps. L'homme de la rue n'a pas cédé à la tentation du changement, lui préférant la douillette quiétude d'une fausse stabilité et d'une prospérité tout aussi illusoire que trahit la dépréciation de la livre turque (20 pour cent depuis mai 2013). La seizième économie mondiale, si elle se maintient – et plutôt bien que mal, reconnaissons-le –, ne peut plus compter sur les investissements et le miroir de l'adhésion à l'Union européenne. En outre, les rêves de grandeur ottomane et du « zéro problème », longtemps caressés par le chef de la diplomatie Ahmet Davutoğlu, ont fini par hérisser autant les Américains que les Vingt-Huit. Aujourd'hui, ils sont rares ceux qui songent encore à donner en exemple le modèle turc aux pays de la région un moment tentés par le printemps arabe ou, plus grave, qui ont fini par y sombrer. Les rodomontades à l'adresse d'Israël se sont transformées en bazarlik sur les sommes à verser aux familles des victimes de l'équipée du cargo Mavi Marmara. Quant aux Tatars de Crimée, premières victimes de l'Anschluss russe, ils continuent de ruminer leur rancœur après avoir été abandonnés à leur sort, eux qui se targuent d'être ethniquement turcs.


Des chiffres publiés au fil des heures de dimanche par les agences de presse Anadolu et Cihan, il apparaît que la confiance de l'homme de la rue dans le système électoral se trouve sérieusement ébranlé, même si le taux d'abstention n'a pas été aussi élevé qu'on le craignait. Et si les accusations de manipulations ont fusé dès la clôture des bureaux de vote, il n'en reste pas moins que chacun des deux grands partis s'est dépêché de crier victoire alors même que l'on en était encore à attendre les premières projections. Désormais, la tension s'est installée dans le paysage politique, la violence aussi avec un désolant bilan de neuf morts et, selon toute probabilité, l'exacerbation des sentiments ne s'arrêtera qu'à l'issue de la présidentielle, surtout si Erdogan décidait de se porter candidat. La bipolarisation a atteint un degré tel que rien ne sera plus comme avant, relève, résigné à l'inéluctable, Devlet Bahçeli, chef de file de l'Action nationaliste MHP.


Au bout de douze ans d'un pouvoir quasi absolu, voici venu le temps des doutes, des inévitables révisions auxquelles se résout tout homme politique qui vient d'être compté à 8. Au cours des mois passés, des millions d'hommes et de femmes sont descendus dans la rue pour manifester leur colère contre les scandales nauséabonds, les « épurations » douteuses, l'interdiction de réseaux sociaux, les accusations qui n'étaient étayées d'aucune preuve contre les partisans de Fethullah Gülen. Le pouvoir ne donne pas l'impression d'en faire grand cas, ayant choisi de naviguer au gré des nécessités du moment, alternant invites faites à l'armée et ton agressif.


« Il existe dans ce pays près de 72 millions de personnes et je représente chacune d'entre elles », affirmait en 2003 Recep Tayyip Erdogan à un visiteur*. Pourrait-il le répéter aujourd'hui ?

 

* Propos tenus à l'adresse d'Elmira Bayrasli, cofondatrice du média Foreign Policy Interrupted, qui le rapporte dans un article paru dans l'International New York Times d'hier lundi 31 mars.

 

Lire aussi

Dopé par sa victoire aux municipales, Erdogan veut renforcer son emprise sur le pays

 

Donnons-leur une « osmanli tokadi » (une gifle ottomane), a dit Recep Tayyip Erdogan au soir de ce dimanche 30 mars pas comme les autres, qui a vu le sacre, pour une nouvelle fois, de son parti. Et ce fut effectivement une claque retentissante qu'a reçue le Parti républicain du peuple, battu avec un écart de plus de 17 points. Pour autant, l'AKP, au pouvoir depuis douze ans, sort-il...

commentaires (2)

Il y a du Benoist Mechin dans ce titre...mais juste dans le titre.Parce qu'Erdogan n'approche ni de près ni de loin les personnages évoqués dans ses livres...et comme c'est marrant.les mêmes qui avaient fait d'Erdogan l'exemple à suivre,le parangon de l'islamisme modéré,les mêmes donc,aujourd'hui,se réveillent,mais tout doucement hein!Il n' y a pire aveugles que ceux qui ne veulent pas voir..là,ils voient,mais leur critique reste,comment dire,plus que modérée...jusqu'à la prochaine fois.

GEDEON Christian

13 h 53, le 01 avril 2014

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Il y a du Benoist Mechin dans ce titre...mais juste dans le titre.Parce qu'Erdogan n'approche ni de près ni de loin les personnages évoqués dans ses livres...et comme c'est marrant.les mêmes qui avaient fait d'Erdogan l'exemple à suivre,le parangon de l'islamisme modéré,les mêmes donc,aujourd'hui,se réveillent,mais tout doucement hein!Il n' y a pire aveugles que ceux qui ne veulent pas voir..là,ils voient,mais leur critique reste,comment dire,plus que modérée...jusqu'à la prochaine fois.

    GEDEON Christian

    13 h 53, le 01 avril 2014

  • CES TERRORISTES... MÊME CHANSON PARTOUT. HIER, CEUX QUI RÉCLAMAIENT DES DROITS ÉTAIENT QUALIFIÉS DE COMMUNISTES... LE SUBSTITUT ET L'EXCUSE SONT LÀ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 28, le 01 avril 2014

Retour en haut