Au Palais de Verre, nul ne se fait d’illusion. Régenter les ventes, oui, mais de manière à laisser à l’acheteur autant qu’au vendeur la liberté d’opérer un tri entrer les « bons » et les « mauvais », selon une logique propre à chacun des deux camps. Ainsi sera-t-il possible aux USA et à la Russie d’armer les premiers Israël, les seconds la Syrie, à condition que le bénéficiaire ne viole pas les droits de l’homme, ne commette pas de génocide, d’acte terroriste ou tout autre crime de guerre. À condition aussi que la transaction ne représente pas un danger pour la paix, ne soit pas de nature à prolonger un conflit et ne soit entachée de corruption. Voilà pour les bonnes consciences.
Place maintenant à un nouveau décor. La presse mondiale a fait état la semaine dernière d’un rapport élaboré par le service de recherche du Congrès US, un organisme non partisan, relevant du législatif américain. Ses auteurs sont Richard F. Grimmett, spécialiste de la sécurité internationale, et Paul K. Kerr, expert en non-prolifération. Les détails contenus dans leur étude donnent le vertige. L’an dernier, les ventes d’armes par les États-Unis ont triplé, atteignant le chiffre jusqu’alors inégalé de 66,3 milliards de dollars (21,4 milliards en 2010), soit 78 pour cent du total mondial qui est de 85,3 milliards. Et pour l’année en cours, prévoit-on, elles devraient augmenter dans une proportion de 70 pour cent.
Au cours de la précédente décennie, les transactions n’avaient cessé de décliner, en raison de la conjoncture économique, avant que la courbe n’entreprenne une rapide remontée, grâce notamment à l’appétit de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du sultanat d’Oman pour le matériel militaire « made in the United States » dû au danger représenté par l’Iran. Les emplettes du royaume wahhabite incluent 84 chasseurs ultrasophistiqués F-15, le rééquipement de 70 autres F-15 relativement anciens, des munitions, des missiles, un système de soutien logistique, ainsi que des douzaines d’hélicoptères Apache et Blackhawk. Total général : 33,4 milliards. Avec cela, l’administration démocrate peut s’enorgueillir d’avoir créé 75 000 emplois. La revue Foreign Policy note à cet égard, citant le très respecté Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), que l’ensemble des dépenses militaires saoudiennes a représenté l’an dernier un peu moins de 48,5 milliards de dollars, bien plus que le budget du ministère iranien de la Défense.
Les Émirats ne font pas trop mauvaise figure dans le tableau avec l’acquisition d’un système de défense à haute altitude et d’un parapluie antimissile (valeur : 3,49 milliards) ainsi que de 16 hélicoptères Chinook (939 millions), suivis d’Oman (18 F-16 d’une valeur de 1,4 milliard).
Les fabricants d’armes, craignant il y a sept semaines des coupes dans le budget du département de la Défense, avaient mobilisé leurs lobbies pour plaider leur cause et agité la menace de licenciements massifs dans le secteur. L’argument des cinq « majors » – Boeing, Raytheon, Lockheed Martin Corp., Northrop Grumman, General Dynamics – était que le moindre tour de vis coûterait deux millions d’emplois et une chute de 215 milliards de dollars du produit intérieur brut. Dans le même temps, le groupe augmentait de 11,5 pour cent le budget alloué au lobbying, qui avait atteint 15,9 millions pour le premier trimestre de l’année en cours, dans une tentative, sans doute appelée à être couronnée der succès, d’obtenir un allègement des coupes prévues dans le budget du Pentagone, qui sont de l’ordre de 55 milliards étalés sur une période se terminant en 2021.
Un bémol demeure toutefois nécessaire, représenté par le fait que les emplettes des pays concernés s’étalent sur plusieurs années, et même plusieurs décennies dans le cas de l’Arabie saoudite.
Pour relativement exagéré qu’il soit, le danger représenté par la République islamique n’en est pas moins réel. On ne peut s’empêcher toutefois de penser qu’il fait l’affaire de nombre de parties, à commencer par les Iraniens eux-mêmes qui espèrent en tirer profit, les États-Unis ensuite dont il booste l’économie en cette année électorale, les régimes du Golfe enfin qui y voient un moyen de consolider leurs assises. À condition qu’Israël ne se mêle pas de déranger ce bel agencement.
Dans le même et "Pur" style que l'Irangate. Pauvre Saddam !
02 h 35, le 05 septembre 2012