« Quand allons-nous rentrer à Mossoul ? » Les mots ont été tracés au doigt dans l'épaisse couche de crasse qui recouvre l'une des innombrables tentes bleues et blanches qui s'étendent à perte de vue.
À Khazer, le camp qui accueille le plus grand nombre de familles ayant fui les combats qui font rage depuis plus de deux mois, les tambours de la pluie ont remplacé le grondement de l'artillerie. À l'intérieur de sa tente, Abou Khami s'est assis avec des voisins autour d'un chauffage au kérosène. Il hésite, n'ose répondre à la question. Alors que son quartier est devenu un champ de bataille où s'affrontent dans une guérilla urbaine forces armées irakiennes et jihadistes du groupe État islamique (EI), il ne fait pas bon rappeler à voix haute pourquoi on a un jour accueilli ces derniers. « Au départ, comme la plupart, j'ai cru en une révolution. Ils disaient vouloir combattre les injustices », murmure cet ancien soldat de l'armée de Saddam Hussein. « Ils avaient une bonne attitude. J'aimais leur discours. Ils disaient qu'ils étaient venus pour nous défendre », confirme Haytham Ghanam, étudiant à l'université de Mossoul, en trempant ses lèvres dans une tasse de thé noir trop sucré.
« L'armée irakienne bloquait nos rues avec des check-points, je me sentais prisonnier de ma propre ville. La première chose que l'EI a faite, c'est les retirer », se souvient Abou Khami, pour qui les jihadistes se sont posés en défenseurs des sunnites face à un gouvernement central contrôlé en majorité par des chiites, l'autre grand courant de l'islam.
(Lire aussi : A Mossoul, les enfants "ont vu des choses que personne, peu importe son âge, ne devrait voir")
Pour l'argent et les femmes yézidies...
« Un fossé énorme s'était creusé entre la population et les forces de sécurité. Il n'y avait aucune confiance. Ce fossé a rendu facile la prise de Mossoul par l'EI », explique Salah Hassan, un professeur d'anglais de 26 ans. « Le gouvernement central et les forces de sécurité portent une part de responsabilité. Et nous aussi. Nous aurions pu sauver notre ville, au lieu de ça nous avons permis la prolifération de l'EI », regrette-t-il.
En juin 2014, il ne faudra que quelques jours aux jihadistes pour s'emparer de la deuxième ville d'Irak, mettant en déroute l'ensemble des forces irakiennes en présence, pourtant largement supérieures en nombre. L'exploit militaire est aussi rendu possible par un important soutien populaire. Un millier de combattants étaient entrés dans Mossoul depuis la Syrie ; ils étaient cinq mille à la veille de la campagne militaire pour reprendre la ville, selon certaines estimations.
Dans la rue de Salah, ils sont nombreux, voisins et amis, à décider de collaborer « pour la notoriété, l'argent et les femmes yézidies », estime le professeur, faisant référence aux milliers de femmes utilisées par les jihadistes comme esclaves sexuelles. La mosquée derrière chez lui servira d'ailleurs de prison pour une yézidie retenue captive.
(Lire aussi : Rentrer à la maison au risque de sa vie, le dilemme des déplacés d'Irak)
Nostalgiques de l'époque Saddam
Le groupe d'amis l'assure : leur soutien aux jihadistes n'a duré que quelques mois, jusqu'à ce qu'ils montrent « leur vrai visage ». Après plus de deux ans à vivre sous les diktats de l'EI, avant d'être finalement chassés par la guerre et contraints de devoir passer l'hiver sous une tente, Salah, Haytham et Abou Khami se disent nostalgiques de l'Irak qu'ils ont connu avant l'intervention américaine de 2003. « Saddam Hussein en tant que leader ne nous manque pas, mais cette époque-là oui », assure Abou Khami. Son fils aîné est, lui, moins équivoque : « C'était un homme bon. C'était le temps de la vie et de la paix », assure-t-il, omettant de préciser que la mainmise des élites sunnites sur les différentes sphères du pouvoir allait de pair avec une persécution quasi systématique des autres communautés.
« Depuis, nous n'avons connu que la guerre. Nous avons perdu espoir. Après la guerre, il y aura la guerre », regrette Salah Hassan. « De nouveaux groupes comme l'EI feront leur apparition, simplement avec des noms différents », assure Abou Khami, qui craint que Mossoul libéré ne ressemble un peu trop au Mossoul d'avant-2014. « Les politiciens à Bagdad ne se soucient pas de nous, ils ne nous représentent pas. Si les habitants de Mossoul contrôlent leur propre ville, tout ira bien. Mais si ce sont des gens extérieurs, si c'est l'armée qui est à nouveau en charge, alors tout recommencera », prévient Abou Khami.
Lire aussi
Dans le nord irakien, les charniers de l'EI sont loin d'avoir livré tous leurs secrets
Pour vaincre l'EI les armes ne suffisent pas, préviennent des experts
Dans les ateliers d’armes de l’EI, « une révolution industrielle »
commentaires (2)
OU QUAND DRACULA Y NICHA...
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 43, le 28 décembre 2016