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À La Une - Le point

Le tout ou rien de Bandar

Rapprochement avec l’Iran, refus de soutenir la répression du soulèvement des chiites bahreïnis, impuissance du département d’État à relancer les négociations palestino-israéliennes, désaccord sur la ligne de conduite à suivre à l’égard des généraux égyptiens tombeurs du président Mohammad Morsi... Cela faisait quelque temps que les nuages s’amoncelaient dans le ciel jadis uniformément bleu des relations saoudo-américaines. Mais c’est la volte-face US dans la crise syrienne qui a achevé de brouiller les amis d’hier. Et que Riyad, pour annoncer le divorce, ait choisi le plus américanophile des membres de la House of Saud constitue un signe supplémentaire de la gravité de la crise.
Certes, ce n’est pas demain que les pilotes de l’aviation royale s’installeront aux commandes de Sukhoï 30 ni que l’on verra des diplomates en keffié se mettre au russe. Mais, tout de même, le fossé vient de s’élargir dangereusement depuis les propos tenus lundi par le chef des services de renseignements saoudiens. Devant des émissaires européens qu’il recevait en sa résidence privée, Bandar ben Sultan a parlé de limiter la coopération avec Washington, citant la coordination sur la Syrie et même les relations commerciales au nombre des dommages possibles. En privé, ses porte-parole renchérissaient, affirmant qu’il n’était plus question de demeurer « en état de dépendance ».


Il est difficile d’imaginer qu’il s’agit là d’un mouvement d’humeur, encore moins d’une menace appelée à demeurer sans effet. La décision aurait fait l’objet de conciliabules au plus haut niveau, au lendemain d’un autre coup d’éclat représenté par le refus de siéger au Conseil de sécurité alors que la diplomatie du royaume avait pratiqué une année durant un intense lobbying pour décrocher l’espace de vingt-quatre mois le strapontin tant convoité. Á Washington pendant ce temps, le prince Turki qualifiait de « lamentable » la politique syrienne et proche-orientale de Barack Obama. Dans un discours prononcé devant les membres du Conseil national des relations arabo-américaines, l’ancien responsable des services de renseignements tournait en dérision l’accord russo-américain sur la destruction de l’arsenal chimique syrien, parlant de « charade risible » et de « perfidie » destinée à « sauver la face au chef de l’exécutif américain et de permettre à Bachar el-Assad de continuer à massacrer son peuple ».


Depuis des semaines, l’émir Bandar s’employait à consolider les assises d’une branlante coalition susceptible, disait-il, non pas de remporter la victoire sur le terrain, mais de faire pencher la balance de son côté. À Amman, des spécialistes saoudiens, américains et jordaniens continuent depuis des mois à former des combattants rebelles, sous la supervision du prince Salman ben Sultan, l’un des demi-frères de Bandar promu depuis au rang de vice-ministre de la Défense. Pendant ce temps, son aîné, secondé par l’un de ses fidèles lieutenants, Adel el-Joubeiri, qui lui a succédé à l’ambassade de Washington, rencontrait successivement Vladimir Poutine puis François Hollande. Au premier, il rappelait ses propos tenus, il y a vingt-cinq ans de cela, à savoir que le royaume dispose de centaines de milliards de dollars dont il n’hésitera pas à se servir quand viendra le moment de faire des emplettes. Omettant de préciser que la majeure partie de ces 690 milliards se trouvent placées en bons du Trésor américains. Au second, il faisait miroiter la promesse de juteux contrats propres à booster l’économie française.


Échaudée par l’expérience nicaraguayenne – on se rappelle que le même Bandar avait trempé dans les années quatre-vingt dans un programme de financement des Contras qui avait ultérieurement viré au désastre –, l’Amérique, pour sa part, a longtemps hésité avant un timide engagement de bien peu de poids en vérité face à la puissance de feu du régime syrien. Dans la capitale fédérale, où le ton est donné par le chef de la diplomatie John Kerry, on affiche un calme olympien contrastant avec l’agitation saoudienne. Au « toutes les options sont désormais sur la table » de Riyad répond un « Nous voyons clair dans leur jeu » de l’administration US dont les ténors appellent en privé leur ancien protégé à « cesser d’armer les combats d’el-Qaëda en Syrie ».


Comme à son habitude, le prince-paysan, ainsi qu’il se définit lui-même, a-t-il lancé trop loin ses filets et péché par excès d’optimisme? Le voici condamné à aller de l’avant au risque, ayant brûlé ses vaisseaux, de perdre la partie et la place de premier plan qu’il convoite d’occuper dans la hiérarchie wahhabite. Ce qui risque de faire beaucoup de victimes et un nombre plus grand de bénéficiaires de cette étrange partie de poker.

Rapprochement avec l’Iran, refus de soutenir la répression du soulèvement des chiites bahreïnis, impuissance du département d’État à relancer les négociations palestino-israéliennes, désaccord sur la ligne de conduite à suivre à l’égard des généraux égyptiens tombeurs du président Mohammad Morsi... Cela faisait quelque temps que les nuages s’amoncelaient dans le ciel jadis...

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