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À La Une - Turquie

Un tabou brisé : des députées voilées entrent au Parlement turc

« Le voile est une question entre le fidèle et son Dieu »

Le tabou, immense, est brisé, et l’héritage d’Atatürk fondamentalement remis en question : quatre députées du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie se sont présentées voilées hier au Parlement. Et les cercles laïcs ont dénoncé une nouvelle dérive islamiste du régime de Recep Tayyip Erdogan. Adem Altan / AFP

Quatre députées du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie se sont présentées voilées hier au Parlement, brisant un tabou dans le pays musulman où les cercles laïcs dénoncent une nouvelle dérive islamiste du régime. Ces pionnières ont été élues lors des dernières élections


législatives de 2011, alors qu’elles ne se couvraient pas la tête, sur les listes du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui a aboli récemment l’interdiction de porter le foulard islamique dans la fonction publique. C’est dans cette perspective qu’elles ont décidé de venir à une séance au Parlement, considéré comme un lieu public.


La question du voile est hautement symbolique en Turquie, où elle cristallise le clivage entre laïcs et les partisans de l’islam politique, qui invoquent les libertés de culte. Depuis 1999 aucune parlementaire ne s’était voilée dans cette enceinte : à l’époque, Merve Kavakçi, élue sur une liste pro-islamiste, avait été obligée de quitter la salle sous les huées des députés, sans pouvoir prêter serment et exercer ses fonctions législatives ; elle avait ensuite été déchue de sa nationalité turque.

 

 

(Pour mémoire: Dans la Turquie d'Erdogan, les symboles islamiques ont la cote)


Cette fois, tout s’est déroulé sans incident, situation saluée par le président du Parlement, Bülent Arinç. « Nous avons attendu avec patience que la démocratie se renforce », en Turquie, a-t-il dit devant les députés, se félicitant d’un « changement de mentalités » en Turquie. Les élues voilées de l’AKP présentes dans la salle ont tout récemment accompli le pèlerinage à La Mecque, l’un des piliers de l’islam, et décidé ensuite de se voiler, pour la première fois de leur vie. « J’attends que tout le monde respecte ma décision. Le voile est une question entre le fidèle et son Dieu », a déclaré l’une d’elles, Gönül Bekin Sahkulubey.


L’opposition prolaïque à l’Assemblée nationale, menée par le Parti républicain du peuple (CHP), a dénoncé une « campagne politique » de l’AKP avant les élections municipales de mars 2014. « Le pouvoir ne se rappelle de la religion que lorsque des élections se profilent à l’horizon », a critiqué Muharrem Ince, député influent du CHP lors d’une séance qui a suivi l’arrivée des élues voilées. « Qu’allons-nous faire si des députées se présentent dans la salle avec une burqa ? » s’est interrogé pour sa part Engin Altan, également du CHP.

 

 

(Pour mémoire: Erdogan anti-alcool jusqu’au bout)


Revanche
Le port du voile était autrefois strictement interdit dans la fonction publique, une interdiction qu’à fait lever M. Erdogan début octobre. Mercredi soir, le chef du gouvernement a défendu la position de ses députées femmes, affirmant qu’elles ne faisaient que respecter leur religion, rejetant toute tactique politicienne. La libéralisation du voile dans tous les domaines, surtout public, constitue une revendication emblématique de l’islam politique en Turquie depuis le début des années 1970. Les épouses de la plupart des dirigeants turcs sont voilées. Depuis l’affaire Kavakçi, il y a 14 ans, la scène politique turque a beaucoup changé et le voile fait partie intégrante aujourd’hui de la vie sociale. « On peut considérer l’arrivée au Parlement des élues voilées comme une revanche historique à l’affaire Merve Kavakçi », commentait un éditorialiste du journal libéral Milliyet.


L’opposition et les cercles prolaïcité accusent le gouvernement d’ouvrir une nouvelle brèche dans la laïcité. Au long de la décennie passée, depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, les institutions qui étaient les bastions de la laïcité, telles l’armée et la justice, se sont vu enlever leurs prérogatives par des réformes gouvernementales. La laïcité demeure inscrite dans la Constitution turque, elle est l’héritage capital de celui que les Turcs célèbrent comme le père de la nation, Mustafa Kemal Atatürk. Accusé de vouloir « islamiser » la Turquie, le parti gouvernemental avait déjà suscité une vague de contestation après plusieurs dispositions surtaxant l’alcool et restreignant sa vente et sa consommation, bannie par l’islam. En juin dernier, 2,5 millions de personnes ont protesté dans les rues contre la politique autoritaire de M. Erdogan, une fronde inédite, proclamant leur angoisse devant une montée de l’influence de l’islam conservateur, sous l’égide de l’AKP. Selon les sondages d’opinion, les Turcs sont devenus plus conservateurs sous le pouvoir AKP et près des deux tiers des femmes portent le voile.

 

 

Pour mémoire

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