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Moyen Orient et Monde - Le billet

François, Vladimir, Jean-Marc et le canasson

« Exercer le pouvoir, aujourd’hui, c’est très dur. 
Il n’y a plus aucune indulgence, aucun respect. Mais je le savais. » 
François Hollande, le 1/11/2012, dans un entretien au « Monde ».

 

La main posée sur le combiné, François hésitait. Combien de coups de fil désespérés pouvait-il passer avant de relever de la cause perdue ? 
Pour la neuvième fois en une heure, il tapa dans le moteur de recherche de Google : « Heure locale Moscou ». 
« 21:29 UTC/GMT +04:00 (MSK) », lui renvoya Google, confirmant ce que François savait déjà : il y avait trois heures de décalage entre l’Élysée et le Kremlin.

21h29, ça devenait limite. Vladimir était un couche-tôt, car un lève-tôt, car un adepte du judo avant le jus d’orange. 

François se leva, se mit de profil devant la psyché installée dans son bureau, un cadeau en forme de récompense que lui avait offert Valérie après six mois d’un régime à base de pas grand-chose. Il eut beau passer en apnée et tirer les épaules vers l’arrière, la chemise recommençait bel et bien à tirer au niveau du nombril. François crut sentir dans l’air la fadeur d’une courgette vapeur.

Il se laissa tomber lourdement dans son fauteuil. Jamais il n’avait vu la chemise de Vladimir tirer en quelque endroit que ce soit. François, son problème, c’est qu’il n’était fan ni des matins ni du sport. D’autant moins fan que ces derniers temps, François était sujet à de pénibles insomnies. Trop de soucis, surtout avec son gouvernement.
Il avait bien essayé d’en parler à Val, mais elle l’avait rembarré d’un : « Il s’agirait d’être cohérent Fanfan. Soit tu veux que je m’implique, soit tu veux que je la ferme. Mais si je la ferme, je la ferme total. »

Si Val le renvoyait sur les roses, il ne lui restait plus que Vlad.

Il composa le numéro du Kremlin.
« Da », entendit-il avant même la première sonnerie.
« Hello, it is I, François. François Hollande of France. Could I speak to Vladimir please ? » 
On lui répondit en français que Vladimir était en rendez-vous.
François se vouta un peu plus encore, faillit raccrocher, mais poussé par l’élan du désespoir bomba le torse et dit, shiftant vers une tessiture mitterrandienne : « Oui mais là, c’est le président de la France et il se passe quelque chose de grave. C’est, euh... C’est quelque chose en Syrie. »
Au bout d’un silence de quelques secondes, il entendit, dans le récepteur, « un instant » et un soupir.
L’instant s’étira sur dix bonnes minutes, même pas égayées par une Lettre à Élise numérisée.

« François, t’as vu l’heure ? Je suis déjà en pyjama moi ! »
« L’heure ? Ah pardon mon cher Vladimir, je n’avais pas fait attention. Désolé, mais il s’agit d’une urgence. »
« Ok François, qu’est-ce qui se passe en Syrie qui mérite de me sortir du lit ? » 
« En Syrie ? Rien, enfin si, il se passe des choses, mais là c’est plutôt d’un conseil personnel dont j’ai besoin. »
« C’est Val ? Elle te fait encore des soucis ? » 
« Ah non, à ce niveau-là ça va, j’ai suivi tes conseils à la lettre, et maintenant elle est comme ta Lioudmila, on ne l’entend quasiment plus. »
« Comme Lioudmila, comme Lioudmila... Faut pas pousser! Moi si j’avais Val au Kremlin, c’est pas en pyjama que je serais à 21h30. » 
« Je ne vois pas le rapport. »
« Oublie, François. C’est quoi ton problème ? » 
« C’est mon Premier ministre, Jean-Marc. »
« Ah ça, en matière de gestion de Premier ministre, j’en connais un rayon. »
« C’est bien pour cela que je me permets de te déranger Vladimir. »
« Ce Jean-Marc, il veut te piquer ta place c’est ça ? Alors là, c’est simple, tu prépares un bon gros dossier sur lui. Si t’as pas assez de matière, je mets mes gars dessus. Je les fais bosser à l’international depuis quelque temps. Ils peuvent te monter un truc en une semaine max. Et si Jean-Marc est un coriace, tu menaces ses enfants sur le mode “je ne leur prédis pas un grand avenir”, puis tu mentionnes les comptes en Suisse, il doit bien avoir un petit magot dans un coffre à Genève. Crois-en mon expérience, c’est imparable. Tu l’entends Dmitri ces temps-ci ? Rien, que dalle, il moufte pas. Mieux, il n’a même plus envie de moufter ! “I’m that good”, comme me l’a balancé un jour cet arrogant d’Obama. Et pourtant, je te cache pas que Dmitri avait lui aussi des tendances Brutus. » 
« Non, non, Jean-Marc est un garçon très sympathique, et il ne veut pas ma place. Au contraire, il s’en fiche, il est bien où il est. »
« Vraiment ? Étrange, inquiétant même. »
« Non, le problème de Jean-Marc, c’est qu’il multiplie les gaffes depuis que je l’ai installé à Matignon. Il annule des lois avant que les Sages statuent... » 
« Les quoi ? » 
« Je t’expliquerai... Il se fait prendre en photo dans un train fantôme au moment où une cellule terroriste est démantelée, il compare les relations Paris-Berlin à sa vie de couple avec Brigitte, sa charmante épouse, et là il vient de rouvrir la boîte de Pandore des 35h. Et il me le fait un lundi en plus. »
« Les 35h ? » 
« Je t’expliquerai, une exception française, intraduisible. » 

Dix minutes plus tard, François finissait de lister les boulettes de son Premier ministre.

« Et pourquoi tu lui appliques pas la méthode Val à ton Jean-Marc, pourquoi tu lui dis pas de la fermer ? »
« Mais je ne veux pas me mêler, sinon on va dire que je fais du Nicolas, et ça il n’en est pas question Vladimir ! »
« Tu veux pas faire du Nicolas, mais tu peux clairement pas continuer à faire du François. Il va falloir te ressaisir là. Regarde-moi, je les tiens tous. Tous ! Ceux qui me menacent ou simplement m’irritent, hommes, femmes, jeunes femmes – j’hésite encore sur les enfants –, je les envoie en camp de travail. Les ONG, je les mets au pas. Pas plus tard qu’avant-hier, j’ai fais adopter par mon Sénat une loi qui me permet potentiellement d’accuser la moitié de la population de haute trahison. Et tout ça, le plus légalement du monde. Résultat, aujourd’hui, que ce soit dans l’opposition ou au sein de mes propres troupes, ça la ramène de moins en moins. Pour tout te dire, François, je suis tellement bien installé au Kremlin que je pense changer les serrures. »
« Ouh là, mais moi je ne peux pas faire ça. » 
« François, qui veut, peut. » 

À l’autre bout de la ligne, François ne disait plus rien.

« Allez François, te bile pas, on va trouver une solution. Tu vas commencer par t’organiser un voyage ici. Je vais booster ton image, moi. Je vais te coller sur un canasson au milieu de la steppe avec un grand fusil hypodermique, parce que je ne malmène pas les animaux moi, jamais ! On va convoquer quelques photographes et tu vas poser en levant le menton. Tu vas voir, je vais te remettre en selle moi. »
« Oh, ce serait tellement bien! Je confirme avec Val et je te rappelle. »

« Exercer le pouvoir, aujourd’hui, c’est très dur. Il n’y a plus aucune indulgence, aucun respect. Mais je le savais. » François Hollande, le 1/11/2012, dans un entretien au « Monde ».
 
La main posée sur le combiné, François hésitait. Combien de coups de fil désespérés pouvait-il passer avant de relever de la cause perdue ? Pour la neuvième fois en une...

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