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À La Une - Éclairage

Les frappes sont suspendues, mais le conflit reste entier

L’initiative russe du dernier quart d’heure a sauvé le monde d’une guerre qui s’annonçait globale, dangereuse et incertaine à plus d’un titre. De plus, le coup de génie de cette initiative, c’est justement que chacun des deux camps se considère victorieux. Le président américain Barak Obama s’est empressé de dire que ce sont incontestablement les préparatifs de l’opération militaire qui ont poussé le président syrien à accepter la proposition russe, alors que le régime syrien et son allié iranien disent à leur tour que cette proposition a offert une issue de secours au président américain inquiet des menaces de riposte et soucieux de ne pas parvenir à convaincre l’opinion publique américaine.


Une source diplomatique libanaise précise à cet égard que jusqu’au vendredi 30 août, le président américain était déterminé à lancer des frappes contre la Syrie, certes à contrecœur, car il ne se considère pas comme un homme de guerre. La décision était donc prise. Mais, selon la source diplomatique libanaise, deux facteurs ont poussé le président américain à amorcer un recul dans son discours très attendu du samedi 31 août. Le premier consisterait dans les messages très fermes parvenus à l’administration américaine de la part de la Syrie et de ses alliés sur une riposte qui serait totale. À ce sujet, la source rappelle que lorsque l’ancien secrétaire d’État adjoint américain Jeffrey Feltman s’était rendu à Téhéran et avait évoqué devant les dirigeants de ce pays une « petite frappe limitée dans le temps et dans l’espace géographique », ceux-ci auraient répondu à travers plus d’un canal qu’il n’y a rien qui s’appelle pour eux « une petite opération » et que le premier missile Tomahawk envoyé sur la Syrie serait considéré comme une déclaration de guerre qui autorise une réponse là où les Syriens et leurs alliés le jugeront utile. À partir de là, les analystes s’en sont donné à cœur joie en élaborant des scénarios catastrophe et des idées de riposte. Mais il semblerait que très vite, l’armée syrienne et ses alliés libanais, iraniens et irakiens auraient décrété une mobilisation générale et des batteries de missiles auraient été pointées non seulement contre Israël, mais aussi contre les bases américaines dans la région en prévision d’un long conflit. Le second facteur déterminant pour Obama a été la défection de la Grande-
Bretagne, allié traditionnellement indéfectible et compagnon d’armes historique. En dépit de l’appui des dirigeants français et de ceux des pays du Golfe plus la Turquie, Obama s’est senti seul sur la scène internationale et a choisi de jeter la balle dans le camp des représentants du peuple américain, sachant que la grande majorité des populations européenne et américaine est contre une intervention militaire américaine en Syrie.


Il restait donc à trouver le scénario. La version officielle précise que c’est le secrétaire d’État américain John Kerry qui a lancé l’idée dans sa conférence de presse en Grande-Bretagne, et immédiatement, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a saisi la balle au bond et a transformé cette idée en proposition concrète. Mais selon la source diplomatique libanaise, le plan aurait été concocté au cours de l’entretien entre les présidents américain et russe en marge du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. D’ailleurs, au cours de sa rencontre à Londres avec les ministres arabes des Affaires étrangères, accompagnés du secrétaire général de la Ligue arabe, quelques heures avant le lancement de la proposition russe, John Kerry avait évoqué la possibilité d’un retour à l’ONU.


Une fois lancée, la proposition russe a rapidement fait son chemin, et son premier effet a été de reporter le vote du Congrès américain en faveur des frappes américaines contre la Syrie. Ce vote était prévu aujourd’hui, et il avait de larges chances d’être favorable aux frappes. C’est à la Chambre des représentants que l’issue du vote était incertaine. Mais il a tout de même été remis à une date ultérieure.
Ce qui signifie déjà que les frappes sont forcément reportées. La source diplomatique libanaise estime à ce sujet que la proposition russe est arrivée à point nommé pour permettre à tout le monde de gagner du temps. Un processus de longue haleine est désormais engagé et le président américain a déclaré, dans l’une de ses entrevues télévisées, que le président syrien Bachar el-Assad a un délai de 45 jours pour prendre les mesures nécessaires à l’adhésion de son pays à la convention contre les armes chimiques. Car il ne s’agit pas seulement de placer l’arsenal chimique du régime (près de 1 000 tonnes, le régime ayant commencé à s’en doter dès les années 70) sous contrôle international, mais de le pousser à le détruire, conformément à la convention de La Haye. Pendant cette période, le rapport de la commission d’enquête de l’ONU devrait être publié. Mais il faut rappeler que cette commission n’a pas mandat de désigner la partie qui aurait utilisé les armes chimiques. Elle doit simplement préciser si oui ou non il y a eu utilisation de ces armes et où. Il faudrait par la suite modifier ce mandat pour qu’elle puisse identifier les coupables. Déjà, le ministre autrichien des Affaires étrangères, dont le pays a conservé des liens avec le régime syrien, a proposé ses services pour envoyer une mission en Syrie pour la destruction de l’arsenal chimique.


C’est dire que la proposition russe a déclenché un long processus qui devrait aboutir à la fin d’un des épisodes du conflit syrien. Mais le feuilleton continue. D’une part, pendant toute la durée de ce processus, la menace des frappes continuera à être brandie (même si elle devrait tout de même perdre en crédibilité), et d’autre part, si une dynamique de solution politique, dans le cadre de la conférence de Genève 2, n’est pas lancée, la guerre se poursuivra, sans qu’il y ait un changement significatif des rapports de force sur le terrain. À Saint-Pétersbourg, en marge du G20, lady
Ashton, patronne des AE de l’Europe, avait demandé la présence de l’émissaire de l’ONU en Syrie Lakhdar Brahimi pour tenter de jeter les bases de la conférence de Genève 2, mais les négociations ont buté sur le même point, le sort du président syrien Bachar el-Assad et la composition du gouvernement de transition. Aujourd’hui, la diplomatie russe a marqué un point, et elle a surtout écarté la possibilité de frappes américaines dont elle ne veut absolument pas, sans pour autant mettre réellement sur les rails une solution claire.

 

 

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