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À La Une - Ressources hydrauliques

Le Litani, un fleuve essentiel au potentiel négligé

L’Association des amis d’Ibrahim Abdel Aal a organisé dimanche une tournée pour la presse sur le lac de Qaraoun. Avec un message : il faut lutter pour préserver et exploiter cette ressource nationale.

Le lac artificiel de Qaraoun.

Le fleuve du Litani est l’un des plus importants du Liban, cela est incontestable. Mais sa principale caractéristique, il faut le rappeler, est qu’il est le seul à couler entièrement à l’intérieur du territoire libanais. En d’autres termes, les quelque 400 millions de mètres cubes annuels qu’il nous assure sont entièrement exploités par le Liban. Pourquoi alors le laisse-t-on en proie à la pollution ? 

 

La tournée organisée dimanche par l’Association des amis d’Ibrahim Abdel Aal pour la presse et les médias, en présence du ministre de l’Information Walid Daouk, n’avait pas pour seul but de faire la lumière sur cette pollution ultramédiatisée, mais plutôt sur l’extraordinaire potentiel de cette ressource qu’il faut à tout prix protéger.
Nasser Nasrallah, directeur général de l’association, a annoncé à la presse que « cette première initiative n’est qu’un premier pas dans le cadre d’une campagne visant à promouvoir l’importance de l’exploitation de cette ressource hydraulique unique qu’est le Litani ». « L’eau est un sujet crucial pour tout le Liban, a-t-il poursuivi. Notre campagne va commencer par le fleuve du Litani et le lac de Qaraoun pour englober tous les autres bassins du pays. »


Pourquoi commencer par le Litani ? « Parce que c’est la seule quantité d’eau que le Liban peut exploiter intégralement et efficacement sans aucun problème, souligne M. Nasrallah. Cette ressource représente plus de 400 millions de mètres cubes en moyenne par an. Outre le projet d’origine réalisé sur le Litani (NDLR : le barrage dans les années 60), l’État libanais entame actuellement deux autres grands projets : un projet de drainage d’eau vers le Sud, dont la réalisation a déjà commencé, qui fournira à cette région du Liban, à partir du lac de Qaraoun, quelque 110 millions de mètres cubes par an, 90 millions pour l’irrigation et 20 millions pour l’alimentation des foyers et des industries en eau. L’autre grand projet est le drainage de l’eau du fleuve Awwali vers Beyrouth et ses banlieues. Ce projet utilisera l’eau du Qaraoun jusqu’à la construction du futur barrage de Bisri. »


Pour toutes ces raisons, M. Nasrallah a insisté sur le besoin que cette eau soit propre et bien préservée. « Voilà pourquoi j’appelle le ministre de l’Information ainsi que tous les ministres concernés à agir, affirme-t-il. Nous espérons pouvoir rencontrer le Premier ministre Nagib Mikati afin de parvenir à la formation d’une commission conjointe où seront représentés tous les ministères, l’Office national du Litani, l’ordre des ingénieurs et l’Association des amis d’Ibrahim Abdel Aal. Cette commission devra présenter un plan rapide de dépollution du Litani qui sera en harmonie avec les deux grands projets. Ce même plan servira plus tard de modèle pour améliorer la situation des autres bassins du Liban, qu’il s’agisse d’eau superficielle ou souterraine. »


L’une des responsables et membres fondateurs de l’association, Imane Abdel Aal, fille de l’ingénieur pionnier, a insisté sur d’autres dangers guettant le Liban au cas où le retard persiste dans la protection de ce fleuve, et au cas où la seule publicité qui lui est faite est celle de la pollution dont il est victime. Abordant la dimension géostratégique du problème, elle rappelle les visées israéliennes anciennes sur ce fleuve qui ne dépasse pas les frontières libanaises. Elle appelle les responsables libanais à la vigilance et à la préservation du droit des Libanais à l’exploitation entière de leur eau, par une participation active aux négociations internationales sur les questions de l’eau.


À ce sujet, Nasser Nasrallah fustige « les propos irresponsables tenus par certains, qui considèrent le Liban comme un château d’eau ». « Ces propos ne sont pas étayés par des chiffres, poursuit-il. Bien au contraire, les études montrent que le Liban pourrait faire face à des lacunes dans l’approvisionnement en eau dès 2015. Il faut éviter de telles déclarations qui ne font qu’attiser les visées sur le Liban, sans refléter la réalité. »

Réagir rapidement à la pollution
La tournée de l’association a englobé un passage aux bureaux de l’Office national du Litani, et une rencontre avec son directeur, Ali Abboud. Celui-ci commence par citer les chiffres qui donnent une idée de l’importance du bassin du Litani : 2 170 kilomètres carrés, soit 20 % de la superficie du Liban, une longueur de 170 kilomètres, l’équivalent de 30 % des ressources hydrauliques au Liban.


L’Office national du Litani, poursuit son directeur, a été créé en 1954, mais avec une tare : des prérogatives se limitant au stockage et à l’exploitation des eaux du fleuve, sans aucune possibilité d’intervenir pour en améliorer la qualité. Aujourd’hui, il gère le seul barrage qui y a été érigé, ainsi que trois stations hydroélectriques, mais il n’est nullement responsable de la pollution qu’il ne peut que constater.


« Les quatre principales sources de pollution sont les eaux usées, les rejets des usines, les déchets solides et les pesticides et engrais chimiques, explique-t-il. Le déversement des eaux usées vient du fait que les réseaux d’égouts ne sont pas reliés à des stations d’épuration, ou alors que des stations d’épuration sont construites sans être reliées aux réseaux, comme à Baalbeck. Résultat : le sol, les eaux souterraines et le fleuve en sont pollués. Quant aux usines, elles ne sont soumises à aucune loi qui les oblige à traiter leurs propres rejets. Les eaux d’égouts qui en résultent sont particulièrement nocives : nous commençons à détecter des métaux lourds lors de nos analyses de l’eau. Les déchets solides se retrouvent dans l’eau en raison du manque de solutions écologiques durables. Enfin, le surplus des pesticides et des engrais dans l’eau résulte de leur utilisation massive et incontrôlée par les agriculteurs, peu sensibilisés à leur danger pour la nature et pour l’homme. »


M. Abboud souligne pourtant qu’il ne faut pas exagérer le danger de cette pollution, les taux des polluants n’étant souvent pas alarmants, surtout dans le lac de Qaraoun. Suivant ses calculs, si l’on compte que les eaux usées et les rejets industriels représentent un maximum de 16 millions de mètres cubes par an, ils restent minoritaires par rapport à la moyenne de 220 millions de mètres cubes stockés dans le bassin. De plus, selon lui, les 300 jours de soleil à la Békaa constituent une source de purification de l’eau non négligeable. « S’il y a 15 % de pollution, cela ne veut pas dire qu’il y a un danger pour l’irrigation, mais l’eau n’est certainement pas potable, estime-t-il. Cela ne signifie pas pour autant que l’urgence de dépolluer le fleuve n’est pas réelle, surtout si l’on va distribuer son eau dans les foyers. De plus, en été, comme l’eau est pompée en amont pour l’agriculture et que le niveau du fleuve baisse naturellement, le cours du Litani (et non le lac) devient très pollué car alimenté presque exclusivement par les eaux usées. »
Interrogé par L’Orient-Le Jour sur le fait de savoir si la pollution aujourd’hui dans le Litani et à Qaraoun est toujours traitable, M. Abboud répond : « Tout à fait, nous n’avons pas encore dépassé les lignes rouges. Mais si nous persévérons dans cette voie, l’utilisation de l’eau deviendra dangereuse, même pour l’irrigation. »
La source du Litani se trouvait auparavant dans la région de Baalbeck, explique l’expert. « Cette source est aujourd’hui complètement asséchée du fait du forage d’un grand nombre de puits sans aucune étude, raconte-t-il. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus régler ce problème, même en renflouant la source. Nous pouvons désormais agir sur la qualité de l’eau bien plus que sur sa quantité. Nous n’avons aucune idée du nombre de puits creusés dans la région. Or c’est inadmissible : les nappes phréatiques ne sont pas la propriété d’individus, mais de toute la nation. Il faut instaurer un système de permis de forage de puits, qui soit fondé sur une carte géologique du Liban, indiquant dans quelles régions il est possible d’en creuser. On ne peut laisser le chaos perdurer. »


Il insiste cependant sur le fait que les fuites dans le bassin du barrage sont minimes. « Nous effectuons une observation quotidienne et nous traitons toute fuite sans aucun retard, dit-il. Le taux de fuites actuellement est de 17 litres par secondes, ce qui est négligeable. »

Pour une agence de bassin unique
Au cours de son intervention devant les participants à la tournée de l’association, Ali Abboud a revendiqué la création d’une seule institution pour la gestion du barrage, de préférence reliée à l’office lui-même. Qui supervise le barrage aujourd’hui ? « Le ministère de l’Énergie et de l’Eau a certaines prérogatives, le ministère de l’Environnement et celui de l’Intérieur aussi, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) en a d’autres, précise-t-il. Pourquoi garder ces prérogatives aux mains de toutes ces institutions ? Nous suggérons, comme cela a été fait avec succès en Europe, de créer une agence de bassin qui sera responsable de toute la gestion. »


Aujourd’hui, est-ce que quelqu’un s’occupe effectivement de la dépollution ? « Nous n’avons que les moyens de constater la pollution, dit-il. Nous contactons les ministères de l’Énergie ou de l’Environnement, ou encore le CDR, pour demander que des mesures soient prises. Mais si la prérogative nous avait été donnée, nous pourrions lever les fonds nous-mêmes et traiter le problème. »


M. Abboud assure avoir revendiqué à plusieurs reprises la création d’une telle agence, sans succès. Interrogé sur les raisons du refus qu’on oppose à sa demande, il répond : « On me dit qu’il faut réactualiser les lois. De plus, certains ministères hésitent à abandonner leurs prérogatives. Or si tout le travail était centralisé en une seule institution, c’est à elle seule qu’on demanderait des comptes. »


Dans la tournée de dimanche, mention a été faite des études avant-gardistes et révolutionnaires qui avaient été menées dès les années 40 et 50 par l’ingénieur Ibrahim Abdel Aal, père du barrage de Qaraoun. Les responsables de l’association insistent sur la nécessité de compléter le plan qu’il avait imaginé pour le Litani. La construction de nouveaux barrages, cependant, ne fait pas l’unanimité : une campagne nationale regroupant des dizaines d’ONG a récemment vu le jour pour demander que la stratégie nationale de gestion de l’eau ne soit pas fondée sur la construction de barrages, mais sur d’autres moyens plus durables d’exploiter l’eau. Quoi qu’il en soit, le message de cette journée reste indispensable à disséminer : ne surtout pas laisser notre eau en proie à une négligence incompréhensible. Les responsables politiques prêteront-ils l’oreille avant qu’il ne soit trop tard ?

 

 

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