Rechercher
Rechercher

À La Une - La chronique de Nagib Aoun

Le droit de tuer... jusqu’en 2014

Entre intentions affichées, souhaits inavoués et ambitions démesurées il y a tout un espace que les maîtres du monde manipulent au gré de leurs intérêts ou de leurs lubies, en fonction d’alliances et de mésalliances qui se font et se défont sans égard pour les opinions publiques, hors de toute appréciation morale ou de simple éthique.

Les victimes directes ou collatérales, longtemps menées en bateau, convaincues que l’heure de la reddition de comptes a enfin sonné, se retrouvent démunies comme Job, abandonnées sur les chemins de traverse, invitées à se débrouiller toutes seules face à un potentat soudainement guilleret qui, hier encore, voyait son petit royaume voler en éclats.

Ainsi en est-il du tableau des événements liés à la Syrie, des retournements de situation initiés par la Russie et les États-Unis, des manœuvres dilatoires auxquelles se livre Bachar el-Assad pour préserver ce qui reste de son autorité et pour avoir le droit de tuer jusqu’à l’expiration de son mandat présidentiel l’année prochaine.

Un mandat qu’il espère pouvoir renouveler en dépit des « crimes contre l’humanité » dont l’accuse le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. L’accord intervenu samedi à Genève entre Kerry et Lavrov n’est, à cet égard, qu’un coup d’épée dans l’eau puisqu’il accorde un an à Bachar pour se débarrasser de son arsenal chimique et toute latitude pour poursuivre ses atrocités avec les armes conventionnelles qui sont en sa possession, un potentiel effrayant qui a détruit tout le pays, fait plus de 100 000 morts et jeté des millions de Syriens sur les routes de l’exode.

S’il faut, aujourd’hui, dresser le bilan des pertes et profits, il est incontestable qu’Israël, bien que spectateur et non acteur dans la dernière crise, est le grand gagnant indirect : le régime baassiste accepte de démanteler son arsenal d’armes chimiques, constitué au départ pour contrebalancer le potentiel nucléaire de l’État hébreu, et la Syrie reste engluée dans une guerre civile dont on ne voit toujours pas la fin et qui neutralise le fameux et non moins fumeux « Front du refus » dont le président syrien s’était fait le chantre hypocrite.

Le deuxième gagnant est évidemment Bachar el-Assad lui même que l’accord de Genève n’a pas jugé bon de nommément condamner et qui prendra un malin plaisir à compliquer la tâche des experts internationaux attendus à Damas et qui sont eux-mêmes dubitatifs quant à la célérité de l’opération. Sans exclure qu’il puisse tirer profit du temps mort pour expédier une partie de ses engins de mort vers des pays voisins ou des milices amies. Le Hezbollah assumerait-il, alors, la responsabilité d’en accuser réception ?

Quant à Barack Obama qui n’a pas arrêté d’hésiter, de cafouiller, de menacer et de se rétracter, il s’est retrouvé piégé à force de contradictions et l’initiative de la Russie, celle d’un Poutine plus manœuvrier que jamais, est venue à point nommé pour stopper un engrenage qui l’avait mis en confrontation directe avec les parlementaires et le peuple américains. Le chef de la Maison-Blanche pourra évidemment alléguer que ce sont les menaces d’intervention militaire qui ont contraint Assad à se dépouiller de ses armes chimiques, il reste que c’est la Russie qui a tiré les marrons du feu et permis à Obama de sortir du guêpier dans lequel il s’était enferré.

Cynisme politique, diplomatie cruelle dénuée de toute conscience : aujourd’hui c’est la rébellion syrienne qui est crucifiée, abominablement flouée, cette même rébellion qui, hier encore, forte des promesses qui lui avaient été faites, se voyait déjà au cœur de Damas balayant les derniers vestiges d’un régime honni décapité par les frappes américaines.

Parler de désillusion c’est peu dire : beaucoup dans le monde arabe, et au Liban en particulier, avaient parié sur l’intervention américaine contre le régime syrien pour parvenir à un chambardement des équilibres, à une équation nouvelle qui aurait précipité le départ d’Assad, affaibli l’influence de l’Iran et, par ricochet, dépouillé le Hezbollah de ses principaux soutiens permettant, ainsi, au pays du Cèdre et à ses institutions de se libérer d’une emprise étouffante et paralysante.

Partie remise ou constat implacable ? Difficile de se prononcer, de prévoir la suite des événements, à l’heure où Américains et Russes tentent de redéfinir leurs zones d’influence au Moyen-Orient et où Washington et Téhéran s’engagent dans une nouvelle approche des négociations sur le nucléaire iranien.

Quand les grands discutent, les petits sont invités à se faire encore plus petits et à arrêter de jouer les trouble-fêtes. Les tueries se poursuivront donc en Syrie dans le même vase clos et jusqu’à l’épuisement général, les Américains s’obstineront à dire que l’option militaire est toujours sur la table et Israël se reposera sur ses lauriers.

Quant au Liban, il continuera, imperturbable, à attendre un bouleversement salutaire qui n’arrivera probablement jamais...
Entre intentions affichées, souhaits inavoués et ambitions démesurées il y a tout un espace que les maîtres du monde manipulent au gré de leurs intérêts ou de leurs lubies, en fonction d’alliances et de mésalliances qui se font et se défont sans égard pour les opinions publiques, hors de toute appréciation morale ou de simple éthique.Les victimes directes ou collatérales,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut