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Économie - Focus

Le délai des virements bancaires prolongé par le renforcement des contrôles

Depuis plusieurs mois, le temps de traitement des virements internationaux, notamment vers le Liban, a augmenté significativement. Un phénomène lié aux mesures de lutte contre les fonds illicites.

La durée de certains transferts bancaires a quasiment doublé en quelques mois. Illustration Yakobchuk/Bigstock

De nombreux entrepreneurs libanais doivent faire face depuis quelques mois à des délais bancaires de plus en plus longs, notamment quand ils effectuent ou reçoivent des virements internationaux.

Un phénomène que la Banque du Liban (BDL) a fini par reconnaître pour la première fois le 9 août par l'intermédiaire de l'un de ses vice-gouverneurs, Saad Andary, qui a admis, à l'occasion d'une conférence organisée à Beyrouth, que certains expatriés s'étaient plaints du prolongement des délais pour virer de l'argent au Liban. « Le renforcement des règles nationales et internationales oblige les banques à multiplier les contrôles sur les transactions depuis plusieurs mois, ce qui prolonge les délais de certaines opérations », a-t-il confirmé à L'Orient-Le Jour.

 

Doublement des délais
Selon les sources interrogées, le délai de ces transferts aurait parfois plus que doublé. « Une opération qui prenait deux à trois jours il y a moins d'un an dure désormais une semaine en moyenne, qu'elle passe ou non par une banque établie au Liban », constate Antoine Sacy, PDG d'Orkila, un distributeur de produits chimiques qui représente 100 fabricants environ dans le monde et qui dessert plusieurs pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Même constat du côté de Fouad Tabet, qui possède une société qui importe des matériaux de construction et qui représente une trentaine de partenaires en Europe ou encore aux États-Unis. « C'est plus un pli à prendre qu'un handicap », résume ce dernier, avant de préciser que « le virement est effectué tant que nous fournissons tous les documents réclamés par la banque » pour justifier chaque opération. « La transition est presque indolore pour les sociétés qui ont l'habitude de traiter avec les entreprises américaines, dans la mesure où leurs partenariats leur imposent de respecter des procédures beaucoup plus pointilleuses que la normale », signale encore un autre entrepreneur, sous couvert d'anonymat.

Le président du Rassemblement des chefs d'entreprise libanais, Fouad Zmokhol, estime enfin que « s'il est normal que les banques ne veuillent pas prendre le risque d'être sanctionnées par les autorités de régulation en négligeant les contrôles, ces derniers devraient devenir plus fluides avec le temps ». En attendant, les banques, libanaises et étrangères, n'imposent généralement pas de frais bancaires à leurs clients pénalisés par le prolongement de ces délais, ce qui permet aux entrepreneurs de s'adapter plus facilement, comme le note M. Sacy. Ni M. Andary ni aucune des sources bancaires interrogées n'ont communiqué d'informations sur le montant mensuel moyen des virements traités par les banques.

 

« Bon élève »
Ce prolongement généralisé des délais de traitement des virements bancaires n'alarme toutefois pas le vice-gouverneur de la BDL qui confirme que ce phénomène « s'étend aux rapports de tous les établissements bancaires dans le monde ». Une tendance liée, comme l'indique une source bancaire anonyme à L'Orient-Le Jour, au fait que de nombreux pays du monde sont de plus en plus impliqués dans l'application des normes mondiales en matière de lutte contre les fonds illicites. « Le Liban fait partie des bons élèves dans ce domaine, contrairement à certains pays d'Afrique, par exemple », note M. Andary.

Depuis près d'un an, le pays du Cèdre multiplie en effet les efforts pour mettre sa réglementation à jour. En novembre 2015, le Parlement libanais a d'abord adopté trois lois lui permettant de conformer sa législation aux exigences du Groupe d'action financière (Gafi) – qui en a pris acte en février en décidant de ne pas réinscrire le Liban dans la liste des pays sous surveillance après l'en avoir exclu en 2002. Le Liban a également annoncé en avril son adhésion au Forum mondial sur la transparence fiscale et l'échange de renseignements, avant de s'engager à adopter la norme internationale d'échange automatique d'informations fiscales (CRS en anglais) d'ici à septembre 2018. L'adoption de ces dispositifs ont eu un impact direct sur les procédures des banques qui doivent « multiplier les contrôles avant d'effectuer les transactions de leurs clients », explique la source bancaire précitée. « Les établissements libanais doivent appliquer ces règles pour maintenir l'intégration du Liban dans le système financier international (sous la supervision de la Commission de contrôle des banques, un organisme indépendant chargé de cette mission) », rebondit M. Andary.

Le directeur du département international de Fransabank, Georges Andraos, rappelle de son côté que les banques doivent appliquer un ensemble de procédures dites KYC (« Know Your Customer ») qui leur impose de « contrôler l'identité de leurs clients » et de leurs correspondants. Ces contrôles peuvent même s'étendre « aux actionnaires d'une société » partie à une transaction, et sont compilés dans des bases de données qui doivent être régulièrement mises à jour. « Un casse-tête », selon M. Andraos, mais qui permet cependant à la banque de répondre plus rapidement aux demandes d'informations de ses correspondantes à l'étranger, « de plus en plus fréquentes » et « exigeantes ». Ces procédures exhaustives s'appliquent systématiquement, peu importe les montants concernés ou la fréquence des transactions entre des clients donnés d'un pays à l'autre, s'accordent les banquiers. Les banques correspondantes réclament également « des analyses régulières sur les mouvements des comptes et sur la nature des opérations de certains clients », conclut M. Andraos.

Et dans certains cas, les choses peuvent être encore plus compliquées. « Certaines banques, qui ont déjà été sanctionnées par les États-Unis par le passé, refusent de virer de l'argent au Liban par excès de prudence », expose encore M. Sacy. « D'autres peuvent refuser les virements en provenance du pays du Cèdre, ce qui peut obliger un entrepreneur à passer par une banque située dans un pays tiers pour contourner l'obstacle », ajoute-t-il.

Enfin, « les contrôles sont plus stricts qu'avant pour les virements en dollars du fait que le Liban est très surveillé par l'administration américaine », relève la source bancaire précitée. Elle fait référence à l'obligation de se conformer aux sanctions prévues par le « Hezbollah International Financing Prevention Act », voté en décembre 2015 par le Congrès américain contre le parti chiite et ses soutiens financiers.

 

 

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