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Moyen Orient et Monde - Analyse

Législatives au Maroc : une opposition taillée sur mesure

En la privant de son capital contestataire, le Makhzen a favorisé l'érosion de la légitimité d'une opposition désormais domestiquée et soumise à son pouvoir tutélaire.

Le roi du Maroc Mohammed VI lors de la cérémonie d’allégeance de la fête du trône le 31 juillet 2011. Abdelhak Senna/AFP/Archives

Destinées à renouveler la Chambre des représentants, les élections législatives d'aujourd'hui au Maroc sont l'occasion d'une âpre confrontation entre les partis politiques, notamment entre le parti pour la Justice et le Développement (PJD, islamiste) et le parti pour l'Authenticité et la Modernité (PAM), réputé proche du palais. Ce 15e scrutin depuis l'indépendance du Maroc consacre une évolution où les partis d'opposition occupent une place réelle dans le jeu politique. Si depuis 1962 le multipartisme est formellement reconnu, ce n'est qu'en 2011, à la suite de la dynamique contestataire du « printemps arabe », que le Maroc s'engage dans la voie d'une reconnaissance, avec l'inscription, dans l'article 10 de la Constitution, d'un statut de l'opposition.

Mais au-delà du formalisme constitutionnel, l'interrogation porte sur la nature de cette opposition à laquelle la chercheuse Sanae Kasmi apporte un éclairage central : « Dans la réalité politique marocaine, l'opposition a dû prendre plusieurs formes qui ne jouissent pas des mêmes droits. D'abord, selon la nature de leurs opinions, on distingue l'opposition au système et l'opposition au gouvernement. » Les partis aujourd'hui en lice pour les élections, y compris le contesté PJD, relèvent de la deuxième catégorie, c'est-à-dire une opposition légale qui accepte les règles constitutionnelles et, in fine, le champ de compétition politique délimité par le Makhzen (l'État et ses représentants, ndlr). Si l'État marocain a su s'adapter aux demandes de démocratisation de la société, paradoxalement, cette évolution lente et contrôlée a permis au régime d'asseoir durablement sa légitimité en réduisant toute contestation radicale du système politique. Historiquement, le subtil dosage entre reconnaissance (plus ou moins formelle) de l'opposition et répression féroce a eu pour effet de consolider l'emprise du pouvoir royal sur l'ensemble de la société.

 

(Lire aussi : Test de popularité pour le PJD islamiste après l’épreuve du pouvoir)

 

Facteur régional
Dans le contexte d'intensification des revendications nationalistes, et après l'accession à l'indépendance du Maroc, la lutte pour le pouvoir entre le palais et le mouvement Istiqlal, qui regroupait en son sein la bourgeoisie citadine, a fragilisé le règne de Mohammed V puis de son fils Hassan II, héritier d'un contexte marqué par des troubles sociaux et politiques. En proie à une instabilité grave, Hassan II devient l'artisan de la stabilisation du régime par l'élaboration d'une stratégie politique associant à la fois répression, cooptation individuelle des opposants et valorisation de la façade démocratique.

Si le pouvoir royal s'appuie sur le monde rural pour faire contrepoids à l'hégémonie de la bourgeoisie citadine dans les années 1960, il n'a cessé cependant de se renforcer en misant sur le facteur régional. L'occupation du Sahara occidental en 1975 et l'élaboration d'une opération politique « souverainiste », la Marche verte, ont constitué un moment décisif de stabilisation du régime de Hassan II facilitant la mise au pas de l'opposition radicale, notamment le mouvement marxiste-léniniste incarné par Ilal Amam, et la restauration d'une légitimité ébranlée. Marguerite Rollinde, dans son article « La marche verte : un nationalisme royal aux couleurs de l'islam », rappelle qu' « en cette fin d'année 1975, le roi veut restaurer le consensus disparu entre lui et la nation dont il est, constitutionnellement, le représentant légitime, en reprenant le dialogue direct avec son peuple. Il doit, pour cela, se reconstituer un capital de légitimité, qui lui avait été transmis par son père, et qui a été remis en cause par les deux attentats militaires (coups d'État avortés, ndlr) de juillet 1971 et août 1972 ».

 

(Lire aussi : Au Maroc, le come-back des salafistes)

 

Stratégie payante
Il faudra attendre les années 90 (après les années de plomb du règne de Hassan II) afin que se dessine une nouvelle stratégie, plus pacifique, à l'endroit de l'opposition, stratégie poursuivie et renforcée par son héritier Mohammed VI. Tandis que l'Algérie voisine s'enlise dans une guerre civile sans merci, opposant l'armée au Front islamique du salut, Hassan II fait le pari d'une ouverture politique contrôlée, avec une inclusion dans le jeu politique des islamistes regroupés au sein de Islah wa Tajdid (Réforme et Renouveau), après avoir préalablement intégré dans la gestion des affaires politiques, via des élections (1993 et 1997), les partis politiques traditionnels comme l'Istiqlal, l'Union socialiste des forces populaires et le Parti du Progrès et du Socialisme. Les chercheuses Mohsen-Finan et Malika Zeghal soutiennent que ce pluralisme partisan est « lié à une tradition makhzénienne de cooptation et de contrôle fondée en partie sur des mécanismes d'inclusion et d'exclusion des groupes situés dans l'opposition au pouvoir politique en place...

Ce processus d'ouverture politique continue de se fonder sur cette tradition d'intégration d'une partie de l'opposition au régime, tout en aménageant des espaces élargis de négociation entre pouvoir et opposition ». Mohammed VI mesurant l'avantage que procure au régime la vitrine démocratique en terme de légitimité, a su intégrer l'opposition dans le jeu politique et par là-même l'impliquer dans la gestion des affaires publiques. En la privant de son capital contestataire, le Makhzen a favorisé l'érosion de la légitimité d'une opposition désormais domestiquée et soumise à son pouvoir tutélaire. Si cette stratégie du pouvoir peut s'avérer payante à court terme, par une sorte de ruse de l'histoire, ce jeu politique avec l'opposition pourrait, à long terme, transformer fondamentalement le système et l'orienter vers le modèle de la monarchie constitutionnelle britannique. La question sociale et la paupérisation des masses face à un enrichissement croissant de la bourgeoisie et des membres du palais d'un côté, et les revendications d'une égalité des droits, de l'autre, pourraient accélérer ce processus.

 

*Politologue de formation, Tayeb el-Mestari est l'auteur, notamment, d'« Analyse sociopolitique des intellectuels francophones algériens, problème d'approche théorique ». Sa réflexion porte sur la problématique des intellectuels et leur relation au pouvoir en Algérie.

 

 

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