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Moyen Orient et Monde - Reportage

En Syrie, la chaleur des olives...

« Avec le début des combats, le fuel pour le poêle est devenu hors de prix ».

Le fuel pour le poêle étant devenu hors de prix, les paysans syriens font du combustible en faisant sécher de la pâte d'olives mélangée à de l'eau. AFP /MARCO LONGARI

De loin, ils semblent vider avec des seaux un gisement de pétrole brut à ciel ouvert. C’est bien du carburant que collectent ces paysans syriens, mais leur matière première est l’olive.


Près de la ville rebelle d’al-Bab, visée quotidiennement par les raids de l’aviation de Damas au nord-est d’Alep, la famille d’Ahmad Abou Ahmad, 80 ans, fait sécher au soleil de la pâte d’olive mélangée à de l’eau qui leur fournira cet hiver, dans les poêles, un substitut au mazout devenu trop cher avec la guerre. « Nos ancêtres faisaient ça. Avec le début des combats, le fuel pour le poêle est devenu hors de prix. Alors l’an dernier on a recommencé à faire sécher la pâte », explique le vieil homme dans un sourire édenté, keffieh blanc sur le crâne, les yeux agrandis par des lunettes de myope. « Je m’en souviens, quand j’étais enfant il n’y avait rien d’autre. Cela s’appelle le jift. »


Dans la grande fosse creusée entre oliviers et pistachiers (trente mètre de long sur vingt de large et cinq de profondeur), les femmes du clan, voilées, gantées, timides, joyeuses sous le cagnard, pataugent jusqu’à la taille dans la boue noire et odorante. Avec les seaux, aidées par des enfants hilares, enduits de pâte des orteils aux cheveux, elles forment une chaîne qui remplit lentement la remorque d’un tracteur. Les hommes regardent, fument. Ils acceptent d’expliquer le processus à des journalistes étrangers, mais pas question de laisser filmer ou photographier les femmes.
« Après la pression des fruits nous envoyons, avec un gros tuyau et des pompes, ce qui reste des olives dans le trou, depuis le pressoir que vous voyez là, de l’autre côté de la route », montre l’un des fils du patriarche, Moustafa, 37 ans. « On ajoute de l’eau. Cela repose tout l’hiver, sept à huit mois, puis, à la fin de l’été, on le sort pour le faire sécher. » Comme du sel dans de petits marais salants, la pâte d’olive est étalée sur le sol, en grands carrés dont la couleur, la consistance et les reflets rappellent, quand elle est fraîche, les toiles du peintre français Pierre Soulages. En quelques jours au chaud soleil de fin d’été, la matière sèche, se rétracte, craquelle, se sépare en petits morceaux que l’on ramasse et entasse dans de grands sacs plastiques. « Dans le poêle, cela brûle mieux que le bois, mieux que tout, à cause de l’huile, se réjouit Moustafa ; on le brûle seul ou on le mélange à des bûches, c’est très chaud, et en plus cela sent bon. »


Autrefois subventionné, le carburant de chauffage a vu son prix décupler : il coûtait 7 livres syriennes (0,08 euros) le litre avant le début des affrontements. Il est passé à 15 livres, et aujourd’hui, c’est 65 livres (0,75 euros). « Le mazout, c’est plus propre et plus pratique. Pas besoin de faire tout ça. Mais on ne peut plus l’acheter. Trop cher », dit Abou Ahmad. « Le jift ne se vend pas. Cela reste entre nous. On le distribue à la famille, aux voisins parfois, à ceux qui n’ont pas de quoi se chauffer. » « Ici, il peut faire moins 5° en janvier. Nous sommes près des montagnes de Turquie », ajoute son fils. Alors, dit-il, sans jamais sans doute avoir étudié Jean de la Fontaine à l’école, « nous sommes comme des fourmis : si nous ne travaillons pas l’été, l’hiver nous gelons... ».

De loin, ils semblent vider avec des seaux un gisement de pétrole brut à ciel ouvert. C’est bien du carburant que collectent ces paysans syriens, mais leur matière première est l’olive.
Près de la ville rebelle d’al-Bab, visée quotidiennement par les raids de l’aviation de Damas au nord-est d’Alep, la famille d’Ahmad Abou Ahmad, 80 ans, fait sécher au soleil de la pâte...
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