Rechercher
Rechercher

À La Une - Quatre questions à...

"La majorité, c'est toujours Erdogan"

Dorothée Schmid, chercheure responsable du programme Turquie contemporaine à l’Ifri.

Face aux critiques de ces derniers jours l’accusant de vouloir islamiser la Turquie, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan assure avoir été élu démocratiquement. AFP /Ademaltan

Depuis vendredi, la Turquie est en proie à un mouvement de contestation sans précédant depuis l'accession au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Le mouvement a débuté en plein cœur d’Istanbul, près de la place Taksim, quand des militants se sont opposés à un projet d'aménagement urbain prévoyant la suppression du petit parc de Gezi et de ses 600 arbres centenaires. Rapidement, le mouvement a pris un tour politique, des milliers de manifestants dénonçant, à travers le pays, le conservatisme du gouvernement d’Erdogan, accusé de vouloir "islamiser" la société turque.

 

 

-Qui sont les manifestants, représentent-ils, comme ils l'affirment, le ras-le-bol de la majorité de la société turque ?

 

"Ces manifestants ne représentent pas la majorité, puisque la majorité c'est toujours Erdogan, la majorité est du côté du pouvoir. Si des élections avaient lieu aujourd’hui, je ne crois pas un seul instant qu’Erdogan les perdrait.

Cependant, ces manifestants représentent une minorité très importante. Ils sont surtout le symbole des clivages très forts qui traversent la société turque, et l’on a finalement l'impression que le pouvoir a joué l'antagonisme avec ceux qui n'appartiennent pas à sa base électorale directe et traditionnelle. Ce jeu dangereux a porté sur des questions religieuses, des questions de liberté, y compris de liberté d'expression.

Nous sommes donc face à des ajustements intra-turcs. Dans le cas présent, la question du parc (de Gezi) intéresse les Kémalistes ainsi que les Stambouliotes soucieux du patrimoine de la ville".

 

 

 

-Pourquoi cette grogne alors que l'économie du pays semble bien se porter depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP?

 

"Ce mouvement ne se fait pas sur un fond de misère sociale. Il s'agit vraiment d'une contestation de la gouvernance et de la façon dont le Premier ministre conçoit la politique.

La Turquie va bien, elle est prospère et l'électorat d'Erdogan a profité de la hausse du niveau de vie, le pouvoir d'achat ayant triplé en dix ans en Turquie.

Les gens se révoltent aujourd’hui contre l'incapacité du Premier ministre à créer du consensus, contre sa façon de créer des clivages au sein de la société turque, de dresser des parties de la société turque les unes contre les autres, en somme de diviser pour mieux régner. L'exemple le plus parlant concerne les questions religieuses : la réaction du Premier ministre aux manifestations a d'abord été de dire que la police ne quitterait pas la place Taksim et qu'il maintiendrait le projet d’aménagement urbain. Puis, il a déclaré que si le projet était avorté, il ferait construire une mosquée à la place ! Or, une mosquée peut être perçue comme une provocation par toute la frange laïque de la société turque.

Autre exemple, Recep Tayyip Erdogan a aujourd'hui tendance à présenter les manifestants comme des casseurs et des marginaux qui en veulent au modèle de croissance et de consommation de la Turquie. Cette présentation n’est pas valable dans la mesure où les manifestants sont éduqués et issus de la classe moyenne.

Aujourd’hui, la Turquie est le théâtre d’un combat entre deux classes moyennes opposées en termes de valeurs sociales : les Turcs blancs (défenseurs d'une Turquie plus européenne et libérale, tournée vers la Méditerranée) contre les Turcs noirs (partisans d'une Turquie dite anatolienne, plus conservatrice et religieuse)".

 

 

-Et l'armée dans tout ça, a-t-elle un rôle à jouer ?

 

"Le chef d'Etat-major a été nommé par M. Erdogan, il lui est fidèle, le risque de scission entre le commandement militaire et le pouvoir politique est donc quasi-inenvisageable. Je ne crois pas en l’éventualité d’un coup d’Etat de la part de l’armée, surtout que la crise se déroule sous les yeux des partenaires occidentaux de la Turquie, l'Europe et les Etats-Unis. Toutefois, des incidents entre la police et l'armée ont été relatés à Istanbul, où l'armée a refusé d'aider la police contre les manifestants".

 

 

-Le mouvement pourrait-il s'étendre?

 

"Les manifestants n'ont pas de problème avec le maintien au pouvoir de l'AKP, mais véritablement avec la manière de gouverner du Premier ministre. Qu'Erdogan cesse d'être dans la surpuissance, qu'il laisse des contre-pouvoirs s'exprimer en Turquie. C'est peut être la seule chose que les manifestants pourraient véritablement obtenir de leur mouvement : qu'Erdogan prenne un peu plus compte les desiderata d'une partie de la population qu'il néglige, voire qu'il affronte.

Il ne me semble en outre par opportun de comparer l’actuel mouvement de protestation en Turquie aux Printemps arabes, car le régime turc est en phase avec la majorité du pays.

En revanche, il n'est pas impossible que la contestation s'étende, avec notamment des incidents sérieux comme ceux de dimanche soir à Ankara.

L’évolution du mouvement de protestation dépendra de la réaction du Premier ministre. Deux choix s'offrent à lui, jouer la carte de l'apaisement ou celle de la confrontation. Mais il lui serait difficile de jouer la confrontation, désastreuse pour l'image de la Turquie. Pour le moment, Recep Tayyip Erdogan peut s’en sortir en laissant pourrir le mouvement de contestation.

Quelles concessions pourrait-il faire ? Sur la question du parc, cela paraît simple puisque la justice a d’ores et déjà suspendu les travaux. Le judiciaire offre ainsi à Erdogan une sortie honorable, mais il faudrait, par la suite, qu’il propose un projet alternatif qui satisfasse tous les Stambouliotes.

Toutefois, si les incidents se poursuivent, notamment vers les bureaux du Premier ministre ou ceux de l'AKP, la situation va devenir plus complexe, car nous entrerions alors dans une confrontation civile très violente et difficile à contenir entre deux pans de la population turque".

 

 

Lire aussi

Acele şeytandandir*, le point de Christian Merville

 

L’alcool, symbole du défi lancé par les manifestants au gouvernement turc

 


Pour mémoire

Le rouge à lèvres est de retour sur la Turkish Airlines


Turquie : La religion entre au menu des examens d'entrée à l'université

Depuis vendredi, la Turquie est en proie à un mouvement de contestation sans précédant depuis l'accession au pouvoir, en 2002, du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Le mouvement a débuté en plein cœur d’Istanbul, près de la place Taksim, quand des militants se sont opposés à un projet d'aménagement urbain...

commentaires (6)

ET DIRE QUE LA M A J O R I T É DES SYRIENS EST ENTRAIN DE C A V A L E R EN TURQUIE ET AU LIBAN, SINON ELLE RISQUAIT DE SE FAIRE M A S S A C R E R PAR CE RÉGIME Ä L A O U Ï T E S-N U S A Y R Î S BÄÄSSYRIEN............... !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

11 h 46, le 05 juin 2013

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • ET DIRE QUE LA M A J O R I T É DES SYRIENS EST ENTRAIN DE C A V A L E R EN TURQUIE ET AU LIBAN, SINON ELLE RISQUAIT DE SE FAIRE M A S S A C R E R PAR CE RÉGIME Ä L A O U Ï T E S-N U S A Y R Î S BÄÄSSYRIEN............... !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 46, le 05 juin 2013

  • ET EN SYRIE, LES FAITS DISENT QUE LA MAJORITÉ N'EST PAS CONTRE LE RÉGIME.

    SAKR LOUBNAN

    10 h 56, le 05 juin 2013

  • C' E S T CELA LA D É M O C R A T I E........ !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 10, le 05 juin 2013

  • LA GRISERIE DU POUVOIR LES AVEUGLE " TOUS " !

    SAKR LOUBNAN

    17 h 58, le 04 juin 2013

  • En voilà un autre, envahi par la bêtise et l'orgueil, qui va s'accrocher et qui va transformer son pays en boucherie.

    Robert Malek

    15 h 10, le 04 juin 2013

  • A la 2eme question, pourquoi tout ça alors que l'économie se porte bien, ma réponse est justement faut pas que ça aille bien économiquement dans un pays d'Europe alors que les autres souffrent pour arriver à 0.1 % de croissance, donc on lui fait un croc en jambe, balayé par ses partenaires. Et pour la petite info sur la place Gezi à Taksim à raser pour faire un centre commercilal, savez vous qui est le bénéficiaire de ce contrat, si, si vous avez deviné c'est le vilain petit qanar.

    Jaber Kamel

    11 h 28, le 04 juin 2013

Retour en haut